Requalification des mails orléanais : feu vert de la commission d’enquête
Ça y est, l’enquête publique sur le projet de requalification des mails, qui a pris fin le 10 avril à 17h, a trouvé sa conclusion. Les commissaires enquêteurs ont rendu leur rapport le 12 mai et celui-ci a été publié sur la page dédiée de la préfecture du Loiret le 16 mai. Trois retraités – un ancien gendarme, un ancien ingénieur et un ancien technicien EDF1 – ont validé le projet sans aucune réserve, ce qui n’a pas manqué de surprendre2,3. « L’avis favorable, et surtout « sans réserve« , peut paraître surprenant tant le projet suscite les interrogations et réticences dans la métropole orléanaise » soulignent Camille Huppenoire et François Guéroult pour Ici Orléans4. Nos trois retraités ont sans nul doute abattu un grand boulot, ne serait-ce qu’en analysant les nombreux avis laissés par la population. De mon côté – je n’ai pas été le seul – j’avais confié à différents moteurs d’IA le soin d’analyser ces avis. Il en ressortait que près des 3/4 d’entre eux se positionnent contre le projet soumis5. En vain, donc.
Paralogisme primordial
Le 1er avril, la commission d’enquête a rencontré le maire d’Orléans et président de la métropole « pour recueillir sa vision du projet ». Le compte-rendu de ce court entretien qui figure dans le rapport vaut son pesant de noix de cajou6.
Permettez-moi d’en commenter deux extraits révélateurs.
Non, vous n’hallucinez pas : pour Serge Grouard, il n’existe pas d’opposition rationnelle et motivée à son projet ressorti des placards de son deuxième mandat municipal.
Au-delà de l’aimable coquille qui fait se percuter « fac » et « arc », on peut souligner que Serge Grouard donne raison à celles et ceux qui soulignent que les seuls raisons de ce projet pharaonique sont la création d’un parking souterrain pour le campus Porte-Madeleine et la cession à Carmila d’un beau morceau d’espace public.
Sur le fond, on nage en plein paralogisme : il serait tout à fait envisageable de transformer la place Albert 1er sans étendre le centre commercial Place d’Arc. C’est l’hypothèse qui permettrait de ne pas créer un goulet d’étranglement indémerdable comme je le soulignais dans mon précédent billet.
Et le vélo dans tout ça ?
Si on veut une seule preuve qu’élu(e)s et technicien(ne)s continuent de ne pas prendre le vélo au sérieux dans les projets urbains – y compris les plus coûteux – il suffit d’extraire ce passage du rapport de la commission d’enquête (c’est moi qui surligne) :

Tranquillou bilou, les décideurs assument d’imposer le (trop fameux hélas) « pied à terre » aux cyclistes qui se réjouissaient de bénéficier d’une large piste cyclable sur les mails7. C’est dire le sérieux avec lequel est traitée la question des déplacements à vélo ! On était parti avec un axe vélo magistral et on se retrouve avec une traversée de place… 🙄8
Par ailleurs, le tropisme bagnolard de nos retraités-commissaires-enquêteurs est manifeste : il ne leur saute pas aux yeux qu’on ne parle pas de conflit d’usage pour les automobilistes qui conservent leur beau ruban de bitume, eux.
Vous avez dit décentralisation ?
Au-delà de ce cas d’espèce d’enquête publique pour la forme, il faut remettre en perspective tout le processus de décentralisation qui a eu lieu en France depuis les années 1980. C’est ce que fait de manière synthétique et brillante cet article de Luc Weinstein publié il y a trois jours sur Elucid9: « La décentralisation est un jeu de dupes, dont tout le monde ressort perdant ».
En voici un extrait (c’est moi qui souligne) :
« […] en dépit de la volonté de démocratisation portée par l’idéologie autogestionnaire de ses promoteurs initiaux, la décentralisation ne s’est en fait pas accompagnée de l’approfondissement démocratique attendu. Le gouvernement central de la Ve république était critiqué pour n’avoir aucun contre-pouvoir du moment qu’il avait la majorité absolue à l’Assemblée. Or, un maire, un président de département ou de région a presque nécessairement une majorité entièrement à ses ordres, qui lui obéit comme un seul homme, ce qui reproduit à l’échelle locale le modèle tant critiqué au niveau national. L’opposition n’a que le pouvoir de parler pour protester verbalement, sans prise sur le réel.
En ce qui concerne les citoyens, s’il s’est construit au fur et à mesure un corpus légal obligeant les élus à les consulter dans certains cas, il n’y a aucune obligation de tenir compte de cette consultation. L’obligation est de réaliser une consultation, pas de tenir compte de ce qui s’y dit.
Ainsi donc, plutôt que de démocratiser, la décentralisation a plutôt féodalisé, créant des fiefs et baronnies dans lesquels le seigneur local a presque tout pouvoir tant qu’il reste dans le cadre légal de ses compétences dévolues. »
La baronnie grouardienne se porte très bien.
Notes
- Ces informations sont publiques, voir cette liste.
- Romain Bizeul, « À la surprise générale, la commission d’enquête publique livre un avis favorable sans réserve pour le projet à 76 millions d’euros des mails d’Orléans », France 3 Centre-Val-de-Loire, 22 mai 2025.
- Nicolas Da Cunha, « »Un copier-coller des arguments de Serge Grouard » : l’avis de la commission d’enquête sur le projet des mails à Orléans fait réagir », La République du Centre, 23 mai 2025.
- Camille Huppenoire, François Guéroult, « Rénovation des mails d’Orléans : avis favorable et sans réserve des commissaires enquêteurs », Ici Orléans, 22 mai 2025.
- Mention spéciale du jury à cet avis argumenté de neuf (!) pages intitulé « De l’autre côté du miroir : du rêve annoncé au cauchemar redouté ». Sa lecture vaut le détour. Du bel ouvrage !
- J’ai extrait les pages du rapport dans ce fichier.
- Le fait que la piste cyclable bidirectionnelle prévue soit « large » est le principal argument mis en avant dans le rapport.
- Qu’elles sont loin les préconisations de l’appel d’offre que j’avais citées dans ce billet d’avril 2023… La réponse complète de la métropole concernant l' »interruption cyclable » figure dans l’annexe 5a pages 19-20. Pour soutenir cette politique de « pied à terre », la ville ose convoquer des exemples tirés de Tours, Nantes et… Strasbourg. LOL. Ces villes peuvent se permettre de réserver aux piétons certains espaces après avoir développé des itinéraires cyclables crédibles.
- Elucid est un excellent média qui produit des articles de fond et de longs entretiens vidéos sur une chaîne Youtube dédiée.
Bonjour, Je lis votre constat éclairant sur les pratiques de vos élus d’Orléans ce qui m’amène à me réjouir qu’à Caen où j’habite et milite pour la pratique du vélo au quotidien les élus avec lesquels nous sommes en contact très régulier pratiquent le vélo : pour moi, c’est la condition sine qua non d’avoir une écoute attentive et des retombées favorables. Sans doute pourriez-vous inciter vos interlocuteurs de la municipalité à déambuler en ville aux heures de pointe ! Bon courage !
Bonjour,
La question est aussi de fréquenter des élus qui pédalent… et qui ont un pouvoir de décision !
Cela dit, la pratique du vélo n’est en rien une garantie. Parmi les élus au manettes ici, certains ont une certaine pratique du vélo en ville, ce dont ils ont vite fait de s’enorgueillir d’ailleurs. Mais lorsqu’il s’agit de penser les choses au-delà de leur guidon, il n’y a plus personne.