Requalification des mails orléanais : premier teasing, premières interrogations

Il faut toujours se méfier des vues d’artistes. En matière d’achats sur plan comme en matière de travaux sur l’espace public, l’enjolivement est la règle. Un exemple emblématique récent à Orléans concerne le MOBE, dont la façade devait être une serre luxuriante et qui n’offre aujourd’hui au regard qu’un squelette de verre et d’acier sur une façade de béton nu. Effet de serre garanti, mais sans végétation ! Voilà qui ne redore pas le blason d’Orléans « ville jardin ». Est-ce que le projet pharaonique de requalification des mails orléanais fera mieux ? Si l’on s’en tient aux quelques visuels qui ont été publiés en fin de semaine dernière, la réponse est un oui spectaculaire, aussi arboré qu’ensoleillé1. J’ai déjà dit ce que je pensais de l’idée de « coulée verte » sur les mails lors de la campagne des municipales en 2020, mais ce qui n’était à l’époque qu’une promesse électorale parmi d’autres est devenu projet à la fin de l’année dernière (voir ce compte-rendu d’une réunion publique). J’ai donc regardé avec grand intérêt les beaux visuels fournis par le cabinet RichezAssociés pour contribuer au débat public comme on dit.

« Où est Charlie ? » — suivez la flèche rouge

Au-delà de la végétalisation, il m’a semblé intéressant d’observer la prise en compte des flux de circulation et notamment celle des vélos – vous m’avez vu venir.

Commençons par la vue dite « gare » qui montre ce que serait le nouveau Place d’Arc de plain-pied avec un nouveau bâtiment2 :

Le cycliste représenté est presque masqué par un tronc. Il roule sur un espace non identifié.

Au-delà des arbres gigantesques, ce qui me frappe c’est l’absence de voie de circulation est-ouest. On devine bien sur la gauche les deux voies de circulation automobile ouest-est et une voie réservée pour les bus mais on se demande où vont passer les automobilistes et les chauffeurs de bus dans l’autre sens. Au travers de la galerie marchande ?

On constate aussi que le grand giratoire de la place de Verdun – actuellement large de trois voies de circulation, excusez du peu – se perd dans la forêt au loin.

Perdue aussi la piste cyclable… mais c’est certainement un détail, hein.

Poursuivons par la vue dite « campus » à la hauteur de la patinoire sur le boulevard Jaurès :

Le cycliste émerge derrière un massif. Difficile de dire sur quel type d’espace il circule.

De manière cohérente avec la vue précédente, les deux voies réservées aux bus sont adjacentes à l’espace vert central. Est-ce vraiment le meilleur moyen de faciliter l’intermodalité ? Les personnes qui prennent le bus cherchent en général à rejoindre un lieu situé soit dans l’hypercentre (à droite sur la photo) soit dans les quartiers ouest (à gauche sur la photo) – et puisqu’on parle de campus, les étudiant(e)s ne passeront pas leur temps à se prélasser sur des pelouses3. Bref, un arrêt au milieu des boulevards obligera tout ce beau monde à attendre pour traverser.

La position du cycliste est cependant raccord avec la vue aérienne ci-dessous, dite « Pont Joffre », sur laquelle on repère une piste cyclable bidirectionnelle coincée entre des voies de circulation et l’espace herbeux central :

Il y a pas mal de détails qui interrogent dans cette vue schématique de l’aménagement de la tête nord du pont Joffre.
On peut lister :

Les voies réservées des bus sont côte à côte et continuent sur le pont. Fini le « boulevard urbain » à 2×2 voies ?
On ne comprend pas d’où peuvent venir les voitures qui vont vers le sud sur le pont.
On a l’impression de comprendre qu’il n’y aurait plus qu’une 2×1 voie de circulation automobile sur les quais. Et aucun accès au pont Joffre.
Enfin, la seule piste cyclable présente ne mène qu’aux bords de Loire et non au pont. Alors même que le programme cité juste ci-dessous précise (c’est moi qui souligne) :

« Une attention particulière est à porter sur les deux accroches au niveau du Pont Thinat (piste cyclable bidirectionnelle existante) et le pont Joffre (non aménagé, projet d’encorbellement). »

En effet, il faut le rappeler, le cabinet RichezAssociés a été retenu dans le cadre d’une réponse à l’appel d’offre dont le copieux programme (85 pages, à télécharger ici).
Celui-ci précise aussi (c’est moi qui souligne) :

« Les préconisations formulées dans le cadre du Plan Vélo (en particulier Liaison 3 fiches
segments 1027 à 1028, 1110 à 1113.2, 1301.1 à 1303, 1375.1 à 1376 et 1467 à 1470 et atlas
des aménagements expertisés 45 et 112 à 113) envisagent la création de pistes cyclables
bidirectionnelles sur les 2 rives des Mails (Nord et Sud)
, ainsi qu’une sécurisation de
l’ensemble des carrefours (nombreux points noirs). Ces pistes sont adaptées aux circulations
vélos de transit. Il conviendra de trouver une alternative pour la pratique du vélo loisir
adapté aux familles. »

Maîtrise d’œuvre des espaces publics et équipements de stationnement pour la requalification des mails historiques d’Orléans – Programme de l’opération (page 26) — mars 2022

J’aime beaucoup ce programme qui ne souffre d’aucune ambiguité : bien distinguer vélo-loisir et vélo-déplacement. On en attend pas moins d’un projet à whatmille millions sur un espace de 70 m de façade à façade.

Un cabotage confortable et sécurisé – pouvoir se glisser dans n’importe quelle rue adjacente – implique ces pistes bidirectionnelles de part et d’autre des boulevards4.

La métropole a tenu à préciser au quotidien local « que les visuels communiqués ne sont pas, pour l’heure, validés« . C’est heureux, car la copie est certainement à revoir.

Bonus musical

Pour nous tirer d’une éventuelle torpeur, rien de tel que le regretté Mark Sandman, chanteur du groupe Morphine, qui nous enjoignait vigoureusement en 1994 à nous méfier des requins – toute allusion métaphorique au gilet rétro-réfléchissant ne serait pas totalement fortuite :

« Sharks patrol these waters
Sharks patrol these waters
Don’t let your fingers dangle in the water
And don’t you worry about the dayglow orange life preserver
It won’t save you
It won’t save you
Swim for the shores just as fast as your able
Swim like a motherfucker, swim! »

Notes

  1. Dimitri Crozet, « À quoi pourraient ressembler les mails à Orléans dans quelques années ? Des premiers visuels dévoilés », La République du Centre, 31 mars 2023. Voir aussi chez Magcentre « La Métropole ouvre le chantier pharaonique d’Orléans », 5 avril 2023.
  2. Certains osent avancer l’hypothèse que tout ce projet fort coûteux est mis en œuvre uniquement pour permettre cette extension du centre commercial de 8500 m². Allez savoir !
  3. La densité représentée, digne d’une ville comme Paris où toute une population se rue sur le moindre espace de verdure disponible, me semble fantasmagorique pour une ville comme Orléans.
  4. D’ailleurs c’est déjà ce que font les Néerlandais sur les axes qui le permettent. C’est dire.

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1 réponse

  1. Merci pour l’analyse, je n’avais pas encore vu ces visuels.

    Tout d’abord, avec des arbres et sans voiture, c’est beau. C’est digne de Jan Kamensky et ses utopies visuelles #FlyingCarMovement. C’est séduisant pour les yeux. ça montre aussi que nous ne voulons plus voir toutes ces voitures qui stationnent et se déplacent de manière saccadée.

    La place du vélo interroge, en effet. Si l’on enlève beaucoup de voitures, il va falloir ajouter beaucoup de vélos. Sur le dernier visuel du pont Joffre, je crois deviner l’encorbellement à l’Ouest.
    Le problème de ce projet est qu’il faudrait d’abord enlever les voitures.

    Les difficultés sont nombreuses, le pont Joffre est branché côté centre-ville, alors que le pont Thinat est branché côté faubourg. Il faut par conséquent qu’à un endroit (ou deux) la voie principale cisaille pour passer d’une façade à l’autre (et d’avoir des contre allées, le passage de la circulation générale au centre diviserait le nombre d’intersections).
    Ensuite, les accès dénivelés (les rampes, échangeurs et trémies) permettent la connectivité du gros tuyau avec les petits. Comment remettre à plat, ce qui ne l’est pas ? sans se ruiner ? Un dossier pas simple. Bon courage à Richez et à la collectivité.

    Place d’Arc ne peut pas redevenir une place (plate donc), sans modifier tous les tuyaux qui s’y croisent et s’étendent sur les mails jusqu’aux deux ponts. C’est pharaonique.
    De mon point de vue, il faudrait d’abord mener des expériences de modification/diminution drastique de la circulation (fermeture en certains points). Sinon, nous allons construire un énorme projet (planté d’arbres) et découvrirons ensuite comment il fonctionne. La période des travaux promet une expérimentation longue de réduction du trafic (mais irréversible, ou compliquée à modifier ensuite). Avec des moyens illimités on remettrait tout à plat. Avec des moyens limités, on conserve un maximum de la topographie et de l’architecture héritée (mais très mal conçu pour autre chose que faire circuler des voitures). Je crois qu’il est écrit quelque part dans le PDU et le SCoT qu’on cherchera à valoriser les infrastructures existantes plutôt que d’en bâtir de nouvelles. Nous n’en avons plus les moyens, maintenant il faut être sobre et malin. Ruser et réutiliser.

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