Requalification des mails orléanais : et maintenant l’enquête publique

Vieux serpent de mer orléanais, la requalification des mails va bientôt prendre une tournure réglementaire avec le lancement d’une enquête publique en bonne et due forme1. Le maire aux commandes depuis 2001 compte bien réussir à transformer l’essai avorté de son deuxième mandat. À la toute fin des années 2000, le projet qu’il portait, et qui concernait uniquement le boulevard Jean-Jaurès, avait obtenu un avis favorable du commissaire enquêteur, assorti d’une réserve : « la réalisation d’une étude de faisabilité sur la mise en place d’une voie réservée aux bus et aux cycles sur le boulevard »2. Le projet avait finalement été abandonné mais dix ans plus tard, cette réserve avait malgré tout été levée a posteriori grâce l’action volontaire du successeur temporaire de Serge Grouard, Olivier Carré, lors du post-confinement3. Dans le projet actuel, les voies de bus sont conservées – c’est évidemment une bonne chose – mais les personnes qui circulent à vélo sont priées d’aller pédaler au milieu des boulevards dans un espace planté. En avril 2023, j’avais profité de la publication des premières vues d’artistes pour commenter la chose et rappeler les exigences minimales en matière de vélo utilitaire en milieu urbain4. Ces exigences n’ayant pas été entendues, les militants du vélo ont fait savoir par voie de presse en avril 2024 qu’ils ne serviraient pas de caution à un projet qu’ils ne cautionnent pas5. Nous en sommes là, sur un projet (mal) ficelé depuis le début6.

La MRAe s’en mêle

C’est dans le cadre de l’enquête publique que la Mission Régionale d’Autorité environnementale (MRAe) a produit son « avis délibéré » sur ce projet de requalification. Il date du 15 novembre 2024, porte le numéro 2024-4837 et fait 22 pages. Et on peut dire que ça défouraille sec. Avec un total de treize recommandations.

Pour donner le ton, je peux extraire un des paragraphes de la conclusion de l’avis :

L’étude de trafic présentée dans le dossier prévoit notamment une baisse générale de trafic sur les boulevards, mais ces résultats s’appuient sur des données et des méthodologies peu décrites, et des modalités de report (modaux ou d’itinéraires) peu développées. Cette baisse de trafic projetée a priori nécessite d’être clairement justifiée, décrite, et quantifiée, dans la mesure où l’évaluation des impacts sur la qualité de l’air, le bruit, et le changement climatique en dépendent également.

Voilà, c’est dit. On est pas loin du doigt mouillé7.

On a aussi ce passage, où l’on reparle du « plan vélo » :

Concernant la pratique cyclable, bien que le dossier montre que la piste cyclable des Mails s’inscrit comme « clé de voute » du réseau vélo structurant (étude d’impact, p. 230), le développement du réseau cyclable au niveau de la métropole d’Orléans, et plus précisément en lien avec cette piste, n’est pas précisé. Alors que le développement d’autres itinéraires (itinéraire « magistral » nord-sud par exemple, identifié comme priorité dans le plan vélo de 2019 de la métropole) semble nécessiter un plus haut niveau de priorité à l’échelle de la Métropole.

Dans le projet actuel, la dite « clé de voute » n’ouvrira pas beaucoup de portes.

Autre extrait d’importance :

Les porteurs du projet choisissent de dédier le vaste espace central des Mails à la promenade et aux loisirs sans pour autant justifier complétement ce parti-pris. Les études présentes dans le dossier montrent, en situation projetée, une exposition au bruit toujours importante sur les Mails et un trafic de voitures dense peu propices aux activités de loisirs (notamment jeux pour enfants) prévues en situation centrale entourées des voies de circulation (cf. partie 3.2.2). Une réflexion plus approfondie sur les profils et réinterrogeant de manière plus ambitieuse ces derniers auraient peut-être permis d’élaborer des scénarios optimisant l’usage des espaces.

C’est ce que je ne cesse de souligner depuis des années8 : les mails historiques ont disparu en même temps que naissait la civilisation automobile. Cet espace ne re-deviendra jamais un espace de promenade et de vie9. Il n’y a qu’à voir qui fréquente l’espace enherbé et arboré central du côté du théâtre qui existe depuis pas mal de temps : les promeneurs de chien parce que faut bien que Médor fasse ses besoins10. On y a jamais vu une famille pique-niquer ou des enfants y jouer au ballon.

Boulevard Pierre-Segelle au niveau du théâtre en août 2008.
Vous pouvez vous aussi voyager dans le temps via ce lien Street View.

Enfin, un dernier extrait qui concerne directement le vélo :

Le projet de piste cyclable central semble respecter certaines recommandations de sécurité, notamment en prévoyant une largeur de 4 m (cf. profil en travers type), supérieure à la largeur minimum de 3,5 m (souhaités en cas de flux de cycliste important attendu), à partir de laquelle il est possible de circuler à deux de front tout en croisant un cycliste arrivant en sens inverse. Le projet, en prévoyant deux chemins distincts pour la piste cyclable et la promenade, va dans le sens d’une différenciation des espaces piétons et cyclistes : celle-ci se doit d’être sans ambiguïté (« séparation obligatoire entre le cheminement piéton et cycliste, qui doit être repérable, détectable, et non agressive [non accidentogène : pas de bordure trop haute par exemple] »).

Je reviens sur ce dernier point dans la section suivante.

Que d’arbres, que d’arbres

La publication sur le site de la ville de l’avis d’enquête publique est accompagnée de deux nouvelles vues d’artiste. C’est sûr, ça envoie du bois !

Ce n’est plus un boulevard, c’est carrément le parc floral.

On sait déjà ce qui se passera si le projet voit le jour tel quel : comme sur le pont Royal, les piétons useront de tout l’espace disponible (et on ne peut les en blâmer réellement) et empièteront nécessairement sur la piste. On ne peut pas sérieusement mêler un espace de circulation à un espace de promenade et de détente quand bien même on pense avoir formellement « séparé » les usages.

Pour la petite histoire, c’est le choix d’implanter une sorte de noue entre les deux voies de circulation et la voie de bus qui explique pourquoi la piste cyclable se retrouve coincée au sein de l’espace central. Ce n’est donc pas un problème d’espace mais un choix délibéré d’aménagement. Un très mauvais choix donc puisque, concrètement, quelqu’un qui se déplace à vélo sur ce mail 2.0 n’aura pas accès aux bâtiments le long de l’axe sauf – ironie suprême – à rouler sur le trottoir…

Un virage redressé pour le tram et un goulet d’étranglement pour la circulation devant Place d’Arc.

On parle d’une fréquentation quotidienne moyenne de 20 000 personnes sur l’actuelle esplanade de place d’Arc. Peut-on soutenir sérieusement que la piste qui devrait passer en plein milieu de la nouvelle esplanade – de plain-pied avec la rue de la République – sera respectée ? C’est un peu comme imaginer qu’on peut traverser à vélo la place du Martroi au moment du marché de Noël (ou emprunter celle qui passe au sein du centre bus destiné à être détruit alors qu’il a été entièrement rénové il y a dix ans pour plusieurs millions d’euros11).

Sac de nœuds

L’avis de la MRAe souligne à un moment :

Le dossier n’aborde pas d’éventuels nouveaux risques d’accidents que pourraient induire la reconfiguration complète des Mails en particulier pour les véhicules motorisés et les mesures mises en place pour les limiter : on peut notamment s’interroger sur les accès au nouveau parking souterrain Madeleine au sein de la partie centrale, sur le carrefour Croix de Bois x Boulevard (cf. figure ci-contre), ou sur la clarté des aménagements et notamment de certains changements de sens de circulation.

Voici la figure insérée (les ajouts en orangé, flèches et cercle, sont de mon fait) :

Une première remarque : sur ce plan, les voies de bus ne sont pas distinctes des deux voies de circulation générale. Et au niveau du cercle, les bus devraient se déporter sur la voie de gauche pour aller prendre le pont Joffre, après deux virages. Il y a tellement de sens de circulation autour de ce vrai-faux giratoire arboré, qu’on peut effectivement s’interroger, comme le fait la MRAe. Alors qu’elle se félicite par ailleurs que les traversées cyclables soient gérées par feux tricolores, on peut se demander comment seront synchronisées ceux-ci. Les deux flèches oranges pointent deux traversées délicates qui ne sont éloignées que de quelques dizaines mètres. La personne qui se déplace à vélo aime mettre pied à terre fréquemment, c’est bien connu… Avec une circulation bilatérale, ce problème (présent tout le long des mails) ne se poserait pas.

Bonus musical

Il y aura bientôt 30 ans tout juste, Morphine jouait live à la radio « Pulled Over the Car », titre qui figurait comme bonus track dans l’édition japonaise de l’album Yes (1995). La chanson parle de fatigue et de conduite automobile – raison pour laquelle le narrateur ne cesse de « se garer sur le côté ». Il finit par s’endormir au volant et par percuter un camion. Les paroles sont là.

La version album est un petit peu plus soyeuse :

Notes

  1. « Projet de requalification des mails d’Orléans : ouverture d’une enquête publique », La République du Centre, 14 février 2025.
  2. Je n’ai pas consulté les documents de l’époque, je m’en tiens à ce qui figure dans le document produit produit par la mairie fin 2022 pour la phase de concertation. Voir également « Requalification des mails : Serge Grouard cherche-t-il à se remettre en selle ? », novembre 2022.
  3. Voir « Une saison en jaune : quand le provisoire dure », octobre 2020.
  4. « Requalification des mails orléanais : premier teasing, premières interrogations », 6 avril 2023.
  5. Dimitri Crozet, « Les contours du grand projet de requalification des mails à Orléans ulcèrent les associations de cyclistes », La République du Centre, 10 avril 2024.
  6. Sur les pistes cyclables « centrales », voir cette analyse de l’aménagement du Cours des 50-otages dans une autre ville ligérienne : « Les pistes cyclables à double-sens vieillissent mal. L’exemple de Nantes » sur isabelleetlevelo.fr. (22 novembre 2020).
  7. On trouve aussi cette remarque peu aimable (c’est moi qui souligne) : « L’étude d’impact ne dresse aucun bilan carbone du projet. Au vu de la nature et de l’ampleur des travaux nécessaires et de l’objectif poursuivi par le projet, ceci constitue une lacune majeure. »
  8. Au moins depuis « la « coulée verte » en trompe-l’œil de Serge Grouard » lors des élections municipales de 2020.
  9. Pour mémoire, voici ce qu’on lit dans le document de concertation déjà mentionné sur l’histoire du lieu : « Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, les remparts sont démolis et les Mails se transforment en boulevards entourant un large espace planté qui accueille divers événements et lieux de vie : un kiosque à musique, une foire, des marchés ou encore l’exposition d’Orléans de 1905. »
  10. C’est pourquoi le camarade JP parle de « canicrottes » pour désigner la pseudo voie-verte centrale du boulevard Pierre-Segelle. Voir dans ce billet par exemple.
  11. L’aspect le plus étrange de ce projet de requalification est cette extension de Place d’Arc (quasiment un tiers de surface supplémentaire !) qui ne s’attire pas les foudres des commerçants du centre-ville, pourtant aux premières loges d’une féroce concurrence à venir.

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4 réponses

  1. Yann d'Orléans dit :

    Un point que n’aborde pas ce document c’est la destruction de la gare routière située au sous-sol de place d’Arc. Certes l’endroit n’est pas des plus joyeux (ceci dit je n’ai jamais vu une gare routière chatoyante) mais elle a le mérite d’offrir un endroit à l’abri des intempéries avec différentes voies pour les bus et un accès direct à la gare SNCF.

    Elle ne sera pas remplacée. Les élus dans leur délire veulent créer une enfilade d’arrêt de bus qui seront exposés aux intempéries. C’est un vrai recul pour la qualité de service des usagers des TEC à Orléans.

  2. Nicolas dit :

    Bonjour,
    Merci pour cette bonne synthèse de la situation actuelle. Je souhaiterais vous faire part de deux remarques.

    1. « Dans le projet actuel, les voies de bus sont conservées… »

    Comme vous le notez plus bas dans l’analyse des plans, ce n’est pas le cas sur la totalité du chantier. Sur les plans de l’enquête publique :
    – sur la portion sud des mails, la voie de bus débute / s’arrête 100m plus au nord qu’aujourd’hui (angle mails x rue croix de bois)
    – la voie de bus actuelle (quelques dizaines de mètres) sur la portion sud de la rue Albert 1er est supprimée
    – enfin et surtout, sur les mails les bus se retrouvent dans la circulation générale à l’endroit le plus critique, au niveau de la Place d’Arc !

    Le projet présenté est donc moins favorable aux transports en commun que la situation actuelle. Sans parler de l’hérésie que vous avez soulevé concernant le déplacement du centre de bus sur la voirie générale, complexifiant grandement l’intermodalité train-bus.

    2. « les mails historiques ont disparu en même temps que naissait la civilisation automobile. Cet espace ne re-deviendra jamais un espace de promenade et de vie. »

    Je serais plus modéré (ou moins fataliste:)) sur le caractère irréversible de la perte de l’espace des mails.

    Il paraît clair que le scénario consistant à faire jouer des enfants ou pique-niquer des familles sur une bande d’herbe milieu d’une 2×3 voies est irréaliste. Je me demande si la possibilité d’isoler le trafic sur un des côté des mails et utiliser toute la place restante pour faire des trottoirs larges, favoriser l’achalandage ou implanter des espaces verts a été étudiée.

    Beaucoup d’exemples existent, montrant qu’un aménagement adapté peut permettre de changer du tout au tout les usages des lieux par les habitants d’une ville.

    Je pense par exemple à la révolution qui a eu lieu Place de la République à Paris (no pun intended !) qui disposait de squares complètement inutilisés en son centre par le passé et qui aujourd’hui offre une large zone piétonne dans la continuité d’une rue piétonnisée elle aussi. Ou plus près de nous, de toutes ces places (ex : Martroi) ou rues (Jeanne d’Arc) où la réduction de la place accordée à l’automobile a permis une réappropriation de l’espace par les habitants et la vie locale.

    • Bonjour,

      Je ne voudrais pas qu’on se méprenne sur ma position : bien sûr que le projet de supprimer tous les ouvrages autoroutiers des mails va dans le bon sens. Encore faut-il avoir déjà traité le problème posé par l’intense circulation routière des boulevards ! En l’occurrence, la majorité municipale prend le problème à l’envers et pense qu’un simple aménagement paysager va tout résoudre, comme par magie.

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