Conception néerlandaise de la vélorue — par Bicycle Dutch
La traduction du billet de Mark Wagenbuur sur la Cremerstraat transformée en vélorue publiée ici manquait sans doute d’une mise en contexte plus générale sur ce que les Pays-Bas entendent par « vélorue ». Un autre de ses billets sur Bicycle Dutch, publié antérieurement, faisait parfaitement le point sur le sujet. Voici la traduction de ce texte essentiel (titre original : « Another new bicycle street in Utrecht », 7 avril 2015).
Utrecht a récemment requalifié un certain nombre de rues en vélorues. Ce qui est surprenant car Utrecht a été la première ville des Pays-Bas à créer une vélorue et que ce fut un échec retentissant. Comment s’y prend-elle aujourd’hui ?
Quelle est la définition d’une vélorue ? (« Fietsstraat » en néerlandais ou « bicycle boulevard« comme on les appelle aux Etats-Unis1.) De nos jours, une vélorue est une rue d’un secteur résidentiel destinée à être un itinéraire cyclable majeur et un itinéraire secondaire pour le trafic motorisé. Il est essentiel que les vélos y dominent la circulation et que l’espace soit conçu en ce sens. Les automobilistes perçoivent ainsi clairement qu’ils ne sont que des invités dans un espace qui ne leur est pas dévolu. Notez que l’on parle d’itinéraire et non de rue. Les autorités néerlandaises raisonnent toujours en terme de réseau, et non rue par rue, même si ces itinéraires sont qualifés de « rue ». Le stationnement automobile dans une vélorue reste possible. Le terme de vélorue n’implique pas d’en exclure les voitures. Elles sont bien là, en mouvement ou stationnées, mais elles sont minoritaires en terme de déplacement. Situées dans des secteurs résidentiels, ces rues sont automatiquement limitées à 30 km/h. (à l’exception des routes extra-urbaines limitées à 60 km/h.)
La toute première vélorue jamais aménagée a été mise en place à Brême en Allemagne au début des années 1980. Mais les vélorues n’ont jamais connu le succès en Allemagne. Le tropisme germanique pour le droit a rendu très compliqué d’établir la priorité des vélos aux carrefours. Cette fameuse rue fut mise en sens unique pour les voitures et à double-sens pour les vélos. Il fallut 193 panneaux pour seulement deux cents mètres de voirie. Le concept de vélorue fut un peu plus tard intégré dans le code de la route allemand (en 1997). La photo ci-dessus montre une rue secondaire à Potsdam (près de Berlin) requalifiée en vélorue. D’un point de vue réglementaire il s’agit d’une voie cyclable obligatoire accessible en voiture aux riverains qui peuvent s’y garer. Il semble qu’il s’agisse d’un bon exemple bien qu’il y ait peu de (bonnes) vélorues en Allemagne. Les prérequis nécessaires à l’aménagement des vélorues sont devenus si complexes que peu de gestionnaires de voirie se sont lancés dans l’aventure.
De la même manière, la toute première vélorue des Pays-Bas n’a pas été un succès. Et c’est une litote. Tout partait d’une si belle idée. L’un des itinéraires principaux pour se rendre à l’université d’Utrecht, Burgemeester Reigerstraat, fut transformé en vélorue et réouverte en novembre 1996. Elle fut équipée d’une bordure centrale surélevée afin de rendre impossible les dépassements. Ce qui a conduit à un échec retentissant. Ce design était bien trop en avance sur son temps : les automobilistes n’étaient pas prêts à rester tranquillement derrière les vélos. La bordure rendait effectivement le dépassement impossible, même quand c’était nécessaire. On voyait les passagers d’un bus préférer marcher au lieu d’attendre dix minutes ou même davantage dans le bus coincé derrière un camion de livraison (la rue compte de nombreux commerces). Pour dépasser le camion – bloquant toute la voie – les cyclistes montaient sur le trottoir ou, encore plus dangereux, prenaient la voie opposée en contre-sens ! Les services d’urgence se plaignirent également et avertirent du danger que représentait leur attente. Les cyclistes n’étaient pas rassurés sur l’étroit trottoir et les piétons étaient terrorisés. Deux bonnes années plus tard (en janvier 1999), le nouveau conseil municipal mit fin à l’expérience. La bordure centrale fut supprimée ainsi que les panneaux interdisant le dépassement.
Utrecht a mis dix ans à retenter l’expérience. Cette fois, d’autres villes avaient pu mener à bien des expériences couronnées de succès. Qu’avaient-elles fait différemment ? Tout a à voir avec l’apaisement du trafic. Pour qu’une vélorue fonctionne, les automobilistes doivent emprunter un autre itinéraire. Ces dernières années, supprimer des voies de transit est devenu plus courant. Quand ce type de politique est mise en place il se produit exactement ce qui est nécessaire : le trafic motorisé est dévié et les rues des secteurs résidentiels, qui offrent souvent les chemins les plus courts, voient le trafic vélo dominer.
La recommendation du CROW est très claire. Le volume de trafic cycliste doit être au moins le double de celui du trafic motorisé. Le ratio entre nombre de voitures et de vélos doit être de 1 pour 2, et de préférence 1 pour 4 ou davantage. La vélorue doit aussi avoir la priorité sur toutes les rues adjacentes. Ce qui n’est pas courant dans les zones résidentielles ou limitées à 30 km/h dans lesquelles la règle de priorité à droite s’applique. Il faut donc signaler clairement aux usagers cette règle de priorité non standard. Pour améliorer le confort de déplacement, un revêtement lisse doit être mis en place (pas de pavés !). Et enfin, si l’itinéraire serpente dans une zone résidentielle, le jalonnement doit être explicite. C’est pourquoi un bitume rouge est généralement employé pour les vélorues, il n’y a plus qu’à suivre ce « tapis rouge ».
Une vélorue a besoin de moins d’espace qu’une route équipée de pistes cyclables latérales. Le faible volume de trafic motorisé ne nécessite pas de ségréger les flux. Le volume de ce trafic ne doit pas excéder les 2000 véhicules par jour. En raison de la règle minimale du 1 pour 2, la rue doit voir passer au moins 4000 (mais de préférence 8000 ou plus) vélos par jour.
Il est probablement intéressant de relever que la vélorue n’a pas de statut officiel aux Pays-Bas. À l’inverse des Allemands, les Néerlandais aiment expérimenter sans être contraints par les règles et réglements. Ils essaieront d’abord de mettre en place quelque chose qui fonctionne (quitte à tordre les règles si besoin) et ils envisageront alors peut-être de changer leurs textes réglementaires mais seulement si c’est absolument nécessaire et le moins possible. Les dernières mises en oeuvre n’interdisent plus les dépassements de cyclistes (comme c’était le cas dans l’essai utrechtien de 1996) et la gestion des priorités aux carrefours peut être traitée dans le cadre de la réglementation existante. Cela signifie qu’il n’existe pas de panneau officiel pour signaler une vélorue. Chaque ville le fait à sa manière, et certains conseils municipaux choisissent même de ne rien faire en ce sens. Bois-le-Duc considère par exemple que la conception des vélorues est assez explicite à elle seule. C’est bien le cas.
Van Humboldtstraat est un exemple de vélorue réussie à Utrecht. Cette rue résidentielle est passée à sens unique et à double sens pour les vélos. La trafic est en moyenne de 500 voitures et 3000 vélos par jour. Un ratio de 1 voiture pour 6 vélos. C’est parfait pour rendre les déplacements à vélo confortables et subjectivement sûrs.
Un autre axe à Utrecht est considéré comme moins abouti. Prins Hendriklaan voit passer environ 14000 vélos par jour mais aussi environ 3000 voitures. Même si ce ratio est dans la norme, 3000 véhicules est un chiffre trop élevé en valeur absolue. La rue n’apparaît ainsi pas complètement (subjectivement) sûre. L’apaisement du trafic devrait donc être accentué pour abaisser ce nombre. (voir le billet consacré à cette rue par Mark Treasure de As Easy As Riding A Bike).
Une autre vélorue récente d’Utrecht figure dans ma vidéo de la semaine : Troelstralaan, achevée en 2014. Le ratio véhicules motorisés/vélos y est parfait. Les automobilistes disposent en parallèle d’un axe de circulation. Il n’y a donc que les riverains qui empruntent cette rue en voiture. La chaussée est désormais composée d’un bitume rouge bien lisse et la voie est prioritaire à toutes les intersections. La rue répond donc à tous les critères et ça se voit.
Notes
- Voir ce très intéressant billet de Jennifer Dill concernant Portland : « A case for bike boulevards », 27 juin 2019. NdT
Un trafic auto au moins 2 fois plus faible que celui des vélos limite les possibilités actuellement dans pas mal de rues en France. La vélorue doit donc s’accompagner d’un plan de circulation ambitieux (voir le guide de Paris en Selle).
Je suis bien d’accord. Il faut commencer par revoir le plan de circulation. Après, tout devient plus simple.
Hello,
Pourquoi les élus rechignent à mettre à jour le plan de circulation de leur commune ?
Y-a-t-il une possible opposition forte des riverains à tout changement ?
Est-ce que le maire n’a pas toute la latitude nécessaire pour le faire ? Doit-il avoir l’aval du département ou du préfet ?
Concernant le quartier que j’habite Dunois/Madeleine, revoir le plan de circulation ne paraît pas insurmontable et les riverains perdraient 1 à 2 minutes en temps de trajet mais gagneraient énormément en qualité de vie.
Pourquoi est ce donc si compliqué de faire évoluer ce plan ?
La mise à jour du plan de circulation devrait être (aurait du être faite en) un préambule à la révision du PDU. Ce, avec un retour qualitatif sur ce qui a été fait avec le plan précédent. Cette base est importante pour comprendre la ville (répartition des activités par zones, pole d’attractivités… et permettre d’optimiser les emplacements des, par exemple, lieux de jeux urbains, parc à vélo, salle des fêtes…)(ceci existe déjà, mais probablement pas sous ce nom).
Cependant, comme nous n’avons pas eu de retour qualitatif sur l’ancien « plan-vélo », il y a fort à parier que, UN plan de circulation existe, mais bon, si nous devions suivre à la lettre les directives que nous avons écrites, ce serait encore une fois la dictature.
La révision, si un tel plan existe, ne devrait pas prendre plus de la première année de mandat, ce, pour pouvoir lancer les projets et les voir éclore (pour les plus modestes) avant la fin du mandat.
Tonton Jipé
Grand père des herbes folles des berges de Loire
Arrière grand père des cailloux de la Loire
A part quelques axes sur lesquels l’Etat (via le préfet) garde un droit de regard (convois exceptionnels etc.) le maire a en effet toute latitude.
Pourquoi ils ne le font pas ? Quand tu sais (et tu le SAIS) qu’ils n’osent pas s’opposer à un riverain qui ne veut pas de potelets sur le trottoir devant chez lui…
Plus profondément, et ça rejoint ce que j’ai dit au journaliste de La Tribune-Hebdo : il faut avoir une vraie vision à long terme de la ville et de la vie urbaine qu’on veut promouvoir. Pour le moment à Orléans c’est « on fait comme aujourd’hui avec quelques plantes en pot et quelques bornes de recharge pour véhicules électriques et ça ira bien ». Bon, je suis un peu injuste car la construction des deux lignes de tram, ou la piétonnisation du centre ancien, ont aoccasionné malgré tout de bonnes choses. Mais depuis, cette politique de reconquête urbaine est au point mort…
Je plussois sauf sur le tramway. Ce sont 2 erreurs historiques de ne pas avoir fait une onde verte tout du long des 2 lignes de tram ; une erreur, que nous, cyclistes, allons payer encore pendant 20 à 30 ans.
Au risque de passer pour le père de… en me répétant, le long de la 1ere, le plan initial le prévoyait, c’est une démission complète des fauxcialistes que d’avoir cédé aux intérêts particuliers (l’idée était de ménager le suv & son conducteur pour être certain de la ré-élection). Le long de la 2ème, les élu-e-s de l’agglomération sont persuadés qu’il y a eu un « c’est mieux que rien » de fait.
Ma conclusion lors du test :
« Peu, très peu de kilomètres réellement cyclables, à peine 5 km sur 12 ! Et encore, dans ces 5 km, il y a de l’espace mixte, c’est quasiment tout en double sens. Des kilomètres d’une bonne facture, il y en a à peine 2 (100m plus 100m multipliés par l’âge du capitaine). Des kilomètres d’une qualité propre à faire circuler 200 cyclistes à l’heure, il n’y a pas, même en baissant le niveau à 50 vélos par heure, le compteur des kilomètres cyclables dignes d’une capitale de la galaxie reste à 0 (zéro). »
https://becancaneries.wordpress.com/2018/06/26/prenons-les-au-mot/
Je te rejoins totalement. Je ne me plaçais pas, pour une fois, dans la seule optique vélo dans mon commentaire.
L’arrivée du tram a bouté la circulation automobile hors de certains axes (rues de la République et des Carmes par exemple, ou place du Martroi, mais c’est vrai que c’est n’est finalement pas grand chose quand on y pense…).
Ahhhh Il y a un exemple concret de circulation apaisée qui se met en place dans le quartier Dunois à cause de travaux de voirie… C’est assez intéressant.
La rue de Coulmiers est fermée à la circulation dans les deux sens entre la place Dunois et le fbg Saint Jean. Le fbg Saint Jean se retrouve (toujours) congestionné mais pour le quartier de la place Dunois : c’est d’un calme… Tout le trafic de transit ne peut plus passer par là et est reporté sur les axes majeurs à savoir les fbgs et et les mails.
Si t’as le temps c’est assez drôle à observer.
« Bois-le-Duc », ça doit toujours étonner les gens de voir ce nom dans un article sur les Pays-Bas.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bois-le-Duc
🙂
Le lien vers cet article de Wikipédia figurait dans ma première traduction d’un article de Bicycle Dutch : Un carrefour urbain ordinaire aux Pays-Bas
« Les cyclistes nétaient » il manque l’apostrophe 🙂
Corrigé ! 😉
Un beau retour d’expérience et un concept à faire connaître pour des candidats aux élections municipales de 2020.
voici un autre exemple en France:
http://bougezautrementablois.over-blog.com/2017/05/a-strasbourg-la-1er-velorue-a-ete-inauguree-le-vendredi-12-mai-2017-le-cycliste-serait-prioritaire.html
J’avais en tête cette implémentation franco-française en traduisant ce billet. Il semble que ce soit un parfait contre-exemple de ce qu’il faut faire.
Voir ce thread Twitter :
Et ce qui est bien dans ces billets, ce sont les photographies qui montrent les « avant » Vs « Après ». Si seulement cela pouvait être montré aux riverains de certains bout de route 😉