Promouvoir le VAE ne débouchera pas sur une utilisation massive du vélo — par David Hembrow

Le développement du vélo à assistance électrique fait le bonheur de l’industrie du cycle et des détaillants. Vendre des vélos beaucoup plus chers est bon pour la marge dégagée1. Et c’est en ce sens qu’il faut comprendre les aides à l’achat, qui ne sont qu’une subvention indirecte à un marché considéré comme porteur. Si c’est bon pour le commerce, est-ce également bon pour l’avenir cyclable d’un territoire donné ? Rien n’est moins sûr comme l’explique David Hembrow.

Voici la traduction de « Pushing e-bikes will not result in mass cycling » publié le 24 juin 2018 sur A view from the cycle path.

Introduction

Il y a 15-20 ans, les objections les plus courantes à l’idée que de meilleurs aménagements était nécessaire pour permettre la pratique massive du vélo provenaient de personnes qui encourageaient la formation des cyclistes et le « cyclisme véhiculaire ». Ils affirmaient que si suffisamment de personnes pouvaient être formées à la pratique du vélo parmi le trafic motorisé, aucun aménagement cyclable n’était nécessaire2. Des décennies se sont écoulées et, bien entendu, aucun résultat de ce type n’a été observé, car les problèmes auxquels étaient confrontés les cyclistes n’avaient pas été résolus. Entre-temps, les endroits qui ont construit de meilleures aménagements cyclables ont vu la part modale du vélo augmenter. Les appels en faveur de la formation et du cyclisme véhiculaire se sont faits beaucoup plus discrets ces dernières années, mais des appels similaires sont maintenant lancés pour une idée connexe : l’adoption des vélos à assistance électrique (VAE) entraînera une pratique massive du vélo, même si les conditions de circulation n’ont pas été améliorées. Cette idée n’a pas plus de validité que les affirmations faites il y a 20 ans.

Si vous donnez un vélo à quelqu’un qui a peur de pédaler à cause des dangers de la circulation, il est peu probable qu’il se mette à faire du vélo simplement parce qu’il en possède un. J’ai fait remarquer il y a quelques années que « la pénurie de vélos n’a jamais été la raison du faible taux de pratique cycliste à Londres », mais cela s’applique au monde entier. Des millions de bicyclettes prennent la poussière dans des garages partout dans le monde parce que leurs propriétaires ne trouvent pas du tout attrayant de circuler avec dans leur quartier.

Si vous prenez une personne qui a peur de faire du vélo à cause du danger de la circulation et que vous lui donnez un VAE, la réaction sera très probablement la même. L’ajout d’un moteur au vélo n’a pas permis d’éliminer la source de la peur, et il est donc peu probable que la personne se mette au vélo.

Les parents néerlandais laissent leurs enfants circuler à vélo dans les centres-villes parce qu’il est possible de le faire en toute sécurité sur des pistes cyclables, et non parce qu’ils ont des vélos à moteur.

Les parents qui ne sont pas heureux de voir leurs jeunes enfants faire du vélo sur des routes à forte circulation automobile ne seront pas plus enthousiastes à l’idée qu’ils fassent la même chose avec un moteur sur leur vélo.

Les retraités qui, à l’heure actuelle, ont peur de se déplacer à vélo sur les routes encombrées ne vont pas soudainement s’enthousiasmer parce que quelqu’un leur a offert un vélo à moteur.

Les personnes handicapées qui utilisent des handicycles ou d’autres dispositifs de mobilité mais qui ne peuvent pas aller loin parce qu’elles ne se sentent pas en sécurité dans les rues ne vont pas soudainement se sentir suffisamment en sécurité pour se mettre devant des véhicules à moteur parce qu’on leur a donné un moteur.

Les partisans des VAE citent souvent des études qui, souvent, ne disent pas ce qu’ils en disent

Une étude danoise est parfois citée comme montrant une « augmentation de 11 % » du nombre de cyclistes grâce aux VAE, mais la réalité n’est pas tout à fait la même. L’étude a impliqué 120 personnes d’une ville de 61 000 habitants qui se sont portées volontaires pour participer à une étude sur le potentiel des VAE. 80 ont pris part à l’analyse après étude. Parmi eux, 45 % ont déclaré qu’ils faisaient plus de vélo après avoir reçu un VAE (55 % ont déclaré qu’ils faisaient autant ou moins de vélo). L’augmentation de 11 % du nombre de cyclistes observée concerne les 80 personnes qui ont choisi de participer à l’étude parce qu’elles étaient déjà intéressées par les VAE. Le fait que certaines personnes qui pensaient vouloir un VAE en voulaient un en réalité ne devrait surprendre personne. De plus, il est important de noter que, comme ces personnes vivent au Danemark, elles se trouvent déjà dans un pays doté d’une infrastructure cyclable relativement développée et d’une part modale relativement élevée grâce à cette infrastructure. Ils disposent d’un endroit sûr pour utiliser leur VAE. Ce résultat n’est pas pertinent pour un pays qui ne dispose pas d’aménagements cyclables.

Il existe également une enquête étatsunienne très populaire parmi les amateurs de VAE, le National Institute for Transportation and Communities North American Survey of Electric Bicycle Owners NITC-RR-1041. Un article d’un site Web populaire affirme que cette enquête prouve que « les VAE dissuadent davantage de gens d’utiliser leur voiture ». Au départ, cette étude semblait plus intéressante que l’étude danoise, car il s’agit d’une étude réalisée dans un endroit où les aménagements cyclables sont quasiment inexistants et où l’on affirme que le nombre de cyclistes augmente considérablement. Si ces résultats pouvaient être transposés à d’autres pays dépourvus d’aménagements, ce serait vraiment très intéressant. Mais j’ai lu l’étude et, malheureusement, elle pose de nombreux problèmes. J’y reviendrai plus loin :

Notez que si certains titres de sites web font dans le sensationnel, ils sont assez peu liés à l’étude elle-même qui utilise un langage plus mesuré. Je suggère qu’il est important de lire l’étude elle-même pour comprendre ce que signifient ses résultats. La méthodologie affecte les résultats. Les auteurs sont francs et honnêtes quant à la portée de leur enquête. Ils ne prétendent pas qu’elle est impartiale et ne prétendent pas non plus que les résultats peuvent être extrapolés à l’ensemble de la population. Cette enquête a été soutenue financièrement par les fabricants de VAE ainsi que par « des contributions, des commentaires et des efforts sur le projet pour s’assurer de sa réussite ». Les personnes interrogées étaient toutes des personnes qui possèdent déjà des VAE et plus de 80 % des répondants possédaient leur engin depuis moins de deux ans lorsqu’ils ont répondu à l’enquête. On peut donc s’attendre à ce que la satisfaction des nouveaux propriétaires à l’égard de leur nouvel achat se reflète dans les résultats.

Cette enquête de 1800 personnes a ciblé un groupe autosélectionné de personnes qui ont été trouvées « par le biais de blogs et de forums sur les VAE, de multiples plateformes de médias sociaux, de listes d’adresses électroniques de fabricants et de détaillants, et de cartes laissées sur les VAE dans toute la région de Portland, OR » et, en tant que tel, nous pouvons nous attendre à de nombreux enthousiastes parmi les répondants. Les auteurs ne cherchent pas à tromper mais reconnaissent les limites de leur enquête. Ils admettent que les répondants n’ont pas été choisis au hasard et que les résultats ne sont peut-être pas représentatifs de l’ensemble des propriétaires de VAE, sans parler de la population générale.

Il ne s’agit pas d’une critique. Les auteurs du rapport sont très clairs sur ce qu’ils ont fait et, en présentant leurs données comme ils l’ont fait, ils ont donné un aperçu des propriétaires de VAE nord-américains. En revanche, je critique certains des sites Web qui ont publié des titres sensationnels sur la base de l’étude et certaines des personnes qui ont repris ces titres et fait des déclarations encore plus sensationnelles parce que les résultats de cette enquête ont été sortis de leur contexte.

Il convient de noter que la plupart des vélos électriques utilisés par les répondants à cette enquête sont trop puissants pour être reconnus comme des VAE dans la plupart des pays. Seuls 6 % des répondants ont des vélos électriques sur lesquels l’assistance n’est disponible que jusqu’à la vitesse de 25 km/h (définition du VAE dans l’UE). 94% des personnes interrogées ont des vélos électriques plus puissants que cela, c’est-à-dire que la plupart de ces vélos électriques seraient classés comme des « speedbikes » en Europe – les plaques d’immatriculation sont obligatoires et les conducteurs doivent porter des casques. Alors que seulement 6 % des personnes interrogées possèdent des vélos électriques plus lents et conformes à la législation européenne, un plus grand nombre (7 %) ont des vélos dont les moteurs sont si puissants et peuvent pousser leurs conducteurs à de telles vitesses qu’en Europe, ils ne pourraient même pas être considérés comme des vélos à pédales, mais devraient être enregistrés comme des motos. En tant que telle, l’application de cette étude à de nombreux pays est déjà limitée, car elle porte essentiellement sur une catégorie de véhicules complètement différente de celle que nous reconnaîtrions comme un VAE légal en Europe.

Les limites de l’autodéclaration sont également exposées. Alors que plus de la moitié des personnes interrogées affirment être en « très bonne ou excellente santé », seul un quart d’entre elles déclarent faire ne serait-ce que 30 minutes d’exercice modéré par jour, comme cela est largement recommandé comme minimum requis pour être en bonne santé. Les 3/4 des propriétaires de vélos électriques ne font pas 30 minutes d’exercice, même modéré, par jour et ne peuvent donc pas non plus faire 30 minutes de vélo par jour. La vitesse maximale d’assistance la plus courante est de 20 mph, ce qui suggère que la distance couverte, même par la plupart des personnes interrogées qui font effectivement 30 minutes d’exercice par jour, sera légèrement inférieure à 16 km (10 miles), tandis que la plupart des personnes interrogées couvriront une distance légèrement inférieure. Cela remet en question l’affirmation du rapport selon laquelle il y aurait une « diminution impressionnante des kilomètres parcourus en voiture ».

Bien que la raison la plus courante pour laquelle les gens ne font pas de vélo soit la peur du trafic automobile, la question à choix multiple qui demandait pourquoi les gens ne faisaient pas de vélo avant d’avoir un vélo électrique n’incluait pas cette réponse. Au lieu de cela, les gens ont été amenés à donner d’autres réponses, comme le fait que les distances étaient trop longues pour le vélo, que le relief rendait le pédalage difficile ou qu’il était difficile de transporter des objets. Certains répondants ont spécifié « autre » et ont ensuite expliqué, mais il est très probable que cette raison la plus importante de ne pas faire de vélo a été sous-déclarée en raison de la conception de la question.

Question principale : pourquoi ne faisiez-vous pas de vélo avant de posséder un VAE ? Choisissez l’une de ces réponses.

L’étude aborde en partie cette question en incluant le passage suivant, mais comme il ne s’agit pas d’une réponse à une question, il n’apparaît pas dans les résumés rédigés à la hâte qui sont apparus sur d’autres sites Web : « Dans les réponses ouvertes, les utilisateurs de vélos électriques ont souvent indiqué que l’insuffisance de l’infrastructure cyclable était un obstacle important à la pratique du vélo (tant pour les vélos standards que pour les électriques), comme l’indique un participant : « Je ne dispose pas toujours d’une infrastructure sûre pour me rendre là où je dois aller. [Dans le cas contraire], je conduis » (répondant anonyme). Certains de ces obstacles à l’utilisation d’un vélo standard ne peuvent être résolus en passant à un vélo électrique ; »

Des utilisations étranges pour des vélos à assistance électrique

Les résultats de l’enquête comprennent de nombreuses déclarations surprenantes de la part des utilisateurs de vélos électriques sur les avantages qu’ils tirent de leur engin, qui sont en fait des moyens de compenser une politique sociale, un urbanisme et une infrastructure routière et cyclable médiocres. En voici quelques exemples :

Au moins une personne interrogée utilise son vélo électrique pour répondre à un problème de sécurité collective : « Je traverse plusieurs camps de sans-abri sur mon trajet de 20 km. Mon vélo électrique me donne un sentiment de sécurité en sachant que j’aurai l’énergie/la puissance nécessaire pour quitter les lieux si je me sens menacé ou si je crains pour ma sécurité. » Ce problème aurait dû être résolu par la combinaison d’une politique sociale plus humaine qui s’attaque au problème des sans-abri et d’un meilleur urbanisme.

Un autre affirme qu’un vélo électrique permet de surmonter un autre problème dû à un mauvais urbanisme : « J’habite maintenant en banlieue, donc les mêmes courses se font sur des distances beaucoup plus longues. Un vélo électrique me permet de continuer à utiliser un vélo au lieu d’une voiture ». Les courses locales doivent se faire sur des distances locales. Les banlieues néerlandaises sont conçues pour inclure des commodités et encourager la pratique du vélo.

Certains déclarent utiliser leur vélo électrique pour emprunter des itinéraires plus longs qu’ils ne l’auraient fait autrement, parce qu’en agissant ainsi, le cycliste peut faire l’expérience d’une circulation automobile moindre, c’est-à-dire qu’il compense le manque de bons aménagements cyclables dans son lieu de résidence. L’infrastructure cyclable devrait toujours permettre d’emprunter le chemin le plus court possible en toute sécurité.

Certaines personnes interrogées affirment que le fait de pouvoir rouler à grande vitesse améliore la sécurité aux côtés de véhicules plus rapides, ce qui compense une fois de plus le manque d’aménagements. Le fait de pouvoir rouler dans le cadre du trafic automobile s’aligne étroitement sur les idées de cyclisme véhiculaire qui ont échoué (c’est une stratégie pour survivre dans un environnement hostile, mais pas un moyen de créer un cyclisme de masse). Cette affirmation est similaire à une affirmation populaire faite par les conducteurs de voitures selon laquelle le fait de pouvoir dépasser la limite de vitesse entraîne une meilleure sécurité, mais il y a peu de preuves à l’appui. Des vitesses plus élevées sont presque toujours liées à plus de danger, quel que soit le véhicule, donc je suis sceptique quant au fait que cela fonctionnerait différemment pour les vélos électriques. Notez que l’expérience néerlandaise est inverse. Un grand nombre de retraités ont adopté les vélos assistés à 25 km/h pour pouvoir continuer à faire du vélo toute leur vie en utilisant le vaste réseau national d’aménagements cyclables sûrs qu’ils utilisaient déjà avec un vélo normal. Malgré la sécurité de la conception des aménagements et l’augmentation relativement faible de leur vitesse jusqu’à un maximum de 25 km/h, la vitesse supplémentaire, le poids et la légère imprévisibilité des vélos assistés ont entraîné une augmentation étonnamment importante des blessures et des décès chez les personnes âgées en raison d’une augmentation des accidents sans tiers impliqué.

Cyclomoteurs et motos

Sans surprise, la plupart des personnes interrogées font état de conflits avec les véhicules à moteur. C’est un problème pour toute personne conduisant un deux-roues dans la circulation, qu’il soit motorisé ou non. Les motards utilisaient le terme SMIDSY (Sorry Mate I Didn’t See You3) pour désigner les incidents au cours desquels les conducteurs prétendaient ne pas avoir vu une moto quelques années avant que les cyclistes ne la reprennent à leur compte. N’oublions pas que les vélos électriques étudiés dans cette enquête américaine sont beaucoup plus rapides que ceux qui sont légaux ailleurs.

Il n’y a rien de nouveau à fabriquer des vélos à moteur toujours plus rapides. Depuis plus d’un siècle, les gens ont trouvé le moyen d’installer des moteurs sur des bicyclettes, les transformant ainsi en cyclomoteurs et en motocyclettes. Les personnes qui ont besoin d’un véhicule ressemblant à une bicyclette mais équipé d’un moteur ont pu acheter et utiliser légalement ces véhicules depuis plus d’un siècle.

Les vélos électriques modernes qui fournissent une assistance jusqu’à 25 km/h constituent un cas nouveau et particulier dans la mesure où leur vitesse a été délibérément rendue compatible avec celle des cyclistes normaux vaquant à leurs occupations quotidiennes et où l’assistance est toujours relative à la force exercée sur les pédales. Aux Pays-Bas, les cyclomoteurs légèrement plus rapides sont beaucoup moins populaires que les vélos (à moteur ou non) et sont généralement considérés comme une nuisance pour les cyclistes.

En Europe, on constate que les personnes qui, par le passé, auraient pu acheter un cyclomoteur sont désormais susceptibles d’envisager d’acheter des speedbikes pouvant atteindre une vitesse de 45 km/h (comparable à la majorité des e-bikes étatsuniens), qui sont classés de la même manière que les cyclomoteurs, nécessitant une plaque d’immatriculation et un casque pour le conducteur. Une combinaison de ces types de bicyclettes et de cyclomoteurs à moteur électrique est en train de remplacer les cyclomoteurs à moteur à essence. Comme ils n’ont pas les mêmes émissions nocives, la plupart des gens considèrent cela comme une amélioration.

Les « e-bikes » les plus rapides aux États-Unis ne sont pas des VAE ici. Ce n’est pas péjoratif et ce n’est pas une simple opinion. La législation de l’UE impose des limites aux vélos assistés et ces machines très puissantes ne peuvent pas être des VAE. Par conséquent, la plupart des vélos de l’étude américaine devraient être enregistrés et avoir une plaque d’immatriculation en Europe, le conducteur devrait porter un casque et ils ne peuvent pas être utilisés partout où un vélo normal (ou un VAE bridé à 25 km/h) peut être utilisé.

Aux Pays-Bas, les cyclomoteurs sont utilisés pour effectuer environ 1 % des trajets et leurs conducteurs souffrent des mêmes préjugés que les cyclistes dans les pays où les cyclistes représentent 1 %. Je n’ai cependant rien contre les speedbikes, les cyclomoteurs ou les motos. Pour moi, il s’agit simplement d’autres moyens de transport alternatifs, qui franchissent tous avec une facilité remarquable la barre très basse du « toujours mieux qu’une voiture », et donc, même si je ne choisis pas de rouler moi-même sur l’un de ces engins, je n’y suis pas opposé. De plus, je vis dans une ville dont le principal titre de gloire est d’accueillir des courses de motos. Je n’aurais pas été tenté de m’installer dans cette ville si j’avais eu une aversion particulière pour les bicyclettes motorisées de tous types.

VAE, imprimantes 3D, détecteurs de métaux, montres intelligentes ?

L’enquête américaine a été réalisée en 2017. Plus de 80 % des personnes interrogées ont déclaré avoir acheté leur vélo électrique en 2015 ou après, c’est-à-dire que la plupart étaient des adeptes récemment convertis au vélo électrique. Plus de 95 % déclarent être très satisfaits ou satisfaits de ce qui est pour beaucoup un nouvel achat.

Toute enquête demandant aux personnes ayant récemment acheté un gadget s’ils l’aiment ou non et s’ils l’utilisent ou non a de fortes chances de révéler que les personnes ayant récemment acheté un gadget l’aiment et l’utilisent. La nature du gadget n’a pas vraiment d’importance.

Vous pourriez mener la même enquête avec des accessoires pour vélos normaux, des pièces censées améliorer les performances des vélos normaux (par exemple, des roues plus légères), ou même des produits totalement différents comme des imprimantes 3D ou des montres intelligentes. Cela n’invalide aucun de ces dispositifs, dont certaines personnes font bon usage, et cela ne rend pas non plus l’e-bike moins valable.

Il faut savoir que les nouveaux propriétaires d’à peu près n’importe quel produit ont tendance à être enthousiastes à propos de leur nouvel achat. Quel que soit le type de vélo qu’ils ont acheté, les gens disent toujours qu’ils utilisent davantage leur nouveau vélo que l’ancien.

Comme la plupart des personnes interrogées sont de nouveaux acheteurs, il faut s’attendre à ce que, dans une certaine mesure, les opinions exprimées par les répondants expriment cet aspect de la nature humaine.

Quel effet sur la part modale ?

Toute allégation d’un changement radical dans la façon dont les gens se déplacent, fondée sur cette enquête, doit s’appuyer sur les chiffres de part modale. L’enquête a été réalisée aux États-Unis et au Canada. Malheureusement, ces deux pays ont une part modale du vélo incroyablement faible, parmi les plus basses du monde.

Avant que les VAE modernes ne deviennent populaires, moins de 1 % des déplacements étaient effectués à vélo aux États-Unis et au Canada. Avec la popularité des VAE, ce chiffre est resté inférieur à 1 %.

Malgré leur très forte densité de population, qui se traduit par une longueur moyenne des trajets plus courte que dans les villes néerlandaises, les villes américaines telles que Los Angeles et New York affichent des taux de pratique du vélo presque incroyablement bas. Si le vélo vous intéresse, le reste du monde n’a rien à apprendre de ces villes, si ce n’est ce qu’il ne faut pas faire.

Les VAE ne sont pas une solution miracle pour transformer une nation peu cycliste

Aux États-Unis, 40 % des déplacements font moins de 3 km, mais 90 % de ces déplacements courts sont effectués en voiture. Il y a là un gain potentiel énorme si l’on ne tient compte que de la distance la plus courte.

Les États-Unis étaient autrefois le leader mondial du vélo. Celui-ci, produit par un fabricant américain en 1904, était le type de vélo pratique utilisé par la plupart des gens avant que les voitures n’envahissent les routes. Les vélos de ville hollandais modernes sont identiques.

Les VAE ne sont tout simplement pas nécessaires pour réaliser les courts trajets qui constituent la majorité des déplacements à vélo dans un pays. Aucun type de vélo spécial n’est nécessaire sur ces distances. Même le type le plus basique de vélo de tous les jours peut couvrir la majorité des petits trajets de la plupart des gens. Les distances sont si courtes qu’elles peuvent être couvertes par n’importe qui en un rien de temps, sur n’importe quel vélo et sans transpirer.

Mais ce n’est pas ce qui se passe en Amérique du Nord. Pourquoi ? Il n’y a pas d’espace sûr pour le vélo, de sorte que la pratique du vélo, même sur de courtes distances, n’est ni agréable ni sûre, quel que soit le type de vélo considéré.

Si vous ne pouvez pas convaincre la population de pédaler pour parcourir une proportion significative de petites distances à un chiffre, il ne sera pas non plus possible de la convaincre de le faire sur de plus longues distances.

Quel bilan peut-on tirer de cette étude ?

Cette étude américano-canadienne n’a que peu ou pas de pertinence pour le reste du monde, et ce pour plusieurs raisons :

  • Les États-Unis sont un pays particulièrement hostile à la pratique du vélo et les motivations des personnes qui utilisent unvélo électrique incluent des questions sociales et d’urbanisme qui, espérons-le, ne s’appliquent pas ailleurs.
  • L’enquête n’a pas été conçue pour être représentative de la population dans son ensemble, ni même des propriétaires de vélos électriques. Les répondants à l’enquête étaient principalement des amateurs de vélos électriques qui se sont choisis eux-mêmes.
  • Les questions suggestives posées dans le cadre de l’enquête ont donné lieu à des réponses qui ne reflètent peut-être pas exactement l’opinion de ceux qui ont participé à l’enquête.
  • Toute enquête menée auprès de personnes qui viennent d’acheter un nouveau produit aura tendance à être positive (voir 90 % des avis en ligne sur n’importe quoi).
  • La définition d’un vélo électrique est si large que la plupart des personnes interrogées utilisent des types de véhicules motorisés qui appartiennent légalement à une autre catégorie dans d’autres pays.
  • Les allégations de changements importants se limitent aux actions déclarées par les quelques personnes qui ont répondu à l’enquête. Elles ne sont pas représentées dans les chiffres de la part modale des pays dans lesquels l’enquête a été réalisée.

En bref : les études de ce type peuvent induire le lecteur en erreur en lui faisant croire qu’il y a eu une transformation du vélo qui, en réalité, n’a pas eu lieu. Je tiens à souligner que les auteurs du rapport sont très ouverts quant à leur méthodologie et que je ne peux donc pas les critiquer pour cela. Mais en raison des points ci-dessus, cette étude ne dit pas grand-chose, voire rien du tout, qui puisse être transposé ailleurs et certainement rien qui puisse aider à augmenter la part modale du vélo dans d’autres pays.

Alors, comment pouvons-nous encourager la pratique du vélo ?

La façon logique d’augmenter le nombre de cyclistes est de regarder là où il y a eu un réel succès et de copier ce qui a mené à ce succès. Il est peu judicieux d’essayer d’imiter les affirmations les plus audacieuses faites dans un pays où moins de 1 % des déplacements sont effectués à vélo, alors qu’il existe un bien meilleur exemple à suivre. En matière de cyclisme, un pays est largement en tête du reste du monde et les Pays-Bas sont ce pays.

Il y a quarante ans, des expériences ont été menées dans des villes néerlandaises pour déterminer ce qui était nécessaire pour créer une augmentation réelle et durable de l’attrait du vélo et donc une augmentation réelle et durable du nombre de cyclistes.

Après un léger sursaut dû au choc pétrolier des années 70, le vélo continue de croître lentement aux Pays-Bas grâce à la construction de nouvelles de nouveaux aménagements cyclables. Au Royaume-Uni et dans d’autres pays, le déclin qui avait commencé avec l’augmentation du nombre de voitures s’est simplement interrompu pour reprendre après la crise pétrolière.

Le résultat n’était pas vraiment surprenant : l’expérience réussie consistait à construire un réseau complet d’aménagements reliant chaque foyer à chaque destination dans la ville. Cela a permis à tout le monde de faire du vélo et a entraîné une augmentation du nombre de cyclistes dans toutes les catégories de population. La même chose a été copiée sur l’ensemble du territoire néerlandais et, bien que les efforts ne soient pas uniformes et que le résultat ne le soit pas non plus, le pays tout entier affiche désormais une part modale du vélo élevée par rapport à n’importe quel autre pays.

Tout ce que les autres pays doivent faire, c’est copier l’expérience réussie, en choisissant les pratiques néerlandaises les plus performantes. Une fois que les gens seront en mesure de faire du vélo, ils pourront choisir le vélo qui leur convient. Certains opteront pour des vélos assistés, d’autres pour des speedbikes, d’autres encore pour un vélo normal à propulsion humaine. Tout cela est très bien. Mais personne ne devrait être forcé de croire qu’il doit choisir ce qui est en fait une moto pour pouvoir suivre les autres véhicules à moteur.

Ajout de dernière minute

Quelques minutes après avoir publié ce billet de blog, la vidéo ci-dessous a attiré mon attention. Elle montre une personne âgée avec un scooter de mobilité traversant accidentellement la porte d’une boulangerie dans le centre d’Assen hier. De nombreuses personnes âgées qui ne peuvent plus faire de vélo utilisent des scooters de mobilité pour se déplacer dans cette ville. Elles utilisent les nombreuses pistes cyclables qui offrent des itinéraires directs et sûrs vers le centre ville depuis les quartiers périphériques. Cet incident s’est produit dans une rue presque sans voiture, à la limite d’une zone où les voitures sont interdites. Si cette personne avait fait la même erreur dans un autre endroit où la circulation automobile est importante, ou à cet endroit précis il y a 40 ans, le fait de rouler accidentellement au milieu d’un carrefour très fréquenté aurait pu être catastrophique.

J’ai ajouté cette vidéo car elle illustre une partie de ce que j’ai écrit plus haut à propos des personnes vulnérables. Lorsque nous atteignons un âge où les commandes d’un objet aussi simple qu’un scooter de mobilité deviennent suffisamment déroutantes pour que des accidents comme celui-ci puissent se produire, la dernière chose à faire est d’augmenter la vitesse et contraindre à prendre des décisions plus rapidement et plus fréquemment. Bien qu’il s’agisse d’un scooter de mobilité et non d’un vélo dans cette vidéo, les scooters de mobilité font partie des nombreux types de véhicules couramment utilisés sur les pistes cyclables néerlandaises aux côtés des vélos et il existe un lien entre cet incident et le fait que les retraités aux Pays-Bas ont plus souvent des accidents lorsqu’ils pédalent sur des VAE. Un environnement urbain plus sûr ne peut pas empêcher les erreurs, mais il permet toujours à chacun d’être en sécurité même s’il commet une erreur.


Crédit photo de couverture : Krzychu025, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Notes

  1. Remarquons que la stratégie est la même dans l’industrie automobile. Vendre moins de véhicules, mais toujours plus chers (et plus lourds, et plus gros etc.).
  2. Sur la principale figure de ce courant, lire « John Forester est mort. Les cyclistes anti-piste ont perdu leur meilleur allié » de Sébastien Marrec sur isabelleetlevelo.fr, 7 novembre 2020. NdT
  3. Qu’on peut traduire par « Désolé vieux je t’ai pas vu ». NdT

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