Entretien pour La Tribune-Hebdo : making-of et prolongements

Quand on s’entretient avec un journaliste, on peut toujours craindre des mécompréhensions car, selon le célèbre adage, entre ce qu’on croit dire, ce qu’on dit, ce que l’autre comprend etc. … Alors qu’allait-il ressortir de cette grosse heure d’entretien autour d’un bon gueuleton avec le rédacteur en chef adjoint de La Tribune-Hebdo, un des « gratuits » orléanais ? Pour ce dossier consacré aux questions de mobilité, c’est Bruno Malinverno, le vice-président métropolitain aux transports, qui a fourni le contrepoint au cours d’un entretien distinct. Dans la synthèse proposée sur une double page – honnête et correcte – ça frite, ça fight et c’est très bien ainsi. De quoi susciter ces quelques prolongements.

Un politique ou une politique ?

« Dis-donc, tu vas quand même pas me laisser cette coquille à la une, hein… »

En une, ce titre choc : « Voitures et vélos à Orléans. Le match est lancé ! » (le lien propose sous forme de fichier au format pdf les trois pages extraites du n° 287 de La Tribune-Hebdo)1. Dans l’accroche, une coquille est restée :

« Face à un politique qu’il juge trop peu contraignante pour les voitures, le collectif Vélorution monte au créneau en évoquant « un clientélisme automobile »… »

Il faut lire « une politique ». Et c’est bien ce que j’avais confié au journaliste : le vélo à Orléans c’est un peu tout le monde et personne. Il n’y a pas parmi les élu(e)s un monsieur ou une madame « vélo » clairement identifié. Le sujet n’est pas porté politiquement par une figure reconnue – et soutenue. On pourrait dire – sous forme de pirouette verbale – qu’on n’a ni le politique ni la politique en la matière. Mais on a un nouveau plan vélo comme le souligne l’article « Quelle place pour le vélo à Orléans ? ». Bruno Malinverno était d’ailleurs présent à la tribune lors de sa présentation en réunion publique début juillet. Il en a logiquement rappelé ses objectifs à dix ans2. Soit. J’ai cependant déclaré, et c’est rapporté mot pour mot : « il y a un hiatus très important entre le discours et les réalisations. » Il suffit de mentionner ce qui a été fait tout récemment sur la RD2020 sud pour s’en convaincre, ou le simple fait qu’on trouve utile de mettre en place des barrières à la jonction de deux pistes cyclables. Le contraire de l’indispensable continuité, le contraire de ce qui fait réseau (cyclable). C’est surtout le signe que ce mode de déplacement n’est pas encore complètement pris au sérieux. Au fond, quand Bruno Malinverno dit « le vélo, c’est bien, mais ce n’est pas tout ! », transparaît la conviction, qu’il partage avec l’immense majorité des élu(e)s de tout bord, que ce moyen de transport simple, fiable et peu coûteux – pour ses usagers comme pour la collectivité – ne saurait être une véritable alternative à cette bonne vieille voiture3.

Quelques chiffres

L’idée de ces entretiens croisés a été suscitée par la publication des chiffres clés de la mobilité dans la métropole orléanaise4. Cette publication annuelle propose un bilan des différents modes de déplacement ainsi que celui de l’accidentologie et de la qualité de l’air5. Cette édition 2018 souffre elle aussi d’une coquille dans un tableau qui est hélas repris tel quel dans le journal.

Il faut inverser ces deux lignes. C’est pour l’autosolisme que l’objectif est une baisse de dix points à l’horizon 2028 à 39 % de part modale. Pour le covoiturage l’objectif est d’une augmentation de deux points à 8 %. Ce qui donne au final 47 % de part modale voiture visée en 2028 (contre 55 % aujourd’hui).

La noble vertu du partage

Le verbatim « le partage de la route, c’est inefficace », mis en exergue, mérite une mise en perspective pour dépasser son caractère elliptique : tout à leur souci de ne pas « opposer les modes » – voir La roue voilée de la communication officielle – les élu(e)s aiment à prôner le partage de la route. Ça ne mange pas de pain et ça peut même paraître généreux. Or c’est inefficient – comme les appels au « civisme » en matière de stationnement sauvage – si on ne met pas en place les conditions nécessaires à une cohabitation raisonnablement fructueuse : un apaisement de la ville, c’est-à-dire une diminution des vitesses et du volume de trafic motorisé. Le journaliste de La Tribune-Hebdo ne croît pas si bien dire quand il titre l’autre article du dossier « La voiture doit perdre du terrain ».

C’est aussi une allusion à l’axe 1 du PDU adopté cette année (voir Brève excursion dans le maquis administratif de la planification urbaine). Il s’intitule « Développer un partage de la voirie plus équitable favorisant les modes alternatifs ». Le plan d’actions est loin d’être inintéressant mais, encore une fois, tout dépendra de sa mise en application concrète :

Stationnement et transports en commun : qui paie quoi ?

Bruno Malinverno confirme que les élu(e)s ont calé sur la question du stationnement (voir À Orléans le cadavre du stationnement automobile gratuit bouge encore). Hors de question d’étendre le stationnement payant ou d’augmenter ses tarifs. Ce qui vient déjà mettre à mal l’axe 1.4 cité ci-dessus (« Agir sur le stationnement privé pour inciter à des comportements plus vertueux »). En revanche, concernant l’éventuelle gratuité des transports en commun, changement de perspective : « je ne suis pas favorable à cette option, car ce qui n’a plus de prix n’a plus de valeur. » C’est exactement ce qui se passe avec le stationnement gratuit et ses effets de bord rappelés par Frédéric Héran (voir son article mis en lien dans Au commencement était le stationnement) :

« Quand un bien est gratuit, sa demande est infinie. Pourquoi se priver, puisque cela ne coûte rien ? Comme le stationnement en France est presque toujours gratuit ou peu tarifé, les gens réclament encore et toujours plus de places à proximité immédiate de tous les lieux de destination. »

Agir contre le stationnement automobile c’est agir pour le vélo6.

En dehors du tram, véritable locomotive des transports en commun dans la métropole, il est très difficile de développer davantage l’utilisation des TC dans des zones souvent trop peu denses. Les lignes de bus restent sous-utilisées. L’efficience du tram, TC en site propre, se traduit dans ces chiffres : il ne parcourt que 20 % des 11,5 millions de km annuels du réseau TAO mais effectue 63 % des 36 millions de voyages annuels. Gratuité pour les usagers ou pas, les TC coûtent chers à la collectivité d’où cette prudence bien compréhensible de Bruno Malinverno : « Je ne pense pas que la solution soit de créer d’autres lignes de bus. »

Piétonniser malin

Concernant la piétonnisation, elle découle du principe de subsidiarité dans les transports ou du paradigme dit « des rues pour tous »7. La priorité doit être accordée aux piétons. Piétonniser les centres bourgs dans la métropole, comme évoqué dans l’article, « serait absurde » pour Bruno Malinverno parce qu’il est « pour l’usage de la voiture en ville, parce que des personnes en ont besoin, notamment pour des questions de santé. » C’est un faux débat comme le rappelle très fréquemment Olivier Razemon. Et il suffit de parcourir le secteur historico-piétonnier d’Orléans pour constater que de nombreux véhicules continuent d’y circuler. Il s’agit avant tout de traiter le trafic de transit.

Une idée force

Parmi les choses non retenues par le journaliste dans son article, l’idée selon laquelle on ne créé pas des aménagements cyclables pour faire plaisir à celles et ceux qui font déjà du vélo dans leurs déplacements utilitaires. Une politique cyclable ambitieuse s’adresse avant tout à celles et ceux qui aimeraient se mettre en selle mais n’osent pas (manque d’incitation, sentiment d’insécurité etc.). Or les études menées sur la question montrent qu’il s’agit d’une proportion importante des populations urbaines. Nos élu(e)s locaux(ales) devraient toujours garder cet élément à l’esprit. Le vélo est encore relativement marginal dans les rues mais il ne l’est pas/plus dans les têtes. C’est donc tout un imaginaire à inscrire concrètement dans les villes de demain.


Crédit photos : Center for Jewish History, NYC [No restrictions], via Wikimedia Commons

Notes

  1. Si on prend un peu de recul – et même volonté de faire le buzz mise à part – le simple fait de pouvoir parler de « match » vélos/voitures est déjà en soi une victoire culturelle. C’eût été inimaginable il y a dix ans.
  2. Ces objectifs principaux sont : créer 119 km d’aménagements cyclables utilitaires, en « reprendre » 62 km et traiter 69 « points durs » sur l’ensemble de la métropole (« carrefours complexes, en croix, ou en T, les giratoires, les ruptures de continuité »).
  3. Et pourtant les élu(e)s ont les chiffres sous les yeux : 2/3 des déplacements métropolitains font moins de 3 km.
  4. Détail amusant : le mot « vélotafeur » fait son apparition dans le document, p. 7. Une conséquence de la réunion publique au cours de laquelle Olivier Carré a confié avoir appris l’existence de ce mot ?
  5. Celle-ci a été plus souvent « moyenne à médiocre » (+ 39 jours par rapport à 2017) mais jamais « mauvaise à très mauvaise ». Est-ce satisfaisant ?
  6. Un exemple : pour mettre en place son ambitieux plan vélo, Séville a supprimé 5000 places de stationnement. Cf. « Plan ambitieux de réseau cyclable à Séville: réussite et développement », UCI, 5 février 2019.
  7. Voir à ce sujet le support d’une conférence donnée par Frédéric Héran le 9 octobre 2017 sur « La renaissance du vélo dans la transition écomobile ». Ou encore la « reconquête des rues » évoquée dans À vélo la ville est seize fois plus dense.

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7 réponses

  1. Yann d'Orléans dit :

    Ca m’énerve ce genre d’articles…. On laisse croire aux lecteurs que les cyclistes se déplacent exclusivement à vélo. 90% des cyclistes sont également des automobilistes qui font une utilisation raisonnée de leur voiture.

    Cela n’est jamais dit! Quand on lit ces articles, le cycliste passe pour un énergumène qui rejette en bloc la voiture. Pourtant non! Les cyclistes ont juste une corde de plus à leur arc pour se déplacer : le vélo.

    Concernant l’argumentaire de monsieur Malinverno, il utilise la vieille recette de comment fait Jeanne Calment pour aller faire ses courses à vélo et ramener ses 8 packs de Vittel… Si et seulement si tous les déplacements de moins de 3km faits par des personnes en bonne santé se faisaient à bicyclette : pas besoin de déviation de Jargeau et plus aucun bouchon dans la métropole.

    Mais M. Malinverno est dans l’excès et comme tout propos excessif, il est sans aucune valeur.

    D’ailleurs pourquoi un VP transport et un VP politique cyclable pour la métropole? L’un incluant l’autre.

    • REGUIGNE REGIS dit :

      Yann, je partage intégralement votre propos. Au quotidien, à vélo, je vais acheter mon pain et mon journal à 1,5 km de mon domicile ; sauf si il pleut fort et que je n’attends pas d’éclaircie ; dans ce cas, d’exception, je prends la voiture. Donc, dans sa logique Mr Malinverno – trouverait « malin » de dire que je fais la, « ma », Loire à vélo en entier tous les jours puisque je l’ai inventée et créée à partir de 1995 .

    • janpeire dit :

      « Si et seulement si tous les déplacements de moins de 3km faits par des personnes en bonne santé se faisaient à bicyclette : pas besoin de déviation de Jargeau et plus aucun bouchon dans la métropole. »

      C’est d’une telle évidence. Ce qui manque dans notre agglomération plate — relevée par le vin aigre d’avoir tourné giratoires après giratoires mélangé à une pointe de moutarde — ce qui manque, ce sont des impulsions.

      Montrer l’exemple : depuis combien de temps les présidents de la région, du département, de l’agglomération ne se sont-ils pas faits photographier sur une bicyclette. (Je propose que soit obligatoire pour les élu⋅e⋅s de prendre au minimum une fois par semaine ou le bus, ou le vélo).
      Signal fort : lors des travaux (RN20 par exemple), mettre en place l’itinéraire vélo avant les autos qui seront déviées vers d’autres quartiers de l’agglomération (et tant pis pour les riverains adeptes du « pas dans mon arrière-cour »).
      Contraintes : interdire dans un rayon de 250m les automobiles dans l’environnement des écoles, soir et matin, aux heures des écoles.
      Symbole : comme cela est fait pour le pont Ségolène Royal, faire preuve de bravitude et proposer de boucler aux autos un quartier un dimanche par mois (exemple de Tours métropole).

      L’équipe en place préfère à l’impulsion, l’incitation financière. Il me semble que quand on donne un gâteau à une personne, une fois mangé, il ne lui reste que l’emballage vide. Il est plus sage de lui apprendre à faire le gâteau (tant que nous avons de quoi cultiver le grain, de l’eau potable, et du sel).
      JPB

  2. Ariel dit :

    Merci Jeanne pour cette prose savoureuse, cette synthèse qui par sa clairvoyance se passe de commentaires…

  3. Visiteur dit :

    On voudrait nous faire croire que la violence serait du côté du collectif Vélorution en le stigmatisant comme un repaire d’ « ayatollahs du vélo ».
    Alors que le règne de la voiture au détriment des transports doux nous est imposé par violence structurelle, d’où la violence physique n’est d’ailleurs pas tout à fait absente. Il y a statistiquement parlant plus de cyclistes écrasés par des voitures que de voitures écrasés par des cyclistes.
    On peut vérifier l’irrationalité et la violence de ce moyen de transport en mesurant l’espace occupé par 40 personnes en auto-solo comparativement à l’espace qu’elles occupent en autobus ou en vélo, sans compter les infrastructures routières et autoroutières que cette occupation illégitime de l’espace public nécessite.
    http://transportsviables.org/realisation/question-despace/
    Il y aurait aujourd’hui 1 milliard d’automobiles en circulation dans le monde et on en attend 3 milliards pour demain.
    Visiteur45, responsable des transports amoureux

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