Pourquoi ils vous détestent — par Mark Treasure

Un nouveau billet de Mark Treasure qui s’est mis en retrait de la vie publique depuis le printemps 20211. Ce billet, avec lequel on peut très bien ne pas être totalement d’accord, date de 2016 mais reste d’actualité, comme on dit.

Voici la traduction de « Why they hate you » publié le 28 juillet 2016 sur As Easy As Riding A Bike.

Un thème récurrent qu’on rencontre dans le milieu des militants – et même dans le grand public – est que les Britanniques « détestent les cyclistes », ou « détestent le vélo ». L’explication doit être qu’il y a quelque chose de génétique, quelque chose d’inné dans le caractère britannique, qui s’enflamme à la vue d’une bicyclette ou d’une personne juchée dessus. Que nous sommes culturellement disposés à trouver un certain mode de déplacement gênant et irritant, ainsi que son utilisateur.

Mais cette explication est évidemment très superficielle. Elle ne rend pas compte des origines de cette haine et de cette irritation, mais se contente d’affirmer qu’elles existent.

Si les gens détestent les cyclistes c’est, en fait, parce que nous gênons. C’est aussi simple que cela. Le vélo n’est pas détesté pour ce qu’il est, mais parce qu’il cause des désagréments et des tracas.


Cet homme est détesté non pas pour ce qu’il est, ni pour son mode de déplacement, mais parce qu’il occupe en partie la voie.

Toutes les autres plaintes découlent de ce problème central. Le fait de « rouler à deux de front », de « rouler au milieu de la route », de « louvoyer », et ainsi de suite, sont autant de manifestations de cette gêne fondamentale.

Cela m’a été rappelé l’autre jour lorsque j’ai vu quelqu’un exprimer son mécontentement à l’égard des cyclistes à peu près de la même manière :

« c’est le type habituel de cycliste décontracté sans casque qui soit grille le rouge soit se place devant au feu pour finir par avancer lentement au milieu de la voie »

Sauf, bien sûr, que cette personne roulait elle-même à vélo ! Il exprimait sa frustration d’être « retardé » par d’autres usagers de la voie express vélo exactement comme les automobilistes expriment leur agacement – la « désinvolture » et l’absence de casque ne sont, comme pour les plaintes des automobilistes, qu’un ornement du discours, une tentative de renforcer l’idée que les personnes qui se trouvent sur le chemin sont incompétentes ou irresponsables, et ne sont pas de « vrais » usagers d’une route ou d’une piste cyclable, contrairement à la personne qui s’estime retardée.

Personne n’aime être gêné, qu’il s’agisse de marcher sur un trottoir bloqué par une foule de personnes, de faire du vélo sur une piste cyclable où d’autres usagers vous gênent et vous empêchent de passer, ou de conduire un véhicule à moteur. C’est une caractéristique humaine innée.

Ainsi, à la base, le problème de la « haine du cycliste » est en réalité un problème d’espace. La raison pour laquelle il se manifeste si souvent et semble si omniprésent est que le vélo n’a pas de domaine qui lui soit propre et qu’il se heurte donc constamment à d’autres modes de déplacement incompatibles, avec des conséquences prévisibles. Il en va de même pour le vélo sur les voies piétonnes, qui est une source de désagrément tout aussi importante que le vélo au milieu des véhicules à moteur2.

Prenez ces personnes et transférez-les dans une configuration où elles ne gênent ni les automobilistes ni les piétons, et tous les motifs de haine disparaissent.

Ainsi toutes ces personnes – qui font du vélo sur le Blackfriars Bridge – sont dans un système distinct de celui des automobilistes et des piétons et, par conséquent, toutes les catégories d’usagers de l’espace public en présence sont bénignement indifférentes les unes aux autres d’une manière qui ne serait pas possible si elles étaient poussées dans le même espace. Ce type d’approche séparée est bien sûr universel aux Pays-Bas. Le système néerlandais, qui garantit que les routes sans aménagement cyclable ne sont utilisées par les automobilistes qu’à des fins d’accès riverain, signifie que, même sur ces routes où les cyclistes ne sont pas physiquement séparés, les automobilistes ne sont pas gênés, car il n’y a pas beaucoup d’autres automobilistes pour causer des problèmes.

Il est bien sûr vrai que ce type d’approche réduit également la frustration entre automobilistes. En veillant à ce que ces rues résidentielles inappropriées ne puissent pas être utilisées comme axes de transit, nous évitons les recherches de raccourci et l’antagonisme entre les automobilistes qui essaient de se frayer un chemin, souvent contre le flux automobile opposé, dans des rues étroites.

La solution à l’hostilité entre les usagers de différents modes de déplacement – et même entre les utilisateurs d’un même mode – n’est donc pas un appel à la tolérance, ni une tentative de nous faire « partager la route » ou « respecter les autres », mais une question de configuration. Nous ne pouvons pas éliminer les ressorts humains du sentiment de frustration. Nous pouvons concevoir des rues et des routes où cette frustration n’a même pas l’occasion de se manifester.


Crédit photo de couverture : MassDOT, Public domain, via Wikimedia Commons

Notes

  1. Ce qui a eu pour effet semble-t-il de mettre en sommeil l’activité de la Cycling Embassy of Great Britain dont il est (était ?) le président.
  2. À ce sujet, voir ce billet-poil-à-gratter d’Isabelle Lesens publié il y a trois jours : « Cyclistes et aires piétonnes : et si la Fub levait le nez de son guidon ? ». NdT

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4 réponses

  1. Abandon dit :

    Sauf lorsqu’il n’y a pas la place pour faire de jolies routes séparées, c-a-d dans BCP de cas. Entre les rues déjà à sens uniques où le trottoir est déjà très fin, et celles où les voitures garées prennent la moitié de la route, bon, la marge n’est pas énorme.
    Sinon on peut inciter à bétonner tjrs plus pour faire plus de routes, encore…
    Je conçois l’utilité des infrastructures pour vélo dans certains endroits, mais elles coûtent, polluent aussi, et ne sont absolument pas la seule solution.
    Les mentalités se changent, après tout, de même que les lois.

    • Alexandre dit :

      Il n’est pas obligatoire de « construire » ou « bétonner » plus, on peut aussi faire le constat que la France dispose d’un des réseaux routiers les plus denses du monde et qu’on peut probablement, sans grande conséquence, réserver une partie de ce réseau aux modes actifs. Le département de la Manche ouvre la voie : https://www.francebleu.fr/infos/transports/dans-la-manche-des-petites-routes-departementales-seront-bientot-reservees-aux-velos-et-aux-pietons-4792670

      Ce type de projet est très intéressant, puisque non seulement on évite de bétonner, mais en plus, ça coûte presque rien. Dans les arguments du département, il y a même « on a plus les moyens de maintenir tous les réseau routier si on laisse circuler des voitures partout ». Pour info, la dégradation d’une chaussée est proportionnelle au poids du véhicule à la puissance 4, donc si on suppose qu’une voiture est 10 fois plus lourde qu’un vélo, il faut 10000 vélos pour abîmer la route autant qu’une voiture.

      • Il me semble même qu’en dessous d’un certain poids il n’y a aucune dégradation de la chaussée (si celle-ci a été bien construite dès le départ, avec le bon « soubassement »).
        On le constate ici avec la dernière vraie piste cyclable aménagée dans les années 1980 le long de l’avenue Gaston Galloux. Les dégradations sont essentiellement dues à la croissance des végétaux et aux événements climatiques (gel etc.).

    • C’est surtout le plan de circulation qui se change. En le rendant un peu plus contraignant pour les automobilistes on récupère beaucoup de marge de manœuvre. De même avec le stationnement.

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