Les Groues à vélo

Commençons par saluer ce joli titre de La Tribune – Hebdo : « Les Groues, avant les grues ». C’est que la constitution d’une ZAC est imminente. Un dossier de concertation a été mis à la disposition du public sur le site de la métropole (du 10 mai 2019 au 10 juin 2019). Cédé par l’armée à la fin des années 1990, ce grand terrain en friche accueille depuis quelques années une chaufferie biomasse qui « inquiète les riverains »1. Et il est prévu d’y implanter d’ici trois ans un centre de détenus en fin de peine2 ce qui ne réjouit pas davantage les habitants de Blossières. Si on ajoute à cela la construction en cours d’un poste source pour la fourniture d’électricité, on peut comprendre la réaction de la présidente de l’association Pôle nord qui déclarait à La Rép’ en février 2018 : « Dès que l’on a quelque chose dont on ne veut pas ailleurs, on le met aux Groues ! »3.

Grande tâche verte à mi-chemin entre la tangentielle à l’ouest et la RD2020 à l’est.

Depuis, le maire est venu sur le terrain, des réunions de concertation ont été organisées4 et un architecte – Patrick Bouchain – a été appelé à la rescousse5.

Adieu Central Park ?

L’association Pôle nord militait depuis 2008 pour la création d’un grand parc qui profiterait en premier lieu aux habitants du quartier des Blossières6 en rappelant que dix ans plus tôt on évoquait déjà la création d’une sorte d’île Charlemagne bis7. Le fait que ce grand terrain vague soit à cheval sur deux municipalités de sensibilité politique opposée explique sans doute pourquoi le SIVU créé à l’occasion a végété pendant presque 20 ans8 avant d’être dissout en mai 20179. En fait de « mini-Central Park » orléanais – que l’association Pôle nord imaginait sur 15 à 25 ha d’un seul tenant10 – ce sera au final un parc composite de 6,3 ha (2,3 ha au nord, 3,3 ha de corridor est-ouest et 0,68 ha de promenade) sur les ~ 40 ha de friches (le périmètre global de la ZAC, incluant une liaison Libération – Tangentielle, étant d’environ 59 ha). C’est beaucoup moins que les 341 ha du fameux parc new-yorkais mais rapporté à la superficie de Manhattan, c’est beaucoup plus en proportion, les gratte-ciels pour millionnaires en moins11.

Rien de tel qu’une décharge sauvage pour égayer la friche.

Expérimentation en périmètre réduit

On évoque depuis longtemps l’ « éco-quartier des Groues » sans que l’on sache précisément de quoi il peut bien s’agir. Pour le côté « quartier », est envisagée sur la ZAC la construction de 900 logements avec « des typologies d’habitats variées permettant à chacun de trouver sa place dans le quartier » (p. 60 du dossier de concertation).

Pour le côté « éco » quelques arbres ont déjà été plantés dans une logique de pépinière et d’arboretum. Cette opération de « pré-verdissement » a donné lieu à la publication d’une petite vidéo sur la chaîne Youtube de la métropole :

Et puis il y a l’atout « architecte de renom » :

Argument marketing ?

Le projet de La Preuve par 7 de Patrick Bouchain, bien mis en avant sur les pancartes officielles, est :

une démarche expérimentale d’urbanisme et d’architecture qui travaille avec des porteurs de projets urbains, d’équipements, d’habitat, en cours de développement à travers la France, à 7 échelles territoriales.

C’est pour l’échelle « métropole régionale » que le projet a retenu Orléans. A la page dédiée on peut lire : « l’occasion de mettre à l’épreuve la fabrication d’un éco-quartier et de ses critères, en y imaginant un premier lieu de vie. » Ne nous emballons pas trop quand même : seuls 6000 m² de la future ZAC ont été réservés à cette expérimentation (p. 42 du document de concertation). Le reste du projet sera donc conduit comme d’habitude, c’est-à-dire par les promoteurs immobiliers retenus qui commercialiseront au compte-goutte les logements – probablement pour éviter de faire pression à la baisse sur les prix12.

On trouve introduite page 46 du dossier de synthèse la notion de frontage avec en illustration des photos très probablement tirées du livre de Nicolas Soulier Reconquérir les rues dont on avait dit quelques mots ici même. S’il est réellement mis en place, il s’agit certainement d’un des aspects les plus intéressants du projet propre à « créer une ambiance spécifique [au futur quartier] ».

Entrée de la future ZAC côté Saint-Jean-de-la-Ruelle (rue du 11 octobre). Le trottoir qui sert de piste cyclable (!) devrait être doublé d’un espace de circulation piétonne

Et le vélo dans tout ça ?

Comme dans tout projet urbain d’ampleur, la première question soulevée concerne la circulation et le stationnement. D’ailleurs on débat actuellement sur la meilleure façon d’atténuer l’intense flux motorisé qui exaspère les riverains de la rue des Murlins13. Ce serait fâcheux que la ZAC des Groues et ses futurs 900 logements viennent ajouter aux nuisances actuelles. Cela dit, même l’association Pôle nord avait sur la question une position très convenue et n’envisageait pas qu’on puisse déplacer et stationner autre chose qu’une voiture (texte issu du rapport commandé en 2012) :

L’association préfère que l’usage de la voiture ne soit pas totalement exclu de l’éco-quartier de peur que le problème ne soit que repoussé aux franges de celui-ci. Elle imagine des possibilités d’accès aux logements en véhicules, et préconise en compensation des zones 30 pour garantir une plus grande sécurité (circulation réduite et apaisée). De même des possibilités de stationnement permanent seraient à prévoir en surface ou souterrain, afin de desservir les logements et divers équipements, services et activités. En revanche, elle a bien conscience des défis environnementaux que recouvre un projet d’écoquartier, et souhaiterait voir se développer des formes de mobilité alternatives, moins polluantes et/ou partagées, par exemple, une station d’auto-partage (pour les voitures), ainsi que des pistes cyclables ou encore la création de deux lignes de bus (reliant la rue des Murlins et Saint-Jean-de-la-Ruelle). Enfin, une circulation limitée des poids lourds est fortement souhaitée.

Bref, faire comme si on faisait un éco-quartier mais sans aller jusqu’à imaginer copier les meilleurs : Vauban en Allemagne. Surtout que l’aménagement des Groues va aussi être l’occasion d’ajouter un bon gros maillon routier. Dit en langage technocratico-urbanistique (p. 22 du dossier de concertation) :

Situé à proximité du centre-ville d’Orléans et entre deux axes structurants de la métropole : la D2020 et la tangentielle Ouest, l’OAP identifie cette friche comme un secteur clef pour le développement du quart Nord-Ouest de la métropole tant sur la thématique des déplacements, puisqu’il constitue un maillon essentiel du projet d’axe de contournement urbain est/ouest, que sur la création d’un nouveau quartier intercommunal.

Même si le maire annonce vouloir éviter tout « effet autoroutier », le phénomène bien documenté du trafic induit ne manquera pas de se manifester.

Schéma p. 39 du dossier de concertation.

Mais qu’on se rassure, « 80% de l’espace [du boulevard urbain métropolitain qui reliera le secteur libération/lnterives à la tangentielle] sera dédié aux circulations douces, aux espaces verts et à la gestion des eaux pluviales » (p. 24 du dossier de concertation). Bref, on entendra bien la circulation motorisée mais on essaiera de la masquer. Selon les intentions affichées, il devrait cependant y avoir ce qu’il faut pour circuler à vélo dans le coin :

Schéma p. 62 du dossier de concertation. Un « quartier sans voiture » ? En voilà une idée qu’elle est bonne ! Bon, ce ne sera pas pour cette fois-ci.

Des photos d’avant (histoire locale)

Le site des Groues a été habité peu après la Deuxième Guerre mondiale. On apprend dans un document de travail provisoire de 2006 de l’agence d’urbanisme de l’agglomération orléanaise :

La création par l’État, en 1950, de la Cité de relogement d’urgence des Groues a opéré une première ponction sur les emprises acquises par l’armée en 1874. La Cité d’urgence composée de baraquements en bois était organisée rigoureusement selon une trame de 6 voies parallèles bordées d’alignements d’arbres […]. Cette cité a été revendue à la Ville entre 1965 et 1969, puis cédée à l’Office Municipal d’HLM en 1970 pour construire les 5 plots de la Cité Benoni Gaultier.

Sur Facebook d’anciens habitants partagent au sein d’un groupe public leurs photos souvenirs de cette époque comme le signalait Orléans.mag dans son numéro d’avril. Dans le lot il y en a de très chouettes :

En guise d’épilogue provisoire : quand dojo ne rime pas avec vélo

A la lisière nord des Groues est installé le dojo Jean-Claude Rousseau. Sur la porte vitrée de l’entrée, on y trouve la petite affichette suivante :

Sur le côté de l’entrée, à l’abri des intempéries, cinq arceaux :

De part et d’autre de l’entrée, plus ou moins abrités, deux racks de pince-roues :

Ajouter des arceaux, c’était pas possible ? Ou même, rêvons un peu, prévoir un local vélo à l’intérieur du bâtiment ?

On espère beaucoup mieux pour la ZAC des Groues. Et en attendant d’en voir le résultat – d’ici 10/15 ans – un petit tour à vélo sans queue ni tête dans ce futur ex-terrain vague :

Notes

  1. « Les deux raisons pour lesquelles la chaufferie biomasse des Groues, à Orléans, inquiète les riverains », La République du Centre, 23 février 2019.
  2. « On en sait plus sur le centre de détenus en fin de peine qui va ouvrir aux Groues à Orléans », La République du Centre, 12 novembre 2018. Il s’agit très précisément d’un nouveau type de structure issu du récent « plan prison » : une structure d’accompagnement vers la sortie (SAS). Voir cet article par exemple.
  3. « Ils veulent un mini-Central park à Orléans, ils auront des transformateurs électriques et une « prison » », La République du Centre, 26 février 2018.
  4. « Ce qu’il faut retenir des ateliers de concertation sur le futur écoquartier des Groues, à Orléans », La République du Centre, 6 février 2019.
  5. « Dans quinze ans, le quartier des Groues, à Orléans, sera méconnaissable », La République du Centre, 24 avril 2019.
  6. Voir sur leur site Web.
  7. Voir sur leur site un article de presse de mars 1998.
  8. Une brève du Moniteur du 9 octobre 1998 se terminait sur : « L’aménagement de ces anciens sites militaires devrait devenir un des principaux chantiers de l’agglomération avec des travaux prévus pour 10 ans. »
  9. « Les Groues deviennent responsabilité de la métropole », La République du Centre, 22 mai 2017.
  10. L’association Pôle nord a même fait appel à un bureau de recherche qui a remis en 2012 un rapport de près de 20 pages fort intéressant.
  11. Rappelons, pour le seul plaisir de l’anecdote, que « Central Park » a été le nom donné par des promoteurs mégalos à un des projets immobiliers de la ZAC Sonis dont l’aménagement aura été terminé avant que celui des Groues ne commence. La Rép’ avait fait de la pub au projet fin 2012 dans ses colonnes.
  12. « […] le rythme de promotion et de commercialisation des habitats est souvent inférieur à 100 logements par an » expliquait Olivier Carré en février dernier.
  13. « Des « riverains fatigués » à l’origine du projet de sens unique dans le haut de la rue des Murlins », La République du Centre, 27 mai 2019

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4 réponses

  1. janpeire dit :

    Quand à la page 62 du dossier de concertation il se donne à lire « piste existante x » de ce qui n’est qu’une bande, rien de plus qu’une bande cyclable, compatible avec stationnement, la notion de « piste sécurisée » fait peur, terriblement peur de la voir relier à rien, terriblement peur de la voir foncer vers la voie express.

  2. Yann d'Orléans dit :

    Page 23 : désenclaver…. Oui mais avec des mobilités actives uniquement et des TeC sinon ca finit comme la place d’Armes à Sonis où les rues jouxtant la place sont des raccourcis pour conducteurs pressés.

    Bref, aucune volonté de faire un éco-quartier où les gens qui marchent et qui pédalent sont prioritaires sur l’ensemble du périmètre.

    Bien loin des Pays bas et de ça :

  3. Yann d'Orléans dit :

    Tiens tiens, je viens de passer par Les Groues ce soir et un chemin a été mis en dur.

    Seul souci pout y accéder : il y a une bordure énorme et des plots en bétons qui empêchent les vélos de passer en toute sécurité.

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