Drive scolaire rue Stanislas Julien : retour sur un buzz orléanais
À l’heure où la toute première nouvelle rue scolaire à Orléans est en passe d’être pérennisée, il est rassurant de constater qu’à un autre endroit de la ville, tout est mis en oeuvre pour rendre la sortie des classes aussi car-friendly que possible. On doit aux journalistes de La République du Centre ❤️Marie Guibal❤️ et 📹Maude Mikelovic📹 un reportage impeccable sur une initiative de la direction de l’école à l’intention de ses clients des parents d’élèves : « L’école Saint-Charles, à Orléans, a mis en place un système de « drive » écolier : plus besoin de descendre de voiture ». Cela se passe rue Stanislas Julien, une rue étroite dans l’ouest de l’hypercentre, et l’école concernée, relevant de l’enseignement privé sous contrat, est de bonne taille (10 classes). Il est peu de dire que cette innovation au ras des pare-chocs n’est pas passée inaperçue sur les réseaux sociaux le weekend des 4 et 5 décembre 2021. On pourrait en profiter pour actualiser un proverbe bien connu : bouchon bien ordonné commence par soi-même – au volant.
Very bad buzz
Pour bien commencer le weekend, l’article de La Rép’ est mis en ligne à la sortie des classes du vendredi 3 décembre 2021. Et comme la rédaction en a l’habitude, l’article est poussé sur les réseaux sociaux, à 16h43 pour Twitter et 16h46 pour Facebook. Très vite, ça va mouliner fort.
Sur Facebook, le post suscite évidemment beaucoup de commentaires et de partages – du reste, on s’en amuse davantage qu’on ne s’en indigne :
C’est surtout sur Twitter que le buzz va prendre une ampleur inédite.
Je pense que jamais un tweet du quotidien local n’avait suscité autant de réactions que ce soit en nombre de réponses (96) ou en nombre de retweets. Une telle proportion de « citations », c’est-à-dire de retweets commentés, est là aussi rarissime :
Tout le monde a eu envie d’en dire quelque chose, moi le premier :
On peut s’amuser à aller explorer toutes ces réactions, puis les commentaires à ces réactions – et ainsi de suite – mais en raison de la structure de ce réseau social, c’est assez fastidieux.
Permettez-moi d’extraire une toute petite sélection de ces retweets à commencer par l’un des plus drôles du lot :
Amusant aussi :
Eric Vidalenc (8,2 k followers), qui travaille à l’ADEME, ironise :
Le journaliste du Monde Pierre Breteau (17,4 k followers) se fend d’un commentaire synthétique :
L’urbaniste Sylvain Grisot (3,4 k followers), co-intervenant inspiré d’un webinaire de nos assises de la transition, fait également partie des commentateurs :
L’universitaire franco-colombien Carlos Moreno (17,9 k followers), fameux promoteur de la « ville du quart d’heure »1, est lapidaire :
Une star de la cyclosphère (7,2 k followers) synthétise avec humour de nombreuses réactions rapprochant cette organisation d’Uber, Deliveroo et autres services au volant de fastfood :
Le reportage contient une vidéo et celle-ci est extraite en début de soirée par le modeste compte de MDB Gif-sur-Yvette (267 followers) qui en fait l’objet d’un tweet distinct du tweet originel de La Rép’ (il contient néanmoins un lien vers l’article)2.
C’est ce retweet qui amplifie considérablement le rayonnement national d’Orléans3 dans la cyclosphère puisqu’il est repris par l’une de ses autres stars, le double-mètre Stein van Oosteren (8,2 k followers), le samedi midi :
Avant ça on a eu successivement David Belliard (22,5 k followers), ci-devant (prenez votre respiration) adjoint à la maire de Paris en charge de la transformation de l’espace public, des transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie :
Le président bien aimé de la FUB himself, Olivier Schneider (9,1 k followers), a réagi :
Ainsi que le journaliste Olivier Razemon (21 k followers), phare dans la nuit de la production journalistique sur les problématiques de transport et d’urbanisme, qui y est aussi allé de son commentaire incisif :
Il y a certainement d’autres perles dans ces centaines de réactions indignées ou consternées mais je terminerai par celle-ci, qui se résume à un simple mème4 :
En fin d’après-midi le samedi – alors que la vidéo a atteint les 62000 vues – la fin de la récrée est sifflée par Twitter qui, sur requête de la rédaction du quotidien, flingue le tweet de MDB Gif-sur-Yvette pour violation de copyright :
Alors ?
Un Olivetain livre une clé de compréhension qui a pu échapper à certain(e)s :
Comme plusieurs l’ont souligné, il est quasi impossible de stationner à proximité et à l’improviste dans ce quartier formé de rues étroites en sens unique. L’objectif de la direction de Saint-Charles était donc de simplement domestiquer le carpocalypse quotidien5.
L’article ne précise pas la proportion d’élèves concernés par ce manège mais elle est peut-être inversement proportionnelle à celle d’une école publique de centre ville – sectorisation scolaire oblige. L’heure de sortie des classes de l’école maternelle publique située juste à côté est décalée à 16h45. On peut supposer que c’est pour permettre au drive de fonctionner en continu pendant un quart d’heure et si on reprend l’estimation de 7/8 secondes par enfant livré avancée dans l’article, on arrive à une capacité de 105 (au débit moyen d’environ 7 enfants par minute). Soit un bon gros tiers de l’effectif scolarisé (~ 280).
Conclusion : ça en fait des bagnoles qui vont aller s’égayer dans les périphéries cossues de l’agglomération !
Alors que faire ?
Le camarade Sean a bien une idée :
Au fait, qui était Stanislas Julien ?
Notre encyclopédie préférée nous apprend que l’homme qui a donné à la rue son nom « était titulaire de la chaire de langue et littérature chinoises et tartare-mandchoues au Collège de France de 1832 à 1873″. Un érudit polyglotte, une pointure dans son domaine, donc6 et pas du genre à glander sur les réseaux sociaux7.
Parmi ses publications, une traduction de 126 Avadânas publiée en 1859 dont je vous propose – à titre purement récréatif – le LXVII :
L’HOMME STUPIDE ET LES GRAINS RÔTIS.
(Des hommes stupides.)
Il y avait jadis un homme stupide qui s’avisa de manger des graines de sésame toutes crues et les trouva mauvaises. En ayant mangé ensuite après les avoir rôties, il les trouva excellentes. Il se dit alors en lui-même : « À l’avenir, je n’ai rien de mieux à faire que de les semer après les avoir rôties ; je suis sûr d’en obtenir d’un goût exquis. »
Il fit en effet rôtir des graines de sésame et les sema, mais elles ne purent jamais germer.
L’affreux montage de couverture a été réalisé par mes soins sur la base de cette photo : Raysonho @ Open Grid Scheduler / Grid Engine, CC0, via Wikimedia Commons
Notes
- Voir ce billet critique de Thierry Paquot sur cette formule qui a fait florès : « La ville du quart d’heure, c’est de la com’ ! »
- Remarque technique : la rédaction de La Rép’ utilise une obscure plateforme vidéo étatsunienne créée un an avant Youtube : Brightcove. Je n’expliquerai pas comment le twittos a réussi à extraire la vidéo de l’article mais j’ai découvert que c’est très simple.
- Un rayonnement même international puisque j’ai repéré des retweets par des comptes raisonnablement importants en Espagne ici et là, en Belgique et aux Etats-Unis.
- Vous savez, ces images détournées avec lesquelles j’ai déjà fait joujou sur ce blog, comme ici ou là.
- Ce qui n’est pas sans poser des questions de domaine de compétence comme l’ont relevé certains.
- Manifestement il n’était pas tendre non plus comme le relate cette notice biographique rédigée par Jean-Pierre Drège pour un site de la BNF :
« A la mort de Rémusat, en 1832, Julien est aussitôt élu au Collège de France. Dès lors, sa main mise sur la sinologie va croissant. L’année suivante, il entre à l’Académie des inscriptions et Belles-lettres, en 1840, il devient conservateur-adjoint à la Bibliothèque nationale, en 1854, il est administrateur du Collège de France. Après avoir placé l’un de ses protégés à l’Ecole des langues orientales, en la personne de Bazin aîné en 1840, au décès de ce dernier, en 1862, il prend sa succession. Cette volonté d’écraser et d’évincer ses concurrents, renforcée par sa puissance de travail, a inévitablement donné lieu à d’innombrables différends, controverses et disputes. La plupart de ces différends ont été mis sur la place publique. Il s’agit naturellement, non d’affaires privées, mais des compétences que Julien dénie à nombre de ses collègues. »
Voir aussi sa notice biographique sur le site de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. - On trouve dans cet extraordinaire portrait-hommage de 45 pages publié en 1876 cette précision :
« Un tel labeur est bien capable d’absorber les journées. Aussi Stanislas Julien les faisait-il longues. Il était levé, en hiver, à cinq heures, en été, à quatre. À neuf heures, on lui apportait un grand bol de lait, qu’il buvait sans mot dire, et il poursuivait jusqu’à midi son travail. Alors, on lui remettait sa correspondance, à laquelle il répondait après son déjeuner, en français, en anglais, en allemand, en russe, selon la nationalité du correspondant ; et le reste du jour se partageait encore entre ses devoirs professionnels et ses études. »
D un côté SCSE appelle les parents à plus de respect aux abords des écoles…
De l’autre St Charles renonce et organise un drive….
Deux salles deux ambiances
Mais une seule chapelle ? 😜
En ce qui me concerne, j’ai (vraiment) pensé que c’était une blague du 1er avril.
Une fois la blague non confirmée (« c’est donc bien vrai »), cet article, sans aucun contrechamp (des riverains, des enfants collés à la banquette arrière par exemple) ni mise en perspective m’a effaré, et puis j’ai regardé cette vidéo stupéfiante de la directrice d’école qui décrit la beauté de ce convoi bien ordonné de bagnoles en l’opposant au spectacle désorganisé d’avant, un troupeau d’humains animés qui discutait à l’entrée de l’école. Deux conceptions de la beauté qui s’opposent. Elle aime l’ordre et que ce soit bien rangé, cette directrice. Elle demande de la souplesse aux riverains qui supportent cet insupportable bordel 4 fois par jour (matin, midi, après-midi et soir) parce qu’après tout, ça ne dure qu’un quart d’heure.
Perso, j’habite près du Cour Saint Charles, de l’autre côté de la rue des Carmes, à quelques rues de là. C’est un coin plutôt tranquille près de la rue Bannier, et ce monstrueux cortège de bagnoles organisé par des parents d’élèves en voitures, on le connait bien. Ce bordel dangereux, bruyant et anxiogène dure depuis des années dans la plus grande indifférence, alors qu’il produit bruit, odeurs, dangers en tous genres. Si on gène ce cortège, on se fait klaxonner par des parents d’élèves qui déposent leur gamin incapable de marcher au plus près de la porte d’entrée rue des Grands Champs.
Même à vélo (ce qui est mon cas), il est impossible de quitter la zone (aux inutiles DSC : on ne peut pas se croiser) car on est bloqués par le convoi de voitures qui condamne littéralement la rue et le feu de la rue Chappon (et la rue des Grands Champs), quel que soit sa couleur pour décharger sa cargaison d’humains.
Je l’ai déjà dit sur ce blog et chez JPB, mais on est littéralement dépossédés de l’espace public 5 jours par semaine à heures fixes : 7h40 à 8h09 (quand ça sonne à Saint Charles), entre 11h45 et 12h15, et à partir de 16h50. La directrice de la vidéo a l’air de trouver ça on ne peut plus normal.
On circule péniblement sur les bouts de trottoirs (pour le peu qu’il y a, quand les plus larges ne sont pas squattés par les autos, cf. les plots défoncés), on discute péniblement avec ses voisins (c’est un coin où l’on papote avec ses voisins) parce que ça roule vite et ça fait du bruit, ça klaxonne, pour arriver vite vite vite au feu rouge ou vert. Nous, riverains, on engueule nos enfants et nos chiens parce qu’on a peur qu’ils aillent sur la route et qu’ils se fassent écraser.
Tous les matins, tous les mercredis midis et tous les soirs, le rond-point du boulevard Rocheplatte est occupé par ces mêmes parents d’élèves qui neutralisent la circulation, klaxonnent, grillent les feux rouges, s’invectivent.
Les rochers habillant le rond-point (face à l’entrée du parking) sont régulièrement déplacés sur le bord extérieur du rond-point, probablement par des riverains exaspérés par le comportement insensé de ces automobilites qu’apparemment, il ne faut pas embêter, parce que eux travaillent, eux habitent loin et eux ont des enfants.
Un matin, une parente d’élève m’a dit que si je n’étais pas content (elle klaxonnait un livreur de Chronopost qui manoeuvrait péniblement), je n’avais qu’à déménager.
Jamais je ne me suis plaint du bruit de la cloche toutes les heures, des discussions, des rires et des cris des collégiens… de la vie quoi. Mais si la vie c’est un drive de SUV et de diesels aux abords des écoles, alors finalement, elle avait peut-être raison, car ce n’est pas ainsi que je conçois la ville.
J’attends toujours la réaction de notre bon Maire face à cette vision d’un spectacle que l’on peut juger soit très beau, soit très laid.
Au delà de l’affaire et du commentaire précédent auquel je plussoie, je laisse ici un léger commentaire en décalage, non pas pour vanter la trouvaille de la dame — elle a un problème, elle le résout, mal, certes, mais… — ou pour dire que dans d’autres écoles, même au moins une publique, sise rue des Écoles à Orléans, des parents agissent de même depuis fort longtemps, non, un petit commentaire pour remercier la petite page d’histoire ; nous passons au quotidien devant des noms de rues, nous lisons des noms, encore illustres ou au lustre passé, et c’est toujours bien d’évoquer, même dans un billet qui cause vélo, les gloires passées de la cité.
Ce Stanislas Julien m’aurait beaucoup intéressé s’il est fidèle au portrait esquissé.
JPB
Je savais que cette excursion historique te plairait. 😊
Quel succès cette info ! On ne va plus entendre parler de cov et de Z dans les médias, wouaw ! Orléans, ville mondialement connue pour ses écoles automobilisées. 😀
J’habite à côté du lycée St Charles, et ce n’est pas mieux. A 8h et à 16h30, c’est un défilé de voitures de livraison d’ados, et quand elles viennent les charger, souvent elles attendent, (garées sous ma fenêtre, comme par hasard 😉 ) moteur allumé pendant 10 à 15 mn !!!
Et la majorité des élèves ayant des jambes sur vélo, n’ont pas d’éclairage. Quel dommage que ces familles paient si cher l’éducation de leurs enfants et n’ont plus les moyens de financer leur sécurité ! Pourquoi l’école n’organise pas une information des familles à ce sujet,?
Grâce à l’invraisemblable prise en charge par l’État de l’enseignement privé (rémunération des enseignant(e)s, loi Debré de 1959), ces familles ne paient pas du tout cher l’instruction de leur progéniture dans ces établissements choisis.
Mes enfants sont dans cette école élémentaire, nous faisons partie des quelques familles qui se déplacent à vélo. J’avoue qu’en arrivant j’ai trouvé le système de drive effarant, le pire étant le mercredi midi où tous les enfants sortent au même creneau horaire. C’est faux de dire que les gens prennent leurs voitures parce qu’ils habitent loin, une majorité habite à une distance accessible à pieds ou à vélo. Il y en a 6 ou 7 par classe qui viennent de loin c’est minoritaire. Ce serait bien moins le bins si seuls prenaient leurs voitures ceux qui habitent à plus de 2 ou 3 km.
La directrice de l’élémentaire fait ce qu’elle peut pour limiter les embouteillages. Elle ne peut malheureusement pas éduquer les parents aux bienfaits des mobilités actives.
Et les trottoirs sont étroits et vite embouteillés également.
Merci pour ce témoignage de première main qui invite à définir ce qu’on entend par loin.
Il serait tout à fait possible d’objectiver les choses en calculant à partir de l’adresse des familles la distance à l’école.
Il est certain que ce serait très intructif.