La révolution du vélo à Séville : un modèle de transformation urbaine ? — par Bicycle Dutch
Dans le milieu du vélo au quotidien on connaît tous, plus ou moins, l’exemple fourni par Séville – la plus grande ville du sud de l’Espagne (684 025 habitants) – en matière de politique cyclable ambitieuse. Mark Wagenbuur est allé faire un tour là-bas récemment. Il raconte.
Voici la traduction de « The Seville Cycling Revolution: A Blueprint for Urban Transformation? » publié le 7 février 2023 sur Bicycle Dutch.
Les Néerlandais sont souvent interrogés : quelle est la preuve scientifique qu’un réseau cyclable robuste entraîne une augmentation de la pratique du vélo et surtout une plus grande sécurité ? Aux Pays-Bas, il est difficile de répondre à cette question en raison de l’absence d’une « situation zéro » claire ; l’infrastructure cyclable existe depuis longtemps sous une forme ou une autre et la culture du vélo est profondément enracinée. Cependant, la ville de Séville, en Espagne, constitue une étude de cas intéressante, puisqu’elle est passée d’une activité vélo minimale au début du 21e siècle à un climat cyclable dynamique aujourd’hui. Nous allons nous pencher sur l’histoire de la réussite de Séville et découvrir si cette ville peut fournir des leçons précieuses au reste du monde.
En 2006, Séville ne comptait que 12 km de pistes cyclables, avec une maigre part modale de 0,5 %. Les militants du vélo faisaient pression en faveur du changement depuis 1992, et leurs projets ont pris de l’ampleur lorsque le parti politique de la Gauche unie (UI) les a adoptés. Le succès électoral de l’UI en 2003 a conduit à une coalition avec les socialistes, consolidant les projets vélos dans la gouvernance de la ville.
José García Cebrián, responsable de l’urbanisme à Séville et cycliste de longue date, a été chargé de cet ambitieux projet. Il a imaginé un réseau de pistes cyclables protégées, physiquement séparées de la circulation automobile, afin de rendre le vélo accessible à tous les âges et à faible vitesse, même en vêtements de tous les jours. Séville s’est distinguée par son engagement à réaliser un réseau cyclable de 80 km en une seule fois, en récupérant la majeure partie de l’espace nécessaire sur la voiture.
Alors que la planification initiale n’a rencontré qu’une opposition minime, des difficultés sont apparues lors de la mise en œuvre. Comme l’explique M. Cebrián, l’absence de résistance lors de la planification est typique de l’Espagne, où les projets de pistes cyclables restent souvent dans les cartons. La véritable opposition s’est manifestée pendant la construction, mais à ce moment-là, la ville s’était engagée dans la transformation. (The Guardian, 2015)
Les 77 premiers kilomètres d’aménagements cyclables protégés, concentrés autour du centre-ville, ont été achevés en moins de deux ans (2006-2007). En 2011, le réseau s’est étendu à 164 km, représentant 12 % de la longueur totale des routes de la ville. Actuellement (2024), le réseau compte plus de 180 km, reliant les principales destinations aux zones résidentielles.
Le succès immédiat s’est manifesté par l’augmentation du nombre de cyclistes du quotidien, qui est passé de 6 000 à plus de 70 000. Une enquête réalisée en 2014 a montré que 6 % de tous les déplacements et 9 % des déplacements autres que domicile-travail étaient effectués à vélo. Les pistes cyclables présentaient un avantage supplémentaire : elles pouvaient également être empruntées par les personnes en fauteuil roulant, ce qui a soudainement rendu une grande partie de la ville plus accessible.
Le système de vélos partagés SEVici, qui compte aujourd’hui 2 500 vélos et 263 stations (2024), a largement contribué au succès de Séville. Exploité dans le cadre d’un partenariat public-privé avec JC Decaux, le système a offert une option abordable à ceux qui n’ont pas d’espace de stockage ou de moyens financiers pour un vélo.
Malgré les changements dans l’administration et les politiques de la ville, l’engagement de Séville en faveur du vélo est resté inébranlable. Entre 2006 et 2011, la ville de Séville a investi 32 millions d’euros dans le nouveau réseau cyclable. Des recherches menées par l’université de la ville en 2015 ont démontré la rentabilité de ce réseau. Les coûts de construction ont été estimés à 0,27 million d’euros par kilomètre, avec des coûts d’entretien annuels compris entre 250 000 et 350 000 euros. En 2011, le réseau était utilisé pour environ 70 000 trajets par jour. A titre de comparaison, la première ligne du métro métropolitain (18 km) a coûté à la ville environ 35,2 millions d’euros par km. Ce mode de transport a permis d’effectuer environ 53 000 trajets quotidiens. Les 21,5 km d’autoroutes métropolitaines en construction avaient un budget de 30,8 millions d’euros par km, avec un trafic moyen attendu de 50 000 véhicules par jour.
En janvier 2024, les chiffres de 2023 ont été publiés. Les pistes cyclables de Séville sont maintenant utilisées pour 111 125 trajets par jour, mais cela inclut les trajets en trottinette électrique. Si l’on ne compte que les vélos, ils représentent à nouveau 70 000 trajets quotidiens, ce qui signifie que la fréquentation est revenue au niveau de 2019, avant la pandémie.
Le succès de la transformation de Séville en ville cyclable repose sur un modèle qui donne la priorité non seulement à la sécurité, mais aussi à la facilité et au confort pour tous. S’inspirant des meilleures pratiques néerlandaises, allemandes et danoises, la conception du réseau met l’accent sur la continuité, la cohésion, le caractère direct, la visibilité et le confort. La construction de voies bidirectionnelles et la rapidité de la construction ont été des choix délibérés qui ont contribué au succès global. En conclusion, l’expérience de Séville entre 2006 et 2011 montre que le développement rapide d’un réseau cyclable séparé peut être un catalyseur puissant pour l’intégration du vélo dans la mobilité urbaine. Le fait de rendre le vélo facile et confortable pour tous, associé à des mesures supplémentaires, fait de la bicyclette un élément crucial du transport urbain. Séville est un exemple inspirant pour les villes du monde entier qui cherchent à améliorer la mobilité urbaine durable.
Cela devrait être inspirant mais je suis sûr que des personnes (dont des décisionnaires) rétorqueraient que la ville étant baignée par le soleil c’est plus facile d’avoir beaucoup plus de cyclistes.
Hmm perso je trouve qu’au contraire, cet exemple prouve que justement ces efforts sont assez peu efficaces. Seville avait :
– peu d’opposition
– un énorme budget
– une condition urbaine favorable, à savoir suffisamment d’espace pour caser les pistes cyclables
Résultat, la part modale du vélo reste faible (seulement doublée pour atteindre 9% mdr) comparée à la voiture qui reste dominante à 48%. BOF
On ne peut pas attendre des conditions aussi favorables pour le développement du cyclisme dans la plupart des villes de France, et perso je trouve que l’idée de reposer l’utilisation du vélo sur le bulldozer est une vision stupide et typiquement contemporaine.
Si on regarde Lyon, il y a déjà eu des efforts, même si la plupart des infrastructures sont juste des bandes cyclables. Résultat? 3% de la part modale, YES
Dans cette ville comme dans bcp d’autres, pas mal de routes sont trop fines pour y caser des pistes, sauf si on impose des sens uniques ou que l’on retire des places de parking, mais bon courage en France avec la mentalité actuelle et au regard du niveau de trafic.
Oui, je me suis initialement fait la même remarque concernant la relative faible part modale du vélo au final. Il n’empêche que la démarche est quand même intéressante.
Du côté de Lyon on serait quand même plus proche de 10 % de part modale vélo (cf. https://www.lefigaro.fr/lyon/les-ecologistes-lyonnais-denoncent-les-blocages-des-maires-de-droite-pour-freiner-leurs-autoroutes-a-velo-20230921).
Effectivement.
J’ai du confondre le chiffre avec un autre, mais merci de la correction. Le résultat est encourageant, à voir ce que ca donne avec les 250 millions de budget prévus.
Parfois je me dis qu’on pourrait faire aussi bien, voir mieux et pour bcp moins cher avec de la sensibilisation, les programmes d’EPS réorientés autour du vélo, des limitations à 30 km ainsi que des rues scolaires partout où c’est réaliste de le faire. Eventuellement aussi des rues remaniées, comme à Lyon où on a un carefour littéralement tous les 100 mètres.