C’est mathématique : conduire pour gagner du temps ne fait que ralentir tout le monde

On sait déjà grâce à un travail fouillé de la direction générale du Trésor publié en avril 2021 qu’en milieu urbain très dense en France, les automobilistes ne paient que 8 % du coût global de leur mobilité (lien vers l’étude). On sait aussi que dans cet environnement, la voiture individuelle est le moyen de déplacement le moins performant en terme de débit. Et comme une nouvelle étude l’affirme en se basant sur des constats déjà bien établis, le développement de l’autosolisme mène invariablement à la congestion des villes1.
Voici la traduction de « Study: Driving to Save Time Just Slows Everyone Down » de Kea Wilson, publié le 6 juillet 2021 sur Streetsblog USA.

Appelons cela le paradoxe de l’heure de pointe.

Dans une nouvelle étude qui confirme ce que constate quiconque a déjà conduit une voiture, des chercheurs ont découvert que les planificateurs des transports qui tentent de réduire les temps de trajet en facilitant les trajets en voiture s’assurent en fait que leurs réseaux seront engorgés par les embouteillages et que tout le monde verra son trajet ralenti2.

Un groupe international de chercheurs a modélisé ce qui se passerait si tous les habitants d’une ville centrée sur la voiture choisissaient leur mode de transport uniquement en fonction du temps qu’ils gagneraient en empruntant le mode le plus rapide à leur disposition — qui, pour la plupart d’entre eux, serait une voiture personnelle. Paradoxalement — mais sans surprise — le modèle a montré que lorsque tout le monde essaie d’accélérer son trajet en s’asseyant derrière un volant, cela crée des embouteillages, ralentissant les temps de trajet moyens d’environ 25 % par rapport à ce qu’ils seraient s’il n’y avait aucun autre trafic sur la route.

Et grâce à la loi bien connue de la demande induite, il n’y a tout simplement aucun moyen de réduire ces embouteillages en construisant davantage de voies le long des routes les plus fréquentées — la seule façon de se débarrasser du trafic excessif est d’inciter les automobilistes à commencer à utiliser d’autres modes de déplacement en les rendant aussi rapides, sûrs et abordables que possible.

Le chercheur principal de l’étude, le mathématicien Raphael Prieto Curiel, affirme de manière surprenante que l’article a été inspiré par une longue file d’attente à un kiosque de transport en commun plutôt que par une longue attente dans un embouteillage. Alors qu’ils assistaient à une conférence à Medellín, en Colombie, lui et ses coauteurs se sont émerveillés du réseau de transport public robuste et rapide de la région, mais ont été moins impressionnés par les 30 minutes d’attente pour acheter leur billet.

« Nous avons dit : « Ça ne va pas le faire, il faudrait procéder différemment », a déclaré Prieto Curiel. « Mais ensuite, nous nous sommes dit : ‘Attendez : mais voulons-nous vraiment pousser les gens à utiliser plutôt une voiture ?' ».

Lui-même usager invétéré des transports en commun, Prieto Curiel dit que les planificateurs de transport sous-estiment souvent les outils à leur disposition pour améliorer le service rendu — comme l’ajout d’une option de paiement sans contact à ce kiosque surpeuplé, ou l’ajout d’une voie de bus en site propre — tout en surestimant leurs outils destinés à « fluidifier » les trajets en voiture, ce qui devient rapidement mathématiquement impossible dans un environnement de ville contraint.

Rendre les transports en commun plus rapides et les modes actifs plus sûrs ne signifie pas que les villes doivent bannir complètement les voitures de leurs rues — même si certains pensent que c’est ce que l’étude suggère. Mais elle suggère que les villes devraient cesser de se focaliser sur les rares occasions où il est vraiment nécessaire de conduire, et commencer à réfléchir à la manière d’amener les gens là où ils doivent aller aussi rapidement que possible grâce aux modes de transport de masse.

« Lorsque vous parlez de mobilité et de transports publics, l’esprit des gens a tendance à se tourner très rapidement vers des cas très particuliers », a déclaré Prieto Curiel. « Dès que j’ai commencé à parler de cet article, les gens ont immédiatement dit : « Mais comment ma grand-mère va-t-elle se rendre à l’hôpital lorsqu’elle a une jambe cassée ? ». Évidemment, il y a des trajets qui ne peuvent pas se faire à pied ou en métro. Mais il ne s’agit pas de penser à un trajet hors norme ou spécial, mais plutôt à un trajet moyen. Ce sont des millions de personnes qui vont au travail et en reviennent, qui vont à l’école et en reviennent, qui vont au supermarché et en reviennent. »

Pour que dans les mégapoles comptant plusieurs millions de voyageurs ceux-ci puissent continuer à se déplacer, il est encore plus important que les responsables des transports reconnaissent le paradoxe de l’heure de pointe et la dure réalité que l’automobile ne peut pas les mener bien loin, même si tout ce qui les intéresse est de réduire les temps de trajet. À Mexico, ville natale de Prieto Curiel, dont la population est légèrement supérieure à celle de New York, environ 23 % des déplacements quotidiens sont effectués en voiture personnelle, un chiffre qui, selon lui, est encore trop élevé. (À Portland, ville favorable au vélo, par contre, ce chiffre est de 57 %).

Bien sûr, ce chiffre est probablement plus élevé qu’il ne devrait l’être pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la vitesse. Prieto Curiel reconnaît que le principal défaut de son modèle est qu’il ne tient pas compte de l’impact de la sécurité, du confort, du coût et d’autres facteurs sur le choix du mode de transport.

« Sur certaines lignes de Mexico, il faut descendre 300 marches pour atteindre le quai, puis remonter ces marches à la fin du trajet », explique-t-il. « Et dans certaines stations, l’escalator est tombé en panne il y a deux ans et n’a jamais été réparé. Pendant deux ans, vous avez donc vu ces pauvres gens grimper et grimper, et une fois qu’ils sont arrivés en haut, ils ont le souffle court, et ils ne veulent plus jamais reprendre le métro. … Nous devons nous pencher sur la manière de rendre chaque trajet dans les transports publics non seulement rapide, mais aussi confortable, facile et sûr, ce qui est un problème particulièrement important pour les femmes de ma ville. [Remarque : les femmes de Mexico sont confrontées à des taux de harcèlement sexuel et de violence dans les transports en commun parmi les plus élevés au monde]. Ce point doit figurer en tête de l’ordre du jour des gestionnaires de réseaux de transport public. »

Malgré tout le travail à accomplir, le paradoxe au cœur de l’article reste un élément essentiel à retenir pour les planificateurs — surtout si leur objectif numéro un est de diminuer la congestion.

« S’il y a beaucoup de trafic, on peut faire tellement de choses pour lutter contre cette situation », a déclaré Prieto Curiel. « On peut réduire le nombre de voies pour les voitures et donner plus d’espace aux vélos, aux piétons ou aux transports publics. On peut avoir moins de places de stationnement, moins de voies partagées, et augmenter ainsi progressivement les coûts marginaux de la conduite automobile. Nous devons simplement cesser d’adapter les villes à la voiture. »


Crédit photo de couverture : grendelkhan, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons

Notes

  1. Et en période de grands départs en vacances ce sont tous les grands axes qui se retrouvent congestionnés. Voir l’amusant et instructif « Cet été, ne soyez pas l’automobiliste qui crée les bouchons » de Waleed Mouhali sur Slate (9 juillet 2021).
  2. Allusion presque transparente au paradoxe de Braess. NdT

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2 réponses

  1. luccho5213 dit :

    Manifestement, toutes ces études et calculs mathématiques sont inconnus de nos chers élus. Quel gâchis !!

  2. V-LO dit :

    C’est mathématique : circuler à vélo vous préserve des ralentissements ! 😉
    #zen
    #sautebouchons

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