Olivier Carré entre (provisoirement) dans l’histoire (du vélo à Orléans)

8 mai 1429 : Jeanne d’Arc reprend la ville d’Orléans aux perfides Anglois. 15 mai 2020 : Olivier Carré libère un demi-pont de l’oppression automobile. Et on ne va pas bouder notre plaisir ! Il a d’autant plus de mérite qu’il a arraché cette décision à un conseil municipal déchiré par une opposition interne déchaînée, et qu’il était la seule tête de liste à ne pas s’engager pour une expérimentation d’une voie réservée aux vélos sur le pont George V en cas de victoire aux élections municipales. En l’absence de fêtes johanniques cette année pour cause de pandémie, prendre cette décision était probablement la plus subtile façon de rendre hommage à une personnalité visionnaire. Olivier Carré n’entre donc pas dans l’histoire d’Orléans comme Jeanne d’Arc par la Porte Bourgogne mais à vélo par le pont Royal – pardonnez cet excès d’enthousiasme, c’est du provisoire il paraît !

Plan média

Cette décision spectaculaire a fait l’objet d’une orchestration médiatique bien conduite.
Le dimanche 10 mai, Olivier Carré a fait une apparition dans un sujet du 20H de TF1.

Les moments clés de la minute trente consacrée à notre bonne ville :

« Là il y a la voiture qui continue de passer, les piétons, et on sort les vélos du pont [sic] pour les mettre tous là. »
« C’était pas prévu, c’est les circonstances qui nous obligent à faire en sorte que les gens puissent circuler de façon sécure sinon ils ne viendront pas en centre ville. »

Le surlendemain c’est un article dans La Rép’ qui donne l’occasion aux élus de s’expliquer longuement1 :

« Le vélo, c’est une réalité en milieu urbain. L’opinion publique y est déjà favorable. Il y a aujourd’hui une demande évidente, une accélération indéniable puisque les gens y voient une alternative à la voiture et aux transports en commun. Il faut s’adapter en urgence et améliorer des points. Ma responsabilité, c’est que les cyclistes ne soient pas révulsés ou inquiets. Je ne veux pas qu’ils renoncent à venir en centre-ville », affirme Olivier Carré. 

Le pont n’est que la première étape d’un plan de déconfinement pour le vélo sur lequel j’aurai l’occasion de revenir une fois les aménagements temporaires réalisés. Et dans le même article, l’enthousiasme du moment est exprimé par le vice-président métropolitain Bruno Malinverno qui a pu par le passé être moins inspiré (voir « Entretien pour La Tribune-Hebdo : making-of et prolongements », octobre 2019) :

« On s’est réunis par visioconférences pendant le confinement. On avance comme jamais on n’a avancé ! Les services travaillent le week-end, tout le monde est motivé. Ce qu’on aurait pensé faire en 1 ou 2 ans, on va le faire en trois semaines. […] »

De l’urbanisme tactique dans une stratégie électorale ?

D’aucuns s’interrogent sur Twitter :

Du côté de la liste « Les Orléanais au coeur » conduite par le revenant Serge Grouard, l’homme du greenwashing ostentatoire, on a pas mis longtemps à choisir le bouton sur lequel appuyer :

Les sueurs froides du spin doctor.

Dès l’annonce par la mairie de ces futurs aménagements, les colistiers Florent Montillot et Charles-Eric Lemaignen ont dégainé un communiqué de presse dont voici un extrait qui vaut le détour en voiture :

[…] concernant le franchissement du pont George V, le groupe « Les Orléanais » a déjà fait des propositions concrètes pour améliorer le passage des vélos, mais refuse toute décision hâtive et prise sans concertation (notamment avec les commerçants) sur la suppression d’une voie de circulation sur le pont George V. Une telle décision qui confond vitesse et précipitation est inopportune dans le contexte actuel , en raison d’une part de la situation très précaire de nombreux commerces de chaque côté du pont et d’autre part de la diminution sensible du trafic automobile pendant cette période de crise. Une telle décision précipitée est d’autant plus inappropriée, qu’aucune solution n’a été proposée au groupe de travail réuni ce lundi pour permettre une circulation sécurisée des vélos au débouché du pont du côté St Marceau et que la proposition de suppression de la circulation automobile rue Royale n’a pas satisfait les élus du groupe « Les Orléanais » en raison des risques importants pour les commerçants du Centre-ville.

Il est de notoriété publique que les clients des commerces du centre ville ne se déplacent qu’en voiture ! Rengaine connue qui ne repose sur rien et qui présuppose que les gens ne sont pas capables de changer, de s’adapter, et de s’engager dans une transition des modes de déplacement qui est inéluctable. C’est bien comme cela qu’il faut avant tout comprendre cette décision concernant le pont Royal : un énorme signal envoyé aux habitant(e)s.

Par ailleurs, comme l’a déjà fait remarquer tonton JP dans son dernier billet, l’ancien président de l’agglomération se prononçait pour une neutralisation d’une voie du pont fin 20172. On a tout à fait le droit de changer d’avis mais vaut mieux le faire dans le bon sens – comme Olivier Carré qui sur le sujet n’a pas fait preuve de précipitation, bien au contraire.

Sur les réseaux sociaux

Je ne voulais pas rater ça :

Les autorités non plus :

Parmi les centaines de commentaires qui ont afflué sous les différentes publications Facebook qui se sont fait l’écho de l’événement, on peut retenir ces deux-là, qui prennent la juste mesure des choses :

À l’heure de pointe du soir, la foule s’est emparée de cet espace dégagé, et une légère euphorie était palpable, incarnée par ce cri du coeur d’une petite fille entrant sur le pont côté sud : « mais c’est génial ! »

À hauteur de parapet

Pour fêter cette libération, rien de tel qu’un aller/retour en mode sifflotage :

Où l’on se rend compte, quand on n’a plus à surveiller ses arrières, que la chaussée est très dégradée.

Olivier Carré s’est donc largement inspiré du projet avorté du collectif Vélorution proposé lors du budget participatif 2019, projet qui, pour emporter l’adhésion, ménageait sciemment les commerçants du centre ville. Mais on va vite se rendre compte que les piétons vont préférer profiter de cet espace dégagé plutôt que s’entasser sur le trottoir de 1,9 m de large sur lequel ils profitent des gaz d’échappement des inévitables longues files de voitures qui s’entassent sur la voie entrante. Et on va se rendre compte que ce flux de personnes est massif. La prochaine étape, logique, serait donc de réserver aussi l’autre voie aux mobilités actives.

Il n’y a pas que les CSP+ qui souhaitent se mettre au vélo. La preuve :

L’ironie de l’histoire, c’est que le seul magasin de vélos du centre ville – la boutique Cyclable – ne sera pas sur le trajet de la piste cyclable aménagée rue Royale dans le prolongement de la voie désormais cyclabilisée du pont.

Ailleurs en France

Orléans s’inscrit dans une dynamique nationale.
Côté pont, voici une décision là aussi historique et spectaculaire en Île de France :

Et du côté d’un affreux boulevard du Besançon de Robert Panier, là aussi une mise en oeuvre audacieuse d’un aménagement cyclable temporaire :

https://twitter.com/RobertPanier/status/1261004782833188866

N’oublions pas qu’au-delà de notre vieux pont Royal, nos chers mails orléanais vont être eux aussi traités par des voies bus-vélo dans le cadre du plan de déconfinement.
Affaire à suivre de très près donc !

En attendant, certains ont tout compris :

Notes

  1. « Voici les aménagements cyclables (et piétons) provisoires qui arrivent dans la métropole d’Orléans », La République du Centre, 12 mai 2020.
  2. « Orléans : la mairie étudie la suppression d’une voie de tram sur le Pont Royal », France 3 Centre Val de Loire, 17 novembre 2017.

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12 réponses

  1. janpeire dit :

    Un billet à 5 étoiles pour la piste éponyme.
    J’y suis passé en milieu de mâtinée et suis très très très agréablement surpris de voir autant de personnes (piéton⋅ne⋅s, enfants, cyclistes, trottinette… et malheureusement scooters) déjà utiliser le pont, et tant pis pour les probables conflits d’usage (à modérer dans le temps).
    Avec le superbe beau temps, après les semaines d’enfermement, le pont libéré est un plaisir qui touche, et touchera si les pouvoirs publics gèrent la situation, aussi bien les commerçant⋅e⋅s du centre, que la rive sud qui avait ce matin, éclairée par le soleil, des envies de terrasse, de temps de loisirs, de farniente.

  2. REGIS REGUIGNE dit :

    Seuls les cyclistes sur la voie cyclable ! Les piétons ont leur trottoir ; donc  » chacun à sa place et , les vaches seront bien gardées  » proverbe normand à faire respecter là ; non ?

  3. Gus dit :

    Superbe article ! Et tant mieux si les piétons et les vélos se partagent l’espace, à vitesse modérée cela ne pose aucun souci. Les commentaires pro voiture sur Facebook me scient littéralement´ incroyable de voir à quel point certains sont incapables de se détacher de leur voiture signe extérieur de tristesse.

  4. Bon on s’attaque à l’avenue Dauphine maintenant 🙂

  5. V-LO dit :

    Emotion de voir de mon vivant (comment ça je m’emballe ?? 😉 ) ce pont se transformer EN-FIN et faire un peu plus de place aux mobilités douces. Un long combat mené sans relâche qui a porté -plus que temporairement j’espère- ses fruits.
    Même si les conflits d’usage seront inévitables, ils montrent aussi que lorsqu’on peut se déplacer à pied ou à vélo en sécurité, lorsque la ville nous fait la place, chacun de ces modes de déplacement reprend ses droits dans la ville !
    Une belle avancée, qui je l’espère, en appellera d’autres bien plus ambitieuses que des pictos misérables dans les caniveaux des boulevards.
    Face à l’incroyable reprise du trafic auto sur les boulevards et en centre-ville avec ses excès de vitesse, feux grillés, musique à fond et autres comportements de beaufs déconfinés, j’attends avec impatience les prochaines réalisations.
    Vive le vélo ! 🙂

  6. BOBAT dit :

    Lundi 18 mai, j ai emprunté le pont Royal dans les deux sens à 2h d intervalle. Trop de piétons sur la piste cyclable pour mes 2 passages. Un groupe de piétons prenait la totalité de la piste. Nous avons un trottoir pour les piétons suffisamment large sur ce pont. Un panneau de chaque côté du pont invitant les piétons à utiliser ce trottoir me semble indispensable. Les deux descentes de chaque côté favorisant la vitesse, le risque d accrochage entre piétons et vélos est important.
    J ai été invectivé alors que j avais annoncé suffisamment tôt mon arrivée d un coup de sonnette non agressif. Aux risques d’accidents pour les plus agressifs nous pouvons ajouter un risque d agression. Une des vidéos montre bien le nombre de piétons empruntant la piste. Réagissons maintenant avant que les mauvaises habitudes s installent

    • Merci pour ce témoignage.
      Le conflit d’usage apparaît effectivement inévitable en l’état actuel des comportements observés.
      Cela dit le (seul !) trottoir du pont n’est pas très large : 1,9 m alors qu’il faudrait un minimum de 2,50 m. Et puis surtout, les gens ont envie de prendre leur aise loin des gaz d’échappement.
      Bref, une seule solution : réserver la chaussée de la voie entrante aux piétons !

      • C’est la suite logique.

        Dans un futur (plus ou moins lointain), je vois bien la partie basse de la rue Royale complètement piétonne au moins jusqu’à la rue de Bourgogne et le pont G5 complètement fermé aux motorisés.

        • V-LO dit :

          Les installations temporaires de la rue Royale semblent terminées, et j’ai eu la surprise de constater que, dans le sens sud-nord, les feux cyclistes de la nouvelle voie cyclable sont synchronisés sur le feu auto de la voie parallèle dorénavant réservée aux autos. Je pensais qu’on circulerait sur des flux distincts, pour 100% de confort et de sécurité ! C’est idiot, on s’arrête en même temps que les autos, on redémarre en même temps qu’elles, et on finit même par se croiser et devoir leur laisser la priorité.
          De plus, on se retrouve à devoir non seulement s’arrêter tous les 100 mètres maxi pour cause de feux rouge tout le long de cette rue Royale, mais en plus à devoir relancer sur la double voie de tram qui passe en biais (au niveau de la rue du Tabour), avec en plus une bande jaune matérialisant un improbable cédez-le-passage sur la voie de tram. Et à l’arrivée de la rue Jeanne d’Arc, on doit se rabattre au dernier moment sur la voie réservée aux autos.
          Ca me semble un peu raté pour le coup, je pense qu’on peut largement améliorer tout ça pour quand on rendra ces installations définitives ! 😉

          • J’ai accompagné hier une journaliste de La Rép’ pour « tester » l’aménagement (l’article devrait être en ligne aujourd’hui).
            Il y a de gros soucis de conception et vous les avez clairement identifiés. En l’état actuel il n’y a quasiment aucun gain pour les personnes qui se déplacent à vélo et, surtout, leurs besoins spécifiques n’ont pas été pris en compte.

            Je vais revenir là-dessus dans mon prochain billet.

          • janpeire dit :

            « C’est idiot, on s’arrête en même temps que les autos, on redémarre en même temps qu’elles, et on finit même par se croiser et devoir leur laisser la priorité. »

            Non, nous ne devons pas laisser la priorité aux autos. Une bande même provisoire possède le même régime de priorité que la voie qu’elle longe. En tournant à gauche, les autos perdent la priorité.

            JPB

          • Je pense que V-LO fait allusion au cédez-le-passage pour accéder au sas vélo avant le croisement avec la rue Jeanne d’Arc.

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