Confinement jour 10 : vivement Walden
Heureux les casaniers, et heureuses les casanières, car Chez soi – Une odyssée de l’espace domestique est en libre accès sur le site de l’éditeur Zones. Cet essai de la journaliste Mona Chollet, publié en 2015, est une stimulante exploration de l’intime dans ce qu’il a de plus concret : les conditions d’habitat. En ce temps de confinement, il est peu de dire que toute le monde n’est pas logé à la même enseigne. Reporterre a publié hier un article sur « La « catastrophe » du confinement pour les mal-logés ».
À défaut de cultiver son jardin, quand on a la chance d’en avoir un, on peut toujours ouvrir des livres comme nous y invite l’auteure à la fin de l’introduction :
« Le petit toit que forment les livres lorsqu’on les entrouvre, tranche tournée vers le ciel, est le plus sûr des abris », écrit Chantal Thomas – une auteure vers qui ce travail m’a plus d’une fois ramenée. Je vis dans un appartement exigu, encombré et peu confortable. Je ne suis ni une grande bricoleuse ni une grande cuisinière (il va falloir inventer un mot plus fort qu’« euphémisme » pour qualifier ce que je viens de dire là). Mes capacités à exercer une hospitalité concrète sont des plus limitées. Mais je serais comblée si certains lecteurs pouvaient trouver dans les pages qui viennent un abri de cette sorte.
Au bord d’un étang
Henry David Thoreau voulait faire plus que cultiver son jardin. Il a bâti son modeste chez lui de ses propres mains pour vivre seul en pleine nature. C’était au milieu du XIXe siècle et cette expérience de « deux ans, deux mois et deux jours » est célèbre depuis que le livre qu’il en a tiré est devenu un classique américain. L’article que consacre Wikipédia à Walden ou la Vie dans les bois est labelisé « article de qualité » – je ne peux que vous y renvoyer. C’est d’ailleurs grâce à lui que j’ai appris que l’édition que je possède – L’Imaginaire chez Gallimard – reprend la première traduction française de 1922. Elle est assez curieuse par endroit mais ne manque pas de charme1.
Je vous propose ce passage extrait de la partie intitulé « Bruits »2 :
Je ne lus pas de livres le premier été ; je sarclai des haricots. Que dis-je ! Je fis souvent mieux que cela. Il y eut des heures où je ne me sentis pas en droit de sacrifier la fleur du moment présent à nul travail soit de tête, soit de mains. J’aime une large marge à ma vie. Quelquefois, par un matin d’été, ayant pris mon bain accoutumé, je restais assis sur mon seuil ensoleillé du lever du soleil à midi, perdu en rêve, au milieu les pins, les hickorys et les sumacs, au sein d’une solitude et d’une paix que rien ne troublait, pendant que les oiseaux chantaient à la ronde ou voletaient sans bruit à travers la maison, jusqu’à ce que le soleil se présentant à ma fenêtre de l’ouest, ou le bruit de quelque chariot de voyageur là-bas sur la grand-route, me rappelassent le temps écoulé. Je croissais en ces moments-là comme maïs dans la nuit, et nul travail des mains n’en eût égalé le prix. Ce n’était point un temps soustrait à ma vie, mais tellement en sus de ma ration coutumière. Je me rendais compte de ce que les Orientaux entendent par contemplation et le délaissement des travaux. En général je ne m’inquiétais pas de la marche des heures. Le jour avançait comme pour éclairer quelque travail mien ; c’était le matin, or, voyez ! c’est le soir, et rien de remarquable n’est accompli. Au lieu de chanter comme les oiseaux, je souriais silencieusement à ma bonne fortune continue. De même que la fauvette, perchée sur l’hickory devant ma porte, avait son trille, de même avais-je mon rire intérieur ou gazouillement étouffé qu’elle pouvait entendre sortir de mon nid.
Thoreau figure évidemment dans un livre de Ronald Creagh que les excellentes éditions Agone de Marseille proposent elles aussi en accès libre, et au format epub s’il vous plaît : Utopies américaines. Expériences libertaires du XIXe siècle à nos jours :
« Walden est, avant tout, utopie métaphysique, u-topie au sens fort du terme car refus de s’enfermer dans un lieu, dans une seule forme de détermination. Tel est le sens, si mal compris, de la cessation de l’expérience, clôture nécessaire à une renaissance : « Je quittai les bois pour une raison aussi bonne que celle pour laquelle j’y étais allé. Peut-être même apparaissait- il que j’avais plusieurs vies à vivre encore et que je ne pouvais plus épargner du temps pour celle-là. »
Ce Walden parfois déroutant est une lecture précieuse en ce temps de confinement.
Intermède vélocipédique
Et le vélo dans tout ça ? Il roule encore.
En témoigne cette performance signée par Aurélien, qui continue à se rendre sur son lieu de travail au guidon de son VAE3 :
Celles et ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux ont pu voir passer une petite vidéo où j’exploite la voie du milieu sur le mail orléanais :
Tout près d’une des boulangeries orléanaises qui continuent à défier la famine en restant ouvertes, il existe un endroit dont j’avais déjà parlé dans un billet un peu développé de janvier 2018 : Au commencement était le stationnement. Voilà ce que j’écrivais :
Ce lieu qui ne manque pas de charme est transformé par ses habitants en un carpocalypse résidentiel spectaculaire (chaotomobile pourrait-on dire en français inventif).
Et bien c’est plus que jamais le cas comme j’ai pu le vérifier la sacoche pleine de baguettes.
Pas de confinement pour le GCUM !
La preuve en vidéo :
Le temps de la fable
Aussi clivant, et parfois agaçant, que Thoreau, voici notre Fabrice Luchini national. Il a eu l’idée de « faire des fables tous les deux/trois jours », ce qui en 2020 signifie poster des capsules vidéos sur Instagram et Twitter. A-t-il fait comme ces nombreux Franciliens qui ont quitté précipitamment l’Île de France à l’annonce du confinement4 pour rejoindre leur résidence secondaire ou se trouvait-il déjà sur l’île de Ré5 ?
« C’est tout petit comme participation » a-t-il prévenu. Mais le talent de diction de notre Alceste à bicyclette est indéniable, même enregistré au smartphone avec, peut-être, l’Atlantique à portée de savate.
Dans la dernière vidéo en date, voici deux fables6 avec en prime une surprise sur la fin :
Que des textes vieux de près de trois siècles et demi puissent encore être lus ainsi et appréciés a quelque chose de réconfortant alors qu’autour de nous le temps s’est comme figé.
Et puis soyons patients, il reviendra c’est certain le temps d’aller explorer – à vélo par exemple – un Walden toujours à ré-inventer.
Crédit photo : RhythmicQuietude at en.wikipedia / CC BY-SA
Notes
- Cette traduction de Louis Fabulet est librement accessible en ligne. À partir de la page Wikisource vous pouvez générer le texte dans tout un tas de format dont l’epub.
- À méditer en ces temps de calme retrouvé : « Confinement : le bruit a fui les villes », Franceinfo, 27 mars 2020.
- Son Kalkhoff figure en bonne place dans L’été indien pour la 14ème vélorution orléanaise.
- « Plus d’un million de Franciliens ont quitté la région parisienne avant le confinement : comment Orange le sait », Le Parisien, 27 mars 2020.
- Pour un micmac présidentialo-people sur le thème « La Fontaine et île de Ré » lire « Vexé par Brigitte et Emmanuel Macron, Fabrice Luchini s’est vengé », Voici, 21 septembre 2017.
- Le support du texte peut aider à la compréhension : Parole de Socrate et Les deux Amis. Il n’est pas difficile de trouver les Fables de La Fontaine sur le Web. On peut signaler cette édition illustrée du projet Gutenberg.
Bravo Jeanne pour avoir rattrapé sur le fil France Express !
Quant à la place Colas des Francs, ça donne envie d’habiter Orléans. Mais, au fait, que fait la Police ? D’ailleurs, est-ce qu’elle circule à vélo ? ça m’étonnerait…
Bonsoir,
La place Colas des Francs a effectivement tout pour être bucolique mais la mairie refuse de prendre le taureau par les cornes.
https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/des-difficultes-de-stationnement-place-colas-des-francs_13520476/
Les riverains ont proposé une solution de stationnement payant avec des tarifs différenciés (un tarif résidentiel et un tarif visiteur). La mairie a refusé car il faudrait l’étendre à tout le quartier (ce qui ne serait pas un mal). Comme cette mesure rencontre une vive opposition de ceux qui n’ont pas de stationnement privatif, la mairie a opté pour le statu quo.
J’avais posé la question au maire d’Orléans qui rechigne à étendre la zone de stationnement payant car il ne dispose pas des effectifs suffisants pour effectuer les contrôles et il ne veut pas utiliser la vidéo-verbalisation.
A suivre donc.
Oui la police, tant municipale que nationale, se montre parfois à vélo. Mais c’est sporadique. Un exemple à la fin de la vidéo de ce billet : Au contact des autres dans la ville Un autre exemple (amusant) dans cette autre vidéo à la fin de ce billet : Une rentrée sous le signe de la peinture blanche.
Concernant ma vraie-fausse course j’ai bénéficié de l’allure fort tranquille du transporteur et d’un puissant vent d’est dans le dos. 🙂