Le filtre modal qui a éveillé mon intérêt pour l’urbanisme — par Bicycle Dutch
Quand l’histoire personnelle de Mark Wagenbuur rencontre les transformations successives d’une rue d’un quartier d’Utrecht façon « ville nouvelle » des années 1960, ça donne un billet richement illustré et, comme toujours, instructif.
Voici la traduction de « This modal filter sparked my interest in urban design » publié le 6 décembre 2023 sur Bicycle Dutch.
« Ce filtre modal a-t-il toujours été là ? » m’a demandé Herbert Tiemens, chargé de mission principal pour la circulation et le transport de la ville d’Utrecht, lorsque nous sommes passés devant la maison où j’ai grandi. Je savais que ce n’était pas le cas, et j’ai soudain réalisé que l’histoire de cette rue où j’ai vécu enfant pourrait bien être à l’origine de mon intérêt pour les aménagements (cyclables) et l’urbanisme au sens large, sans parler de mon obsession à documenter le changement. Tandis que nous continuions à pédaler pour les deux collègues finlandais d’Herbert, j’ai commencé à réfléchir à l’évolution de cette rue. À l’aide de mes archives personnelles et de celles de mes parents (que je conserve depuis le décès de ma mère en début d’année), j’ai pu reconstituer l’histoire de ce filtre modal. Elle est liée à toutes les choses que je publie depuis 15 ans maintenant.
Le quartier d’Overvecht, au nord d’Utrecht, a été planifié dans d’anciennes prairies. La partie sud, où j’ai grandi, a été construite à partir du début des années 1960. Mes parents ont acheté le terrain sur lequel ils allaient construire leur maison en 1964. Le 6 juillet 1966, nous avons emménagé dans la maison nouvellement construite. J’y ai vécu jusqu’à ce que je déménage en 1988. Mes parents ont continué à vivre dans cette maison jusqu’en 2009, et depuis lors, des personnes que je ne connais pas l’occupent. La maison est maintenant située dans une rue tranquille, mais cette rue était à l’origine prévue comme route d’accès au quartier et servait d’axe de transit. Cependant, à partir de l’année prochaine, elle sera transformée en tout le contraire : un « woonerf » (une zone d’habitation1) !
Le fait que la rue ait été conçue comme un axe de transit ou une voie d’accès au quartier est déjà évident d’après son nom. Toutes les routes d’Overvecht destinées à la circulation portaient le nom de rivières. Mon ancienne rue portait le nom du fleuve italien le Rubicon. (celui que Jules César a traversé après avoir déclaré « Les dés sont jetés »). Le quartier est constitué de différents quadrants. Dans chacun de ces quadrants, les petites rues ont été nommées en fonction d’un thème différent. Dans mon ancien quadrant, il s’agissait d’opéras, tandis que la rue adjacente porte le nom de personnages d’une célèbre œuvre littéraire historique néerlandaise. Tout cela montre à quel point ce quartier a été planifié sur la planche à dessin. Les quadrants résidentiels ont été planifiés dans une mer de verdure. Overvecht est toujours l’un des quartiers les plus verts d’Utrecht. Cependant, les routes étaient également très généreuses. Il y a 10 ans, j’ai publié un article sur la manière dont une partie de ce réseau surdimensionné à Overvecht-Noord a été modifiée.
Cet axe de transit a été fustigé par les habitants dès le début, surtout lorsqu’il est devenu une route prioritaire au début des années 1970. Une route prioritaire est une rue qui a la priorité sur toutes les rues secondaires. Elle a attiré la circulation car les gens pouvaient traverser rapidement le quartier sans avoir besoin de s’arrêter. C’était extrêmement dangereux pour les nombreux écoliers qui y jouaient ! En 1973, les habitants ont obtenu que la liaison entre deux quadrants soit coupée pour la circulation automobile afin d’améliorer la sécurité. Selon les journaux, tous les habitants y étaient favorables, sauf trois personnes, dont le boulanger et le laitier qui vendaient au porte-à-porte avec leur camionnette. Ils se sont battus contre la décision de la municipalité de fermer la rue. Et après 5 ans, ils ont obtenu gain de cause auprès de la plus haute juridiction. Par arrêté royal de décembre 1977, la rue a dû être rouverte à la circulation automobile. Au cours de l’été 1978, la municipalité s’est conformée à la décision du tribunal, mais les habitants ont vivement protesté, allant jusqu’à demander conseil au mouvement Stop de Kindermoord (« Halte au meurtre d’enfants »).
À l’âge de 12 ans, j’ai tenu un album lors de cette conversion. À l’époque, j’étais très favorable à la réouverture de la rue. Après tout, nous habitions juste à côté du filtre modal, ce qui nous obligeait à faire le plus long détour. Bien sûr, mon point de vue a changé aujourd’hui ! La forme en S de la piste cyclable, qui a existé pendant cinq ans (de 1973 à 1978), a été conservée, mais les dalles en béton de la piste cyclable ont été remplacées par des briques pouvant supporter des véhicules plus lourds. Les deux entrées ont également été surélevées. La forme en S et les ralentisseurs ont permis de maintenir les vitesses à un niveau bas. Enfin, une interdiction pour les poids lourds a été mise en place. Le fait que la rue ait été fermée pendant 5 ans signifiait apparemment que la plupart des automobilistes avaient trouvé un autre itinéraire. Les vitesses et les volumes de trafic d’avant la fermeture ne sont pas revenus (d’après mes souvenirs).
L’histoire continue sous les photos.
Entre-temps, le quartier a malheureusement été confronté à un certain nombre de problèmes sociaux. Les maisons ont vieilli et la composition de la population a changé. De nombreuses personnes d’origine non occidentale et des personnes à faibles revenus ont emménagé dans les appartements locatifs relativement grands et abordables. Overvecht dans son ensemble est désormais connu au niveau national comme un quartier problématique que la ville s’efforce de changer. Ce coin, où plus d’un quart des maisons unifamiliales appartiennent à leurs habitants, est resté un lieu de vie vert et attrayant. Pour moderniser un peu le quartier, les rues ont été modifiées à plusieurs endroits au fil du temps. Des dos d’âne, des extensions de trottoir aux angles et des rétrécissements de chaussée aux croisements ont été mis en place. Tout cela afin de décourager le trafic de transit et de rendre la traversée des rues plus sûre. Apparemment, l’une de ces mises à jour a également entraîné une nouvelle fermeture de la rue. J’ai découvert que cela s’était produit au cours de l’été 1998, mais je ne m’en souvenais pas moi-même, et lorsque j’ai interrogé d’autres résidents de l’époque à ce sujet, ils ne se souvenaient pas non plus de la seconde fermeture. Il semble que la deuxième fois que cette rue a été fermée, le processus s’est déroulé en douceur et est passé inaperçu.
Aujourd’hui, un changement encore plus important est prévu ! En 2024/2025, le quadrant le plus au sud-est d’Overvecht sud sera reconstruit en premier. Dans ce plan, la section la plus courte de Rubicondreef sera transformée en « woonerf » (zone d’habitation). Soixante ans après la création de ce quartier, la municipalité doit remplacer le système d’égouts. Elle en profite pour rendre les rues plus sûres et plus vertes.
Sur son site, la ville d’Utrecht communique ainsi sur ce projet :
« Qu’allons-nous faire ?
- Nous allons effectuer d’importants travaux d’entretien des rues et du réseau d’égouts.
- Nous rendrons les rues plus sûres.
- Nous remplacerons les surfaces bitumées et pavées par des plantations.
- Nous allons permettre à l’eau de pluie de s’infiltrer autant que possible dans le sol (au lieu de l’évacuer par les égouts).
- Nous rendrons l’espace public plus vivable : agréable pour marcher, faire du vélo et s’attarder.
Ce qui va changer :
- Nous réduirons la vitesse maximale à 30 kilomètres par heure dans la plupart des rues et à 15 kilomètres par heure dans les rues Rubicondreef et Hildebranddreef.
- Nous remplacerons tout le bitume par des pavés.
- Nous planterons 191 nouveaux arbres (soit 78 arbres de plus qu’aujourd’hui).
- Nous remplacerons 7 250 m² de bitume et de pavés par des plantations.
- Nous transformerons Hildebranddreef et Rubicondreef en un endroit agréable pour s’asseoir et jouer. »
Les plans montrent que le centre de la rue deviendra un espace vert avec seulement quelques places de parking pour les résidents à chaque extrémité de la rue. En conséquence, l’ancienne route de transit deviendra un cul-de-sac. Lorsque la section locale du Fietsersbond s’en est aperçue, elle a plaidé pour que les cyclistes puissent continuer à emprunter cette voie, ce qui a été fait dans les plans révisés. Bientôt, seule la référence au fleuve dans le nom de la rue Rnous rappellera que cette zone d’habitation était autrefois conçue comme une voie d’accès au quartier. Cette transformation est particulièrement intéressante pour moi, mais des changements majeurs semblables se produisent dans de nombreux endroits aux Pays-Bas. Ma fascination pour ces changements constants a commencé quand j’étais un petit garçon (ou du moins c’est ce qu’il me semble). Je continuerai à suivre ce type d’évolution avec grand plaisir pour mes futurs articles de blog et vidéos.
Notes
- Sur le concept de woonerf, voir ce billet. NdT