Kent Peterson et le vélo couché

Kent Peterson continue de taper jour après jour des textes sur ses différentes machines à écrire et d’en envoyer une photo à l’animateur du blog One Typed Page. J’avais proposé un modeste florilège de ses textes pour fêter la nouvelle année 2021 (voir Tapé à la machine — sept souvenirs et anecdotes de Kent Peterson). Je remets ça avec deux textes consacrés au vélo couché auxquels j’ajoute un conseil de lecture.

14 septembre 2021

En 1997, je travaillais comme développeur informatique à Seattle. J’habitais alors à Issaquah, dans l’État de Washington, et mon trajet à vélo était de 29 km dans chaque sens1. Lorsque vous faites 58 km de vélo par jour, cinq jours par semaine, vous n’avez pas besoin d’un abonnement à un club de sport pour rester en forme.

Mon trajet quotidien se passait plutôt bien lorsque j’ai eu l’idée stupide de voir à quelle vitesse je pouvais parcourir la distance. Par une belle journée, j’ai quitté mon travail à Seattle, j’ai grimpé la crête, j’ai traversé le tunnel cycliste de la I-90 et j’ai traversé à toute vitesse le pont flottant de la I-90. J’étais en train d’atteindre une vitesse record sur la piste cyclable qui traverse Mercer Island lorsque j’ai pris un virage trop rapide. Un autre cycliste, qui allait aussi vite, se dirigeait dans la direction opposée. Nous nous sommes vus, brièvement, et nous avons tous deux tenté de corriger le tir dans la mauvaise direction. C’est la dernière chose dont je me souvienne avant de me réveiller aux urgences avec une clavicule cassée. Bien sûr, l’une des premières choses dont je me suis enquis était l’état de mon vélo. La roue avant était un taco, le tube diagonal était froissé, la fourche était abîmée et le vélo avait globalement raccourci de 15 cm.

J’ai guéri assez rapidement et j’ai finalement pris à cœur les sages paroles de Sheldon Brown, « si tu es pressé, pourquoi es-tu sur un vélo ? ». Mais je devais quand même me rendre au travail et mes jambes fonctionnaient toujours bien. Je ne pouvais cependant pas me lever de la selle et tirer sur le guidon pour grimper, du moins pendant quelques mois, et j’avais besoin d’un nouveau vélo. J’ai profité de l’occasion pour faire des recherches sur le monde des vélos couchés et j’ai fini par acheter mon premier vélo couché, un BikeE.

C’était à l’époque où la presse écrite était le principal canal d’information des passionnés et dans le monde du vélo couché, LA source d’information était Recumbent Cyclist News ou RCN comme on l’appelait communément2. RCN était publié par Bob Bryant, qui vivait également dans la région de Seattle, à Renton. Bob organisait également des sorties en vélo couché dans la région de Seattle et grâce à lui et à ces sorties, j’ai fait la connaissance de plusieurs autres cyclistes couchés. Bob et moi sommes devenus amis et le sommes toujours à ce jour (Salut Bob !) et j’ai fini par écrire divers articles et critiques pour RCN au cours des années suivantes.

Le monde du vélo couché était et est toujours rempli de personnages fascinants, mais j’arrive au bout de ma page aujourd’hui. Je vous raconterai quelques histoires de vélos couchés dans les jours à venir.

15 septembre 2021

En 1933, un coureur sur un vélo couché a battu plusieurs records cyclistes de longue date et, en 1934, l’Union cycliste internationale (UCI3) a déclaré que les vélos couchés n’étaient pas des vélos et qu’ils étaient donc interdits de course. L’UCI a essentiellement définit un vélo comme ayant deux roues de la même taille, un siège perché au-dessus du pédalier et quelques autres éléments qui font qu’un vélo ressemble à ce à quoi vous pensez probablement lorsque quelqu’un dit « vélo ». Les fans du vélo couché considèrent l’interdiction de l’UCI en 1934 comme la grande erreur qui, à ce jour, a empêché les vélos couchés de devenir la forme de vélo dominante. Je ne pense pas que ce soit le cas4.

J’ai écrit pour Recumbent Cyclist News à la fin des années 1990. J’ai passé en revue divers vélos couchés, j’en ai possédé une demi-douzaine de différents styles au fil des ans et j’en ai conduit des dizaines d’autres5. J’ai appris à connaître divers fabricants et amateurs de vélos couchés. Beaucoup étaient des évangélistes forcenés, convaincus que les vélos couchés étaient sur le point de dominer le monde du cycle. Presque tous s’accordaient à dire que les vélos couchés étaient supérieurs aux vélos traditionnels à cadre wedgie, appelés ainsi parce que le cycliste a une selle coincée entre les fesses6.

Ce qui est intéressant, c’est qu’il existe toute une gamme de vélos couchés, certains à empattement court, d’autres à empattement long. Certains étaient très bas. Sur certains, les pieds du cycliste étaient plus hauts que le reste du corps. Sur certains, le cycliste est allongé presque à plat, sur d’autres, il est en position accroupie. Chaque conception présentait des avantages et des inconvénients. Dans presque tous les cas, le concepteur ou le propriétaire d’un vélo pouvait me dire pourquoi son vélo était non seulement supérieur à un wedgie, mais aussi à tous les autres modèles de vélos couchés.

Je les ai tous essayés. J’ai même construit quelques vélos couchés de mon propre chef. Certains de ces vélos résolvent des problèmes réels que des personnes réelles rencontrent avec les vélos droits conventionnels. Les vélos couchés m’ont permis de continuer à rouler lorsque j’avais une clavicule cassée, par exemple. Mais après la guérison de ma clavicule et après avoir fait de plus en plus de vélo, j’ai découvert que les vélos couchés résolvaient des problèmes que je n’ai pas ou qui sont mieux traités pour moi par les vélos conventionnels.

Il n’y a pas de grande conspiration qui me fait rouler sur les vélos que je fais. Je roule sur un vélo qui a l’air tout à fait ordinaire et ça me va très bien.

En guise de prolongement

Je ne peux que recommander la lecture d’un blog de voyage intitulé Partir les pieds devant. Il narre par le menu les tribulations d’un couple français qui a réalisé plusieurs voyages au long cours sur différents continents. Ils se surnomment « les Panardos » et c’est le gars, Fred, qui, maniant parfaitement l’autodérision, tient la plume d’une manière décontractée et désopilante7.

Au chapitre « matos » ils expliquent ainsi leur choix (le gras est d’origine) :

Alors, déjà, pourquoi des vélo couchés ? Pour le cooooooonfort ! Nos premiers périples se sont fait en vélo droit donc on connait et on ne reviendra jamais en arrière. Adieu couches-culottes cuissards, mal aux cervicales et omoplates pour Fred, mal aux genoux et souffle court pour Ophélie. En VC, on s’est tapé des journées de plus de 10h de pédalage sans être en miette à la fin.

C’est lui Fred, quelque part en Ouzbékistan.
(J’espère qu’il ne m’en voudra pas de lui chiper cette photo.)

Photo bonus

Au début des années 1980 du côté d’Amsterdam, une certaine idée de la cool attitude :

Crédit : Rob Croes / Anefo, CC0, via Wikimedia Commons

Notes

  1. Raconté notamment là (sous un titre de mon cru) : Trajet retour sous la neige à la nuit tombante en fixie à pneus cloutés.
  2. Tous les numéros ont été numérisés et sont disponibles en ligne.
  3. On retrouve cet élément dans l’histoire du vélo couché de notre encyclopédie préférée.
  4. Il s’en est expliqué dans un billet du 19 janvier 2008 rédigé sous forme de dialogue imaginaire : Why Doesn’t Everyone Ride Recumbents?
  5. On peut ajouter qu’il a aussi connu une importante collision à vélo couché, comme il l’a lui-même raconté : Leçons d’un accident de vélo.
  6. Le Wiktionary nous apprend que c’est de l’argot : « A situation where a person’s underpants are stuck uncomfortably between their buttocks« . Wedgie désigne aussi un mauvais tour qu’on peut jouer à quelqu’un – voir tire-slip.
  7. Pour ne donner qu’un exemple de cet humour, que d’aucuns qualifieraient de politiquement incorrect ou trash, voici comment Fred commence à raconter leur départ du Japon (par bateau) :

    « Facilement reconnaissable à sa grosse tête ronde et sa face aplatie, le coréen ressemble beaucoup à un chinois, ou à un japonais ayant pique-niqué un peu trop près de Fukushima. Comme les gnous, ils sont bruyants et se déplacent en troupeau compact, aveugle et pressé. Très pressé. Son plus grand prédateur, le panardos sauvage, roi du bitume au tempérament relativement asocial, est immédiatement désarmé par le nombre et l’invasion soudaine de son territoire : la salle d’attente du ferry.

    Après 10 semaines au pays du calme et du civisme, son instinct de survie est anesthésié, relégué au rang de fonctions inutiles telles que «se battre pour sa place dans la file d’attente» ou «donner un coup de coude à la connasse qui pousse dans le dos». Non, le panardos se contente de feuler dans son coin, acculé, menaçant simplement de ses dents de pédalier les jarrets et valises passant trop près. Mais même ses dents ne font plus peur, trop propres, nettoyées qu’elles ont été du terrible sang de l’effort : le cambouis. »

    Fou rire garanti ! 😁

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