La bataille de Ferdinand Bolstraat à Amsterdam — par Bicycle Dutch
Mark Wagenbuur revient sur la lutte anti-trafic motorisé qu’ont mené dans les années 1970 les riverains de Ferdinand Bolstraat, un axe nord-sud important d’Amsterdam. Avec une pugnacité remarquable. Voici la traduction de « The battle for the Ferdinand Bolstraat » publié le 9 octobre 2019 sur Bicycle Dutch.
Ferdinand Bolstraat est une rue intéressante à Amsterdam. Elle est quasiment délestée de tout trafic motorisé. Dans les années 1970 beaucoup la considéraient comme un axe de transit majeur mais les riverains ont livré une bataille acharnée pour se débarasser des voitures. Les plus radicaux ont été jusqu’à renverser et incendier à même la chaussée des épaves de voitures. La situation est beaucoup plus apaisée aujourd’hui. Pourquoi ne pas jeter un coup d’oeil à ce que la rue est devenue et comment on en est arrivé là ?
À chaque fois que je voyage dans le pays j’emporte toujours avec moi une caméra et saisis toutes les occasions de filmer pour alimenter ce blog, c’est comme ça que je peux vous proposer quelque chose chaque semaine. C’est ainsi que j’ai procédé à l’occasion d’un déplacement à Zaanstad pour une conférence donnée à l’assemblée générale da la branche locale du Fietsersbond. Comme j’avais déjà fait un portrait vidéo de la région de Zaandam j’ai décidé de m’arrêter brièvement à Amsterdam pour y filmer.
Ferdinand Bolstraat a été réouverte en janvier 2018 après avoir été très longtemps à l’état de chantier et c’est la raison pour laquelle j’ai filmé cette rue à l’heure de pointe du soir. C’est agréable de voir toute cette foule à pied ou à vélo se mélanger de temps en temps aux trams. Les véhicules motorisés ne sont plus autorisés dans la partie nord de la rue entre Stadhouderskade et le marché Albert Cuyp. Plus au sud jusqu’à l’intersection avec Ceintuurbaan, la rue est à sens unique pour le trafic motorisé. Je me suis posté à l’angle de Quellijnstraat. C’est dans cette rue que mon arrière-arrière-grand-père Jan Wagenbuur résidait au milieu des années 1890. Son petit-fils (mon grand-père) Louis Wagenbuur est né dans Albert Cuypstraat en 1906. Ce quartier d’Amsterdam fait partie de mon histoire familiale.
La requalification de la rue a suivi un lourd chantier long de 15 ans. En mai 2003 les autorités ont fermé la rue à la circulation et entamé la construction d’une nouvelle ligne de métro partant du centre historique. Cette nouvelle ligne nord-sud n’a été inaugurée qu’en juillet 2018. Ferdinand Bolstraat a quant à elle été réouverte à la circulation en juillet 2018.
J’espère que les personnes qui se sont mobilisées pour obtenir une rue sans voitures dans les années 1970 sont encore là et toujours fières. Il y en a forcément quelques unes. Par exemple celles de Stop de Kindermoord (« arrêtons les meurtres d’enfants ») qui ont formé des chaînes humaines pour occuper l’important carrefour avec Ceintuurbaan en décembre 1972. Comme l’avaient fait ces mères de famille 19 ans plus tôt à Philadelphie. Ces militants crurent un instant obtenir gain de cause quand la municipalité promit de fermer la rue aux voitures en 1973 ! Mais une telle opposition se manifesta – principalement de la part des commerçants – que le conseil municipal changea d’avis à plusieurs reprises si l’on en croît la presse de ces années-là. Ce petit jeu de oui/non/oui de la part des autorités mit en colère beaucoup de monde. Un autre mouvement – bien plus radical – entra en scène. À l’initiative de ce “Actiegroep Ferdinand Bol Autovrij” (« Groupe d’action Ferdinand Bol sans voiture ») les manifestations prirent une tournure violente. Au plus fort de ces actions, qu’on peut qualifier d’émeutes, des épaves de voitures furent renversées dans la rue et incendiées à plusieurs reprises en 1975. (j’avais déjà posté une photo de ces événements précédemment.) Il fallu attendre encore deux ans avant que la rue ne soit fermée au trafic motorisé. D’abord, en janvier 1978, une expérimentation dans les deux sens de circulation, modifiée après six mois en un seul sens de circulation parce que les commerçants arrivèrent à prouver que leur chiffre d’affaires avait baissé de 20 %. Un peu plus tard, cette fermeture d’un seul sens de circulation fut pérennisée (1979). Il fallut donc une mobilisation de 1972 à 1979 pour obtenir la fermeture d’un seul sens de circulation ! Inlassablement, les opposants se firent entendre dans la presse : « personne n’est gagnant dans l’affaire« . Cet article notamment rend bien compte du fait que le point de vue des riverains n’était pas pris en compte. On n’évoque que celui des commerçants et de leurs clients, qui venaient d’au-delà du quartier. Dans un coin de l’article on peut lire que l’association des riverains était très satisfaite de cette fermeture d’un sens de circulation. On pourrait penser qu’une rue délestée d’une bonne partie de son trafic motorisé finirait pas être davantage appréciée avec le temps mais, encore en 1995, un urbaniste publiait un projet dans lequel il « fantasmait une requalification » du secteur aux alentours du marché Albert Cuyp. Ce rêve incluait de réouvrir Ferdinand Bolstraat au trafic motorisé dans les deux sens. Non seulement sur cet axe mais aussi dans d’autres rues précédemment fermées complètement aux voitures. Heureusement ce projet ne fut jamais mis en oeuvre en raison de la mise en chantier de la ligne de métro à partir de 2003 qui transforma tout le quartier en un immense chantier.
Ça a pris 15 ans mais une fois le tunnel percé et la station de métro “De Pijp” achevée, la zone en surface pouvait être reconstruite. La ville avait un projet englobant toute la voirie au-dessus de la ligne de métro. Depuis la gare d’Amsterdam-Central jusqu’au parc des expositions RAI, sur une distance de 4 kilomètres, la requalification des rues devait offrir plus d’espace aux piétons et cyclistes. Après une si longue fermeture au trafic motorisé il aurait été idiot de réautoriser les voitures et heureusement ce ne fut pas le cas. Le plan de requalification portait le nom de « Rode Loper » (Tapis Rouge) par allusion à la couleur du pavement destiné à recouvrir les rues. Ce plan est quasiment achevé. Quelques parties (comme le secteur de la gare centrale dont j’ai déjà parlé) sont toujours en chantier. C’est au tour de la partie sud de Ferdinand Bolstraat d’être requalifiée. Cette section restera accessible aux véhicules motorisés mais par la suppression de deux bandes de stationnement assez d’espace est récupéré pour élargir les pistes cyclables et les trottoirs. Là aussi il va devenir évident que la voiture n’est plus reine aux Pays-Bas, mais quelle bataille il a fallu mener ! Une lutte loin d’être achevée même si, comme des gens à l’international l’ont remarqué, une par une les rues d’Amsterdam se débarassent des voitures (ou quasi).