Mais pourquoi cette rue d’Utrecht est-elle interdite aux vélos ? — par Bicycle Dutch
Les péripéties urbanistiques d’Utrecht dans la seconde moitié du XXe siècle racontées à partir de la présence d’un panneau de signalisation incongru dans une ville considérée parfois comme la capitale mondiale du vélo.
Voici la traduction de « Why is cycling not allowed on this Utrecht street? » publié le 2 mars 2022 sur Bicycle Dutch.
Pourquoi le vélo est-il interdit dans cette rue d’Utrecht ? Cette simple question posée sur Twitter par Jere M. est à l’origine de ce billet. La réponse courte a été donnée par Jere lui-même : parce qu’il y a une vélorue parallèle, mais il avait le sentiment que cette réponse n’épuisait pas le sujet et il se trouve que je savais qu’il avait raison ; il y a autre chose. Ma réponse a donné lieu à un fil de discussion sur Twitter, mais j’ai décidé de transformer ce fil en un billet de blog complet avec une vidéo.
Pour la réponse longue, il faut remonter au début des années 1950, lorsqu’Utrecht réfléchissait à l’avenir de la mobilité urbaine. Des experts ont été invités à élaborer des plans de transformation de la ville de manière à l’adapter à la motorisation de masse attendue. Le premier plan a été élaboré par un ingénieur allemand de la circulation, M. Feuchtinger. Au début des années 1960, son plan a été révisé par M. Kuiper, qui était plutôt un urbaniste. Leurs visions auraient radicalement changé la ville. Des routes auraient été construites là où il y avait auparavant des champs, comme Talmalaan, cette rue où l’on trouve aujourd’hui le panneau d’interdiction de circuler à vélo. Talmalaan serait devenue une pénétante à 2×2 voies. Une route sur laquelle on se garderait bien de circuler à vélo. La route aurait été reliée à la partie nord du périphérique intérieur d’Utrecht (Kardinaal de Jongweg). Au sud, elle aurait traversé une partie existante de la ville. Le tracé a été planifié dans une zone comportant des rues parallèles plus petites. En supprimant un pâté de maisons entre ces rues parallèles, on obtenait une largeur libre suffisante pour poursuivre la route jusqu’au centre, au sud. Cette route a été appelée Noord-Zuid Doorbraak (coupure nord-sud) car elle aurait littéralement traversé la ville du nord au sud. J’ai beaucoup écrit « aurait » et « aurait pu », car si certaines parties de ces plans ont été réalisées, la ville n’a jamais tout mis en œuvre.
Le premier plan de Kuiper date de 1962. Il a été adopté par le conseil sans même un vote public des membres du conseil. C’était une décision partisane. Le public n’a pas eu son mot à dire à l’époque. Bien sûr, les habitants d’Utrecht ont remarqué les plans et beaucoup n’étaient pas du tout satisfaits de ces décisions du conseil. Le public s’est peu à peu impliqué, grâce à une nouvelle loi sur l’urbanisme, entrée en vigueur en 1965. Cette nouvelle loi exigeait que le conseil organise des consultations publiques. Cela a donné plus de pouvoir aux gens ordinaires et le débat public a entraîné des changements spectaculaires à Utrecht. Il est difficile d’identifier un moment précis où les plans ont été abandonnés, mais 1970 est généralement considéré comme un moment charnière.
En 1970, les habitants les plus critiques et avisés s’étaient organisés. Un nouveau conseil avait été élu, avec des membres beaucoup plus jeunes et notamment plus de femmes. Les architectes engagés pour donner forme aux plans étaient également d’une autre génération, avec une vision différente de ce que devait être une ville. L’architecte du théâtre musical de la ville ne voulait pas combiner le théâtre qu’il avait conçu avec la route proposée sur Vredenburg. Il a rallié le nouveau conseil municipal à sa cause. C’est ce qu’on appelle le « problème Vredenburg ». La route a été retirée du plan. Et il y a eu d’autres développements. Une fois les premières parties des plans de rénovation de la ville construites, elles s’avèrent beaucoup plus coûteuses que prévu. Le gouvernement national n’était pas disposé à financer des plans qu’il ne soutenait pas. Une ministre, Mme Klompé, avait arrêté la majeure partie de la route de l’ancien canal de ceinture autour du centre historique de la ville en classant monument national une partie du canal. (Des parties ont été construites, mais la route a été enlevée et le canal est maintenant de retour). En quelques années, les opinions sur l’avenir d’Utrecht ont complètement changé. Dans le rapport « De toekomst van de Nederlandse binnenstad 1960-1978 » (L’avenir du centre-ville néerlandais 1960-1978) de 2016, Tim Verlaan écrit :
« La rapidité avec laquelle s’est opéré le changement de mentalité quant à l’avenir du centre-ville d’Utrecht est illustrée par deux brochures publiées par le conseil municipal, l’une avant la « question du Vredenburg » et l’autre peu après. La première édition de la brochure « Utrecht : Hier, Aujourd’hui et Demain » (1969) parlait de l’expérience harmonieuse et programmatique de la modernité : « La ville bourdonne d’activité. […] de manière rigoureuse, Utrecht construit son avenir de manière professionnelle et efficace ». En 1972, cependant, le même bureau faisait référence à un type de centre-ville très différent : « Les gens font de la ville ce qu’elle est. Une telle ville sociale est une source de renouvellement social, offre la possibilité de nouer de nombreux types de contacts et est un lieu où les citoyens peuvent être merveilleusement anonymes parmi leurs pairs. » La ville comme lieu où les citoyens doivent se sentir chez eux et heureux. »
En 1977, le conseil municipal d’Utrecht a voté un nouveau plan de rénovation urbaine. De nombreuses routes prévues dans les plans précédents avaient tout simplement disparu de ce plan, notamment la Noord-Zuid Doorbraak (coupure Nord-Sud). Il rendait superflue la route à quatre voies prévue sur Talmalaan. La route est restée à ses deux voies temporaires (une dans chaque direction) et ce n’est qu’au 21e siècle que l’espace réservé à la route a finalement été réutilisé pour de nouveaux logements. Pendant tout ce temps, et jusqu’à ce jour, la route est restée fermée aux cyclistes. Lorsque la route ressemblait à une future pénétrante routière, c’était tout à fait compréhensible, mais maintenant que des logements ont été construits directement à côté de la rue, c’est devenu un peu bizarre. Peut-être que cette interdiction, l’un des derniers vestiges des plans routiers d’Utrecht des années 1960, devrait également être supprimée. Même s’il existe une rue parallèle parfaite pour les cyclistes, pourquoi ne serait-il pas possible de circuler à vélo sur la Talmalaan à l’avenir ?