Trois types de sécurité — par David Hembrow

Ce billet de David Hembrow a presque 15 ans mais n’a pas pris une ride. Il explique pourquoi les fondamentaux du développement de la pratique du vélo aux Pays-Bas sont bons en se focalisant sur la notion de sécurité. Sujet délicat en France comme le prouve la récente campagne de communication du conseil départemental du Loiret qu’il a été facile de fustiger comme faisant peser de manière presque indécente la sécurité des cyclo-collégiens sur leur seul comportement.

Voici la traduction de « Three types of safety » publié le 16 septembre 2008 sur A view from the cycle path. Avec l’aimable autorisation de l’auteur.

À l’écart de la route principale, une famille fait du vélo ensemble, côte à côte. Les sangles du siège enfant de devant ne sont pas attachées. Des enfants un peu plus âgés utilisent leur propre vélo. Personne ne porte d’équipement de sécurité. L’enfant à l’arrière tripote quelque chose mais les parents ne s’inquiètent pas. Ceci illustre la sécurité subjective.

Les Pays-Bas sont l’endroit le plus sûr au monde pour faire du vélo. Ce résultat est parfois attribué à un effet de « sécurité par le nombre », mais en réalité, la conception des aménagements est un élément crucial qui ne doit pas être négligé. Beaucoup de gens aimeraient que leur propre pays imite le succès des Pays-Bas, mais souvent ils ne se rendent pas compte de ce qui est nécessaire.

J’avais l’habitude de faire de la promotion du vélo au Royaume-Uni, en voyageant de ville en ville et en parlant du vélo à un grand nombre de personnes. Tous savaient déjà que celui-ci est bon pour la santé, pour l’environnement, etc. Beaucoup de gens aimeraient pouvoir faire du vélo. La première raison invoquée par le citoyen moyen dans la rue pour ne pas en faire est « c’est trop dangereux ». Que voulaient-ils dire par là ?

On peut mesurer de trois manières la sécurité, qui ont toutes leur place dans l’approche néerlandaise du vélo :

  1. Sécurité réelle – Combien de kilomètres pouvez-vous espérer parcourir à vélo avant d’être blessé ?
  2. Sécurité subjective (parfois appelée sécurité « perçue ») – Circulez-vous à proximité d’un trafic rapide ? Est-il facile de manœuvrer dans un carrefour ? Devez-vous pédaler « vite » pour suivre le rythme ?
  3. Sécurité « sociale » ou collective1 – Y a-t-il un agresseur au coin de la rue ? Serai-je attaqué dans la rue si je fais du vélo ?
Une des nombreuses pistes cyclables de quatre mètres de large à Assen.
Un trajet vers l’école.

Les militants du vélo et les urbanistes peuvent s’intéresser à la sécurité réelle, et c’est une bonne chose qu’ils le fassent. Les trajets à vélo doivent évidemment être aussi sûrs que possible. Cependant, personne ne prend vraiment la décision de faire du vélo, ou de s’abstenir, sur la base de ces chiffres. En fait, la pratique du vélo n’est pas vraiment très risquée dans la plupart des pays et ces chiffres figurent souvent dans les documents de promotion du vélo. Cependant, ils ne parviennent pas à convaincre les gens de s’y mettre durablement.

Lorsque les gens décident s’il est « sûr de faire du vélo », ils se réfèrent généralement aux deuxième et troisième types de sécurité : la sécurité subjective et la sécurité collective.

En outre, s’ils prennent une décision pour quelqu’un d’autre – peut-être leur enfant ou leur conjoint – ces questions deviennent encore plus importantes.

Comment améliorer la sécurité subjective ? Voici une liste non exhaustive :

  • Les cyclistes ne doivent jamais se mêler à la circulation automobile à grande vitesse ou à fort volume. Un tiers de toutes les routes des Pays-Bas sont limitées à 30 km/h ou moins, la plupart des routes à 50 km/h offrent aux cyclistes une piste séparée, tout comme de nombreuses routes à 30 km/h où le trafic est plus important.
  • Les bandes cyclables et les pistes cyclables sans séparation substantielle d’avec la route ne sont pas adaptées à la circulation automobile à grande vitesse ou à fort volume.
  • La réduction de la vitesse et du volume du trafic est toujours utile. Toutes les rues résidentielles et un tiers de l’ensemble du réseau routier sont soumis à une limitation de vitesse de 30 km/h ou moins.
  • Les pistes cyclables entièrement séparées offrent un bon degré de sécurité subjective mais doivent être construites selon des normes appropriées. Aux Pays-Bas, elles ont une largeur minimale de 2,5 mètres si elles sont à sens unique et de 4 mètres si elles sont bidirectionnelles. Les chemins piétons sont séparés.
  • Les carrefours doivent être conçus de manière à ce que les cyclistes ne soient pas laissés de côté. Les cyclistes peuvent être séparés des automobilistes dans le temps et dans l’espace afin de maximiser l’efficacité et la sécurité.
  • Dans de nombreux cas, les cyclistes évitent complètement les carrefours afin de causer le moins de désagréments possible.
  • À Assen, les nouvelles normes exigent que les pistes cyclables qui suivent le tracé des routes soient séparées de celles-ci par 2,5 mètres. Lorsque cela n’est pas possible, une barrière métallique est utilisée, afin de donner un sentiment de sécurité subjective et de protéger les cyclistes contre les collisions.
  • Dans la mesure du possible, les pistes cyclables suivent un itinéraire complètement différent de celui des routes, ce qui, bien entendu, améliore encore le sentiment de sécurité.
  • Réduire le bruit des véhicules à moteur en utilisant des revêtements routiers plus silencieux et en installant des barrières anti-bruit entre la route et les cyclistes est utile.
Mère et enfants. Avoir plusieurs mètres de séparation avec la route est essentiel pour un haut niveau de sécurité subjective.
À la campagne, loin de toute circulation motorisée, notre famille pédale confortablement.

En ce qui concerne la sécurité « sociale » ou collective :

  • Vous devez toujours être en mesure de voir la sortie d’un tunnel lorsque vous y entrez.
  • Les angles morts sur les pistes ne sont pas acceptables.
  • Les pistes cyclables doivent être larges pour permettre aux cyclistes de s’écarter du chemin des autres personnes qui peuvent s’y trouver.
  • De bonnes lignes de visibilité sont nécessaires et il ne doit pas y avoir d’endroits où se cacher le long d’une piste cyclable.
  • Un faible taux de criminalité et un bon taux de condamnation sont nécessaires. Les cyclistes ne doivent pas avoir l’impression que la police ne prend pas leurs plaintes au sérieux. 
  • Les zones propres, sans détritus, sans graffitis, où l’herbe est tondue et où les plantations ne débordent pas sur la piste cyclable offrent un meilleur sentiment de sécurité collective.
  • Les pistes cyclables doivent être éclairées la nuit afin que vous puissiez voir les agresseurs potentiels, les obstacles sur le chemin, etc.

Si la sécurité subjective et collective est améliorée, les gens feront du vélo. Ils le voudront et donc se mettront en selle.

Pour résumer… Personne ne fera quelque chose qui lui semble trop dangereux. Chacun veut que son enfant soit en sécurité et que son conjoint le soit aussi. C’est pourquoi tant de trajets qui devraient pouvoir être effectués à vélo sont effectués en voiture. Il ne sert à rien de contester les décisions des gens ou de les ridiculiser. La personne qui prend la décision d’utiliser une voiture le fait pour des raisons tout à fait logiques. Son niveau de confiance dans le vélo dans les conditions qui sont les siennes n’est pas le même que le vôtre.

Ce qu’il faut faire… Si vous voulez que les personnes qui ne font pas de vélo s’y mettent, la bonne chose à faire est de faire campagne ou de concevoir des conditions routières qui font du vélo une option attrayante. C’est ce qu’ont fait les Néerlandais. Partout. C’est la clé de l’utilisation importante du vélo et des bonnes statistiques sécurité.

Ne faites pas l’erreur de penser que la sécurité subjective n’est une préoccupation que pour les cyclistes inexpérimentés. Personne ne souffre du fait que le vélo soit agréable. Les mesures visant à accroître la sécurité subjective et collective des cyclistes conduisent à une meilleure expérience à vélo pour tous. Les cyclistes expérimentés sont moins susceptibles d’abandonner le vélo dans un environnement subjectivement sûr. Cela devient une habitude à vie. Les personnes qui continuent à vouloir pédaler sur la route alors qu’il existe une piste cyclable parallèle sont un signe d’échec dû à la mauvaise qualité des aménagements. Il faut toujours viser assez haut lorsqu’on milite ou qu’on planifie.

Alors, quelle place pour les casques et les vêtements rétro-réflechissants ? Pour certains individus, le port de ces accessoires améliore leur propre sentiment de sécurité au point qu’ils se mettront au vélo. Cependant, ces accessoires n’améliorent guère la sécurité réelle et peuvent avoir un effet négatif sur la sécurité subjective des autres personnes, car ils donnent l’impression que faire du vélo est dangereux. Lorsque la pratique du vélo présente un degré élevé de sécurité subjective, comme c’est le cas aux Pays-Bas, personne ne porte ces accessoires de sécurité. Les cyclistes néerlandais sont plus en sécurité sans ceux-là que les cyclistes des autres pays avec.

Un enfant britannique en cours de formation. Il porte un gilet rétro-réfléchissant et un casque pour rouler dans le caniveau d’une rue résidentielle qui est sujette au trafic de raccourci rat-running.

Pour en savoir plus sur le même thème, ce billet est peut-être le plus approprié. Il existe un certain nombre d’autres billets étiquetés sécurité subjective qui montrent différents aspects de ce qui rend le vélo subjectivement sûr et ce qu’on peut obtenir. Parmi les autres éléments nécessaires pour rendre le vélo attrayant, il y a la nécessité de rendre ses trajets plus directs, donc il y a beaucoup d’exemples pour illustrer aussi cette idée.

Post-scriptum de décembre 2011 :

Je me suis rendu compte, depuis que j’ai écrit le texte ci-dessus, que de nombreuses personnes ont légèrement mal interprété ce que je voulais dire. Il existe deux types de « sécurité subjective ».

Le type de sécurité subjective le plus important, le plus global, est celui de la société dans son ensemble, qui incite tout le monde à faire du vélo. C’est le sujet de mon article et c’est ce qui fait que les Néerlandais de tous âges et de toutes conditions sociales considèrent le vélo comme une activité sûre, même s’ils portent des vêtements noirs sur un vélo non éclairé la nuit. Aux Pays-Bas, les cyclistes se sentent toujours en sécurité. Cela conduit à une part modale du vélo très élevée.

L’autre type de sécurité subjective, « à petite échelle », est celui qui implique que les gens utilisent des équipements de sécurité tels que des vêtements rétro-réfléchissants et des casques lorsqu’ils font du vélo. Si cela peut permettre à quelques personnes déjà intéressées par le vélo de rouler un peu plus et de se sentir plus en sécurité, on peut se demander si cela a un impact sur la part modale globale du vélo.

Certains prétendent que cela nuit à la part modale si les cyclistes portent des équipements de sécurité visibles pour améliorer leur propre sécurité subjective « à petite échelle ». Je pense que la sécurité subjective « globale » en est à peine modifiée. Les problèmes que les personnes qui ne font pas de vélo peuvent voir et qui les dissuadent d’en faire sont liés à la conception des rues, et non à l’accoutrement des cyclistes existants.


Toutes les photos sont celles de cyclistes subjectivement sûrs aux Pays-Bas, à l’exception de la dernière, qui montre un enfant britannique à qui l’on enseigne à « pédaler de manière plus sécurisée » à Cambridge. Il roule trop près du trottoir sur un vélo inadapté, mais porte des vêtements rétro-réfléchissants et un casque. L’enfant aux vêtements rétro-réfléchissants abandonnera probablement la pratique du vélo au bout de quelques années, tandis que les cyclistes néerlandais continueront vraisemblablement à faire du vélo toute leur vie, car les niveaux élevés de sécurité subjective en font une activité agréable.

Les enfants sur la première photo sont tous fatigués. Pourquoi ? Parce que cette famille revient du dernier jour d’une épreuve cycliste de quatre jours. Ils ont parcouru au moins 40 km par jour dans le cadre de l’épreuve, plus la distance qui sépare leur domicile du lieu de départ à Assen. L’objet que l’enfant au fond tripote en pédalant est une médaille.

Par km parcouru, les cyclistes néerlandais ont 3 fois moins de risques de mourir et 4 fois moins de risques d’être blessés que les cyclistes britanniques, 5 fois moins de risques d’être tués et 30 fois moins de risques d’être blessés que les cyclistes américains (statistiques trouvées ici, page 506). En savoir plus sur la sécurité des cyclistes aux Pays-Bas. Cependant, ces chiffres ne disent pas tout, car les cyclistes néerlandais qui correspondent à la démographie habituelle des cyclistes dans les autres pays sont beaucoup plus en sécurité que les autres. Les deux tiers des décès de cyclistes aux Pays-Bas concernent des personnes âgées de plus de 65 ans. La plupart de leurs blessures mortelles proviennent de collisions avec un seul véhicule. Autrement dit, lorsque les personnes âgées tombent de leur vélo, la vieillesse peut malheureusement suffire à faire le reste. Cet effet est pratiquement inconnu au Royaume-Uni et aux États-Unis, car très peu de personnes âgées font du vélo.

Notes

  1. Difficile de traduire habilement l’expression social security. Peut-être sécurité collective ? NdT

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