Requalification des mails orléanais : l’ABF en embuscade
L’enquête publique sur le projet de requalification des mails, dont j’ai parlé récemment, suit son cours. Lundi dernier, le conseil municipal d’Orléans a rendu son avis. Un avis évidemment positif. Les poids lourds de la majorité ont pris successivement la parole pour dire tout le bien qu’ils pensent du truc. Et le maire a monologué pendant vingt bonnes minutes. J’y reviens dans la première partie de ce billet. Parmi les nombreux documents du dossier d’enquête publique, il faut dire quelques mots de l’avis rendu par l’architecte des Bâtiments de France du cru. Il réserve quelques surprises aux porteurs du projet.
Satisfecit et hallucination collective en conseil municipal
C’est l’adjointe à l’urbanisme qui a présenté le projet, avec une absence d’enthousiasme manifeste et une diction hésitante (qui transparaît dans la transcription fournie par YouTube, transcription que j’ai un peu amélioré pour plus de lisibilité). C’est à partir de 2:23:46 dans la vidéo du conseil municipal.
Je vous propose d’examiner deux passages qui se recoupent en partie (le gras est de moi).
Voici le premier :
[…] sur le secteur de la Place d’Arc où là, de la même façon, on on peut voir euh l’existence de cet ouvrage massif qu’on connaît tous qui, pareil, ne nous semble pas compatible avec la vision de notre ville aujourd’hui, avec euh des espaces qui ne sont pas agréables euh un centre bus qui est peu accessible, de nouveau des traversées difficiles euh une intermodalité donc qui est peu valorisée entre le centre bus et le reste des voies, et enfin un centre commercial qui est en risque d’être dévalorisé aujourd’hui, qui finalement devient fragile […]
Allons bon ! Qu’est-ce qui n’irait pas du côté de Place d’Arc ? On a bien du mal à connaître la logique à l’œuvre derrière ce projet d’extension massif du centre commercial puisque la société Carmila est muette comme une carpe de Loire sur le sujet. En 2022, sollicitée par le quotidien local, la société « n’a[vait] pas souhaité s’exprimer sur le sujet »1. Justifiée ou non, cette extension bâtie ruine l’intégralité du projet de requalification des mails en créant un goulet d’étranglement indémerdable : plus de voies de bus en site propre, plus de piste cyclable, et une intermodalité dégradée avec un centre-bus excentré.
Un peu plus loin dans sa présentation, l’adjointe poursuit :
[…] du côté de la Place d’Arc un nouveau centre commercial à niveau d’une place beaucoup plus ouverte sur la ville, qui met en valeur aussi la gare d’Orléans. On améliore la sécurité des espaces et des traversées pour les piétons et les cycles puisque on va être à niveau on aura plus cette passerelle qui aujourd’hui, même si on entend souvent dire que c’est vrai que cette passerelle elle est plutôt pratique pour les piétons, mais pour tous – je pense l’utiliser régulièrement – je pense que là aussi il y a un certain nombre de croisements du tram, de vélos, de piétons, quelquefois même de voitures parce qu’il y a des voitures qui viennent sur cette plateforme, euh on améliore très très certainement l’accessibilité des personnes à mobilité réduite, vous la connaissez cette passerelle avec des marches, euh et enfin on valorise la gare d’Orléans […]
La gare est planquée derrière le centre commercial et le restera demain.
Concernant les croisements des différents usagers, ils sont aujourd’hui limités côté piéton puisque c’est une logique de ségrégation spatiale qui a été mise en œuvre à l’époque. Et celle-ci a souvent du bon ! Ce n’est pas pour rien que les Néerlandais ont quasi systématiquement recours au « souterrain cyclable » pour séparer les flux vélo/voiture dans les grands carrefours. C’est pour ça aussi que la place du Martroi est aujourd’hui intégralement piétonne, tout comme la place de la République ou celle du Châtelet. C’est dans le projet de mise à niveau de la place que les interactions seront démultipliés. Et puis, entre nous, c’est séduisant une « place beaucoup plus ouverte sur la ville » zébrée par une deux fois deux voies empruntée par – au bas mot – 14500 véhicules par jour ?

Enfin, madame l’adjointe utilise « régulièrement » le parvis devant Place d’Arc mais ignorerait qu’il y a une rampe pour éviter de se coltiner l’escalier avec une poussette ou un fauteuil roulant ?
Face à l’unique réaction de l’opposition en la personne de Jean-Philippe Grand, Charles-Eric Lemaignen a longuement pris la parole pour un plaidoyer pro domo dont il a l’habitude2. Ont poursuivi William Chancerelle, Luc Nantier, Florent Montillot et Jean-Pierre Imbault. Le maire s’étant réservé comme il se doit le mot de la fin. Un long tunnel pour dire combien ce projet est beau et bien pensé. Et qu’il imagine déjà les quatre à cinq mille étudiants du futur campus Madeleine « qui vont pouvoir venir sur les pelouses, sur le jardin, sur la roseraie de cette coulée verte ». En grand adepte des questions rhétoriques il a ajouté : « est-ce que vous imaginez la dimension particulièrement conviviale, agréable j’allais dire, chaleureuse, par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui ? Bien sûr qu’on l’imagine ! »
On a affaire à une majorité municipale manifestement ensorcelée par des vues d’artistes.
Un ABF « cabochard »
L’architecte des bâtiments de France (ABF) a donné un avis positif assorti de prescriptions car, comme il l’écrit tout de go (j’imagine que c’est une formule convenue dans ce type de courrier3) :
Ce projet, en l’état, n’est pas conforme aux règles applicables dans ce Site Patrimonial Remarquable ou porte
atteinte à sa conservation ou à sa mise en valeur. Il peut cependant y être remédié.
Il continue :
Le projet d’aménagement des mails sur les anciens fossés des fortifications de la ville d’Orléans ne propose pas une lecture de cet état historique qui est à l’origine de cet espace public.
Je ne comprends pas le sens de cette phrase – ça doit être de l’ABFien.
En tout cas, ça ne semble pas avoir de portée pratique.
Viennent ensuite les fameuses prescriptions qui forment un ensemble hétéroclite :
Concernant le pole des bus à Almagrand:
Rue Alexandre Martin, les abris bus ne doivent pas venir devant une succession d’immeubles du XIXéme siècle
repérés comme bâti majeur au titre du site patrimonial remarquable de la ville d’Orléans.
Aïe, ça c’est moche ! Tout à sa hâte de céder le foncier du centre-bus à Carmila, la métropole comptait tanker les bus côté sud du boulevard Alexandre-Martin (bonjour l’intermodalité !). C’est donc à revoir. J’ai d’ailleurs cru déceler dans les différents visuels qui égayent les différentes pièces du dossier d’enquête publique que parfois, ce pseudo nouveau centre-bus se trouve positionné au nord du boulevard où, a priori, les façades dix-neuvième siècle se font rares…
Concernant la place d’Arc:
Les différentes fonctions et usages du sol sont trop marquées sous forme de bandes successives de matériaux
différents(voitures, piétons, vélos, tram). Cet espace public formant une place doit être traité au niveau du sol
comme un espace public partagé et polyvalent.
Re-aïe ! L’ABF veut une place, pas un mille-feuilles. Il veut de l’espace partagé. Ça peut s’entendre mais en revanche ça ruine toute idée de continuité d’une cheminement cyclable par exemple. Et là, c’est très mal parti pour respecter l’article 228-2 du Code de l’environnement, non-respect qui a valu à la métropole ses premières condamnations le mois dernier...
Concernant le parvis de la médiathèque:
Le dessin au sol, bicolore et circulaire, devant la médiathèque fait partie de l’œuvre architecturale, ce parvis doit
être conservé et restauré. Deux arbres maximum pour un apport d’ombre sont autorisés, ne pas mettre de
parterre enherbé ou fleuri.
Ah l’œuvre architecturale ! Bon, tant que les arceaux sont conservés… L’ABF n’est manifestement pas fan de forêt urbaine.
Concernant la perspective entre la rue des Croix de bois et la rue Alexandre Caboche:
Les arbres des mails ne doivent pas obstruer la perspective entre la rue des Croix de Bois et la rue Alexandre Caboche. Les deux rues forment l’ancienne rue historique menant du centre ville au faubourg Saint-Laurent, la
continuité de cette voie doit restée visible dans l’espace urbain et être mise en valeur.
Là, on tombe dans le pinaillage ABFien.
Si comme moi vous ne saviez pas où se trouve la rue Alexandre-Caboche, et que vous ignoriez qu’il existât une perspective inconnue dans la ville, vous voilà éclairés (en image, via StreetView)4.


Les arbres qui obstruent cette perspective mirifique depuis si longtemps vont-ils être sacrifiés sur l’autel d’une marotte topographico-historique ?
Concernant les matériaux de sol:
Pour les matériaux de sol en pierre de taille(pavés, dalles, bordures) une pierre calcaire d’origine française doit
être mise en œuvre.
L’ABF sait-il que la préférence française n’existe pas dans le cadre de l’Union européenne ? Les entreprises pourraient très bien refourguer de la pierre bulgare, roumaine ou polonaise.
Concernant le mobilier urbain et l’éclairage public:
Le mobilier et les dispositifs d’éclairage ne doivent pas être une collection d’objets de catalogue.Une unité est à
rechercher sur l’ensemble en reprenant les teintes vert foncé déjà existant dans le centre ville d’Orléans. Ne pas
surcharger la signalétique.Les pictogrammes vélos doivent être réduits au strict minimum
Très amusante cette dernière prescription quand on sait que l’intégralité du projet repose sur un usage intensif du picto vélo à tous les carrefours et toutes les traversées.
Pendant ce temps-là sur TikTok…
Le bouillonnant camarade Benoît – qui a entamé une carrière parallèle de TikTokeur – s’est fendu d’une vidéo particulièrement bien réalisée sur le sujet :
@benoitpascal45 📢 PROJET DES MAILS D'ORLÉANS – 76 MILLIONS d'€ pour ça ?! 🚧🌳 ➡️ Des bouchons en plus 🚗❌, un tram bloqué 🚋⛔, 142 arbres abattus 🌳💔 et même pas de vraie piste cyclable 🚴♂️❓ ✅Oui à un autre projet, véritablement en faveur de la qualité de vie des Orléanais! 📣 Il est encore temps d’agir ! ✉️ Tu veux donner ton avis ? 🗣️📩 J’ai préparé un mail pour répondre à l'enquête publique en 1 clic ! (modifiable si besoin). https://qrch.net/stab1hkq1e66 📂 Tous les documents publics sont dispos ici : https://www.orleans-metropole.fr/actions-et-services/habitat-et-urbanisme/tansformation-des-mails #Orléans #Urbanisme #Mobilité #Écologie #StopGaspillage ♬ son original – Benoit PASCAL
… et du côté d’Olivet
Breaking News au moment où je m’apprêtais à publier ce billet : « Requalification des mails historiques d’Orléans : Olivet est contre ! » sur Magcentre.
Vingt dieux !
Notes
- Florent Buisson, « 13.500 mètres carrés de logements et de commerces : à Orléans, Place d’Arc devrait s’agrandir », La République du Centre, 21 septembre 2022.
- Au passage il confirme ce que je disais dans mon billet précédent à propos de l’implantation des noues. C’est donc un choix pleinement assumé de ne pas faire une piste cyclable de chaque côté des boulevards. Ce que ferait n’importe quelle ville néerlandaise dans pareil cas.
- Courrier à télécharger ici.
- Sur la figure historique locale d’Alexandre Caboche, voir cette entrée du site « Orléans Pratique ».
Que j’aime ces boursouflures pour dire : il y avait des fosses, elles ont été comblées à une époque et ont « donné » cet espace aménagé en centre commercial. Y toucher, sans les rendre « lisibles » (Visibles ?), fait de ce projet, un projet sur lequel je n’ai rien à dire à cet endroit.
J’ai bon, je comprends le dialecte ABF ?
Alors que s’il avait été question de creuser pour ré-implanter des remparts, là, l’ABF, il avait son mot à dire.
Plus loin :
C’est quand même la perspective la plus courue de la mégalopole. Sérieusement, je suis allé contrôler sur un certain moteur de recherche où se trouve cet endroit. Une merveille.