Municipales 2020 à Orléans : Serge Grouard n’est pas rangé des voitures
Il n’était pas parti mais il est quand même revenu. À l’âge où tout le monde pouvait jadis prendre une retraite associée à une pension décente, Serge Grouard rempile pour une énième campagne politique parce qu’il a – qu’on se le dise – « les Orléanais au cœur ». Et dans cette ardeur retrouvée, il a le premier publié son programme électoral, cet étrange objet littéraire qui fait périodiquement travailler les imprimeurs et met à l’honneur l’énumération comme figure de style inépuisable1. Ce n’est d’ailleurs pas un programme mais un projet, et le sien c’est « l’humain au cœur ». Un cœur entretenu par un pédalage régulier au grand air ou subtilement oppressé dans l’atmosphère confinée de l’ascenseur d’un parking souterrain ?
Propos liminaires
Dans l’ « éditorial »2 il y a ces deux phrases mises en exergue :
« La ville du 20ème siècle a fait de l’urbain. Il faut maintenant faire, au 21ème siècle, celle de l’humain. »
La rime est là, graphique et sonore. En revanche, que la ville produise de l’urbain semble relever du pléonasme. Quant à opposer l’humain à l’urbain c’est méconnaître tout ce que l’humanité doit aux villes et qu’a décrit et analysé avec minutie le grand Lewis Mumford dans son immense livre La cité à travers l’histoire3. En tout cas, l’heure est grave pour Serge Grouard qui attaque fort au début de cette petite vidéo en évoquant « la lutte contre le dérèglement climatique » (0’02 » – 0’11 ») :
Mea culpa (bis)
Lors de la soirée de présentation de son programme pour les municipales, Serge Grouard a fait comme son désormais adversaire politique Olivier Carré l’avait fait au micro de France Bleu Orléans en mars 2019 : se flageller avec un câble de frein faire amende honorable sur le vélo. Encore un signe que nous sommes indubitablement entrés dans l’ère du bikewashing comme l’a si bien souligné Florent Deligia dans un édito savoureux et lumineux pour Lyon Capitale4.
Lisons cet extrait du compte-rendu de Magcentre5 :
Par rapport à ses mandats passés Serge Grouard pratique peu l’autocritique sauf sur un point : les circulations douces et le vélo : « il faut le reconnaître nous n’avons pas été bons ».
Même son de cloche à La République du Centre6 :
L’ancien maire veut également un « vrai plan de pistes cyclables » reconnaissant que sur ce sujet, la Ville et l’agglomération n’ont pas été « au top » lorsqu’il était en place.
Des propos qui pourraient contrarier son peut-être futur co-listier Charles-Eric Lemaignen, ancien président de l’agglomération, qui estimait en juin 2017 avoir porté la politique vélo « de A à Z » (voir Abécédaire lacunaire).
Fond vert
La double page consacrée à la mobilité est sur fond… vert. Son titre : « En avant pour la mobilité durable ». Il serait fastidieux de passer en revue tous les items comme par exemple ceux sur les transports en commun qui forment une sorte de catalogue de Noël – même si Serge Grouard a la sagesse de ne pas promettre la gratuité des transports en commun7. Je vais me concentrer sur trois des points de cette double page qui en comporte sept8.
Vélo
Là, c’est de la promesse XXL avec un cri qui vient du cœur. Fini le faux-vrai réseau cyclable !
- Augmenter le stationnement vélo, fort bien, c’est logique quand la pratique est en augmentation constante.
- L’inévitable passerelle, le serpent de mer orléanais depuis des décennies – dont plus d’une où Serge Grouard était aux commandes. L’Amour fou que les élus orléanais portent à ce vieux projet de passerelle doit sans doute tout à ce passage du superbe livre du même nom d’André Breton : « Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique »9.
- Augmenter la flotte de véloTAO est une bonne chose et ça ne coûte quasiment rien à la collectivité.
- C’est cocasse de proposer de subventionner l’achat de VAE : l’aide financière existe déjà !
- Quant au « médiateur » métropolitain pour le vélo, difficile de comprendre de quoi il peut bien s’agir. La politique cyclable est une composante essentielle de toute politique de transport et de déplacement. C’est donc tous les services qui doivent être mobilisés en ce sens, et pas seulement une personne sans pouvoir de décision.
Auto
Par « en avant pour la mobilité durable » il faut comprendre traction avant.
Bon, là, l’heure est vraiment grave.
On va faire une pause facepalm pour encaisser.
C’est la facétieuse et regrettée Agnès Varda qui s’en charge10 :
Ce point 5 qui nous renvoie quelques décennies en arrière. Tout est consternant dans ces propositions. À l’heure où tout le monde évoque la « ville apaisée », ce programme parle de « circulation automobile apaisée ». À l’heure où des villes mettent en place des ondes vertes pour le vélo, ce programme parle d’ « axes verts » pour les voitures. Tout ça en évoquant la mythique fluidité du trafic motorisé alors même qu’il mène invariablement à la congestion partout où il atteint un certain niveau de densité – même sur l’autoroute comme tout le monde en a un jour fait l’expérience. Citons à nouveau Lewis Mumford (qui rédigeait son texte dans les années 1960) :
« Les voitures individuelles sont devenues si nombreuses que les rues sont transformées en un perpétuel parking, et des autoroutes, indispensables à la circulation, s’enfoncent jusqu’au cœur de la cité, exigeant sans cesse la construction de nouveaux garages et parkings. Pour rendre le centre de la cité plus accessible, nos urbanistes de la congestion l’ont déjà rendu presque invivable. »
Lewis Mumford, La cité à travers l’histoire, Agone, 2011, p. 763.
Orléans en 2020 pour les Orléanais au cœur c’est en avant pour une tangentielle sud et une nouvelle trémie routière ! Misère…
Béton
Passons maintenant aux choses concrètes (de concrete, béton en anglais, ah ah !).
La voilà la grande affaire. Placer ce type de propositions dans « En avant pour la mobilité durable », fallait oser. Serge Grouard est prêt à chevaucher à nouveau son « cheval rouge », du nom du parking souterrain qu’il a fait construire lors de son deuxième mandat et dont le quotidien local disait fin 2013 à son ouverture11 :
« Avec la construction de la ligne B du tram, on pensait que la voiture n’aurait bientôt plus sa place en centre-ville. Ménageant la chèvre et le chou, la municipalité vient prouver le contraire avec l’ouverture, aujourd’hui dès 8 heures, du parking du Cheval-Rouge, à deux pas de la place De-Gaulle. Un cadeau de consolation offert aux automobilistes qui ont vu, ces dernières années, plusieurs dizaines de places de stationnement disparaître de la voie publique. »
Il s’agirait donc d’ajouter au futur parking souterrain du campus Madeleine pas moins de deux autres puits à voitures. Ce n’est plus de la consolation mais de la cajolerie. Et puis qui a envie d’une promenade arborée au milieu d’une autoroute urbaine (voir À la découverte du mail boulevard Alexandre Martin) ?
Enfin, « aider les riverains » ou encore « favoriser le commerce de proximité » par une révision à la baisse des tarifs de stationnement, on le devine12. On sent bien que Serge Grouard est tenté, pour attirer l’automobiliste-électeur, de ressusciter ce cadavre du stationnement gratuit qui n’en finit pas de mourir à Orléans. Quant au commerce, encore un programme inspiré du trop fameux « no parking, no business » dont Mathieu Chassignet a montré le caractère globalement irrationnel13. Citons la conclusion de son article :
« En bref, en déroulant le tapis rouge aux automobilistes de la périphérie pour tenter de les faire venir consommer en ville, le risque est grand que ce soit finalement les résidents du centre-ville qui utilisent ce même tapis rouge pour aller consommer dans les zones commerciales périphériques plutôt qu’à côté de chez eux. »
La petite musique du vroum vroum
Tous ces projets d’infrastructures, combien de millions ? Parce que si Serge Grouard alerte sur la politique budgétaire de son successeur en des termes vigoureux (« dérapage des finances à la métropole »), il se garde bien de chiffrer ses promesses. Et dans le même temps il est prêt à renoncer pour des raisons financières au projet de cité de la musique et des arts vivants14 qui propose pourtant d’aménager enfin de manière intelligente, et ambitieuse, une vieille et vilaine friche urbaine à l’extrême ouest de la ville.
Malgré ses grandes déclarations sur le dérèglement climatique, Serge Grouard (et son équipe) n’ont manifestement aucune idée de ce que signifie et implique la transition énergétique dans les transports15. Se trouvera-t-il quelqu’un, un de ces jours prochains, pour lui lancer le désormais célèbre « Ok Boomer »16 ?
Post-scriptum
Concernant les municipales, pour le plaisir de prolonger et lubrifier ses neurones, lire ou relire les deux premiers épisodes de la série spéciale « Grincements de pignon » du camarade JP : n° 0 et n° 1.
Crédit photo : Harald Krichel [CC BY-SA]
Notes
- Sur les 20 pages du document on trouve plus de 140 items.
- Vous ne trouvez pas ça curieux un « éditorial » dans un programme électoral ? Comme si Serge Grouard avait déjà repris les commandes d’Orléans.mag. C’est toujours un exercice délicat.
- Lewis Mumford écrit notamment en conclusion de son ouvrage que la « magnification de toutes les dimensions de l’existence humaine […] a constitué la fonction suprême de la cité à travers l’histoire » et que « c’est encore la principale raison de sa perpétuation ».
- « Succès des déplacements à vélo : l’ère du bikewashing commence ! », Lyon Capitale, 13 janvier 2020.
- « Serge Grouard accélère le rythme et présente son programme », Magcentre, 21 janvier 2020
- « Sécurité, environnement, santé : le projet de Serge Grouard pour Orléans dévoilé », La République du Centre, 21 janvier 2020
- Lire aussi « Les transports gratuits, le beurre et l’argent du beurre » par Olivier Razemon sur son blog (11 janvier 2020).
- Le septième, qui ne comporte qu’un item, est d’ailleurs une sorte d’égaré : « une ville câblée avec la fibre généralisée dans tous les quartiers ». 🤔
- André Breton avait ramené du Mexique à la fin des années 1930 un objet funèbre intitulé « le mort cycliste » (photo). Un objet lié à la tradition festive du Jour des morts.
- Agnès Varda a déjà fait une apparition sur ce blog : voir cet « instant people » sur l’île de Noirmoutier.
- « Un nouveau parking de 250 places en centre-ville », La République du Centre, 4 décembre 2013.
- Si la révision est prévue à la hausse, le programme cache bien son jeu.
- Mathieu Chassignet, « Commerces de proximité : en finir avec le dogme du « no parking, no business » », 12 décembre 2019.
- C’est ainsi que le rapporte France Bleu Orléans dans son compte-rendu : « Santé et sécurité : les deux urgences du candidat Serge Grouard aux élections municipales à Orléans », 21 janvier 2020.
- Regarder du côté de The Shift Project qui va très bientôt sortir son rapport final du « Guide pour une mobilité quotidienne bas carbone ».
- Est apparu récemment sur Twitter une variante bagnolesque du concept : Ok Vroomer. Un exemple ici par Mathieu Chassignet.
Ah ah ah !!! j’ai bien rigolé, le pauvre monsieur Grouard ne t’aura sûrement pas comme électeur !!! Texte exemplaire de synthèse électorale. Et grand merci pour les citations de Lewis Mumford – qui fut pour moi aussi un livre fondateur. Il me plait ici d’évoquer le moment où le vendeur de la librairie L’Armitières, à Rouen me le proposa timidement, voyant qu’il allait m’être révélateur, mais que son coût dépassait manifestement mes moyens. https://www.armitiere.com/decouvrir_la_librairie/ Je crois que cet homme changea le cours de ma vie.
Merci pour ce commentaire. Je relève que cette librairie est située rue Jeanne d’Arc à Rouen. 😊
C’est un signe…. A mon époque elle était rue Jean-Lecanuet … et pour toi c’est différent, par faveur spéciale certainement.
Je m’étonne toujours du poids démesuré que nos candidats accordent à l’automobiliste-électeur, alors qu’à mon humble avis, le cycliste-électeur est bien plus prompt à courir aux urnes…
Dans le cas de la liste Grouard, il me semble que ce sont les vieux qui sont courtisés en tout premier lieu (et parmi eux les vieux commerçants).