+ 351 % : le seul chiffre énorme et précis du mois de septembre à Orléans
Ce pourcentage ne représente pas la progression du nombre de visiteurs du festival de Loire qui s’est achevé dimanche, ni celle du nombre de frites ingurgitées – quoique –, encore moins l’augmentation du niveau de la Loire. Evidemment ce n’est pas non plus celle de la part modale du vélo dans l’agglomération orléanaise depuis la mise en place des nouveaux conseils municipaux et du conseil métropolitain1. Ce pourcentage, à la précision arithmétique propre à l’administration fiscale de notre beau pays, figure, avec une précision à deux décimales (+ 351,22 %), sur l’avis de taxe foncière que tout propriétaire de son logement – mode d’occupation majoritaire en France – a reçu un peu avant que ne commence le festival de Loire.
Petit retour sur la fin de l’année 2020 au conseil métropolitain et dans la presse locale avant de revenir manger un fish and chips sur des quais de Loire qui ont été fort fréquentés pendant cinq jours en cette fin septembre 2021.
Bonneteau fiscal et pudeur politique
Au dernier trimestre 2020, à la fin d’une année marquée par la pandémie et la perte de recettes, l’heure était au vote du budget 2021 de la métropole orléanaise. Un projet de budget a été présenté au conseil métropolitain du 26 novembre et voté à celui du 17 décembre.
J’ai retrouvé deux articles dans la presse locale qui ont évoqué le sujet. Chez France Bleu Orléans d’abord le 27 novembre sous la plume d’Antoine Denéchère et sous le titre « Orléans Métropole vote une baisse d’impôts locaux » et dans La République du Centre le 18 décembre sous le titre « Les élus d’Orléans Métropole ont adopté un budget 2021 ambitieux malgré la crise », article signé Caroline Bozec.
Voici les extraits qui nous intéressent directement en l’occurrence :
Dans les deux cas les annonces sont fausses.
Il n’y a pas eu de « hausse de 3 % de la taxe sur le foncier bâti » et le « taux de la taxe foncière » n’a pas augmenté de 3 %. Il faut dire que tout a été fait à la tribune et en diaporama pour égarer les journalistes couvrant les conseils métropolitains.
On peut porter au crédit de la presse de parler de hausse ou d’augmentation, deux mots presque tabous chez l’exécutif métropolitain qui préfère parler d’ « évolution » (comme dans le document ci-après) ou de « progression » (mot employé par le président Chaillou à la tribune).
Il faut apprécier à sa juste mesure les contorsions de la formule « correspondant en moyenne à une augmentation de cotisation foncière (y compris TEOM) de l’ordre de 3 % ».
En français standard ça donnerait : « on dit que l’opération est neutre mais dans les faits la taxe foncière va augmenter, point ».
Oui, les locataires, auprès desquels les propriétaires récupèrent la TEOM, pourront constater une baisse de leur contribution.
Non, les propriétaires occupants ne constateront aucun « gain »3 car les taux étant appliqués à la même base – l’obscure valeur locative cadastrale du bien – l’arithmétique est implacable : une hausse de 443 points de base d’un côté (1,28 -> 5,71) et une baisse de 293 points de base de l’autre (8,73 -> 5,80) ne peuvent pas aboutir à un chiffre négatif4.
Il y aurait beaucoup à dire sur les raisons qui ont poussé les élu(e)s à approuver cette manœuvre budgétaire. Une chose que l’on peut avancer : c’est pour une large part une pierre dans le jardin de celles et ceux qui prônent trop légèrement la gratuité des transports en commun. J’aurai peut-être l’occasion d’y revenir.
Hisser le taux, (dé)gonfler les voiles
Côté comptage, les chiffres de fréquentation du festival de Loire fournis par la mairie donnaient depuis longtemps dans l’invraisemblable et je dois dire que ça m’agaçait singulièrement.
La nécessité de contrôler le pass sanitaire des visiteurs a enfin permis d’y voir un peu plus clair comme l’a souligné le chef de rédac de La Rép’ himself sur Twitter :
Une impertinence bienvenue dans le paysage médiatique local qui a trop tendance à relayer sans prise de recul excessive les éléments de langage de la mairie5.
Comme dans ce tweet de France Bleu Orléans dont j’ai souligné l’humour (involontaire ?) :
Il faut dire que c’est le maire lui-même qui au cours d’une conférence de presse a mangé son chapeau (de marinier) avec un art consommé de l’euphémisme6 :
Serge Grouard reconnaît que lors des précédents festivals – le chiffre invérifiable de 650.000 festivaliers est apparu dès 2011 – il n’y avait pas de « comptage précis ».
Et le vélo dans tout ça ?
Côté stationnement vélo, le même dispositif qu’en 2019, sous-dimensionné, a été reconduit. Fondé sur l’utilisation de barrières Vauban il s’est révélé une fois de plus rapidement insuffisant.
Petit aperçu au petit matin :
Résultat, pour ne prendre que l’exemple de la descente vers le pont Thinat – où beaucoup d’espace a été perdu – ça saturait dans les grandes largeurs :
Le point positif est que tout au long du festival, il était manifestement possible de passer les portiques de sécurité avec son vélo. Ce qui était bien le minimum quand on sait qu’aucune déviation n’était mise en place pour guider les cyclovoyageurs sur la Loire à vélo :
Détail amusant, la dynamique et souriante équipe de la guingette du canal où j’ai en effet mangé un très honnête fish and chips disposait de son propre parking à vélo :
Notes
- On trouve cependant un chiffre très proche à l’échelle nationale… en matière de vente de vélos cargos ! En 2020, celles-ci ont bondi de 354 % annonce France Culture. Ce qui est très réjouissant.
- Dans le débat qui a suivi la présentation, un élu (d’opposition ?) a souligné que c’est le genre d’augmentation qu’on se permet « en début de mandat ». Même s’il faisait allusion je pense à l’augmentation globale de 3 % « en moyenne », il soulignait en creux la chose.
- Soit dit en passant il est idiot de raisonner en termes de gain ou de perte en matière fiscale. C’est du blabla néolibéral. Quit dit pays développé dit haut niveau de prélèvement. La seule question qui compte c’est : pour faire quoi ?
- NB : pour un addendum en forme de simili-rectificatif, lire la section « droit de suite » dans Rues scolaires : la ville d’Orléans entre en petite section (23 octobre 2021).
- D’ailleurs dans le bilan dressé par le quotidien local, on trouve la formulation prudente suivante : « l’événement qui aurait réuni près de 300.000 visiteurs (dont certains sont venus plusieurs fois) ».
- Caroline Bozec, « 300.000 visiteurs en quatre jours au Festival de Loire, assure le maire d’Orléans », La République du Centre, 26 septembre 2021.
Concernant le comptage du festival, M. Grouard indique lui-même dans la presse qu’il a eu le sentiment qu’il n’y avait pas moins de monde que d’habitude. Preuve s’il en est que toutes ces années ont reposé sur le comptage ridicule au doigt mouillé d’un myope aveugle d’un oeil, chiffre spectaculaire qui faisait plaisir à nos édiles, que la presse relayait en toute bienveillance mais qui ne reposait que sur du vent.
Je me souviens d’une des dernières éditions où Murielle Sauvegrain, on live from the festival, nous annonçait le dimanche après-midi qu’il y avait eu quelque chose comme 100 000 visiteurs de plus que l’édition d’avant. C’était digne d’un comptage d’une manif’ du samedi de la CGT, la seule capable de s’autoconvaincre de la véracité des mensonges qu’elle avance.
On revient en fait à un peu de mesure si je puis dire.
Concernant le zéro plastique, le sketch de notre maire illustre la vraie mauvaise foi politique dont nos élus sont capables. Il savait très bien en faisant ses grandes annonces dans la presse à quelques jours du festival que certains engagements ne seraient pas tenus, mais il sait aussi que parfois, en termes d’impact, il vaut mieux un gros article mensonger qu’un petit article rectificateur.
Sur cette histoire de comptage, je ne peux éviter de penser au délire des 7 millions de touristes vantés, mais éventés depuis 2019, un chiffre colporté par la presse locale, sans filtre :
« Il existe le ressenti. Et les chiffres. Ceux de la fréquentation estivale le confirment : Orléans a séduit les touristes cet été. Un peu plus encore que la saison dernière.
Sept millions de visiteurs français et étrangers ont été comptabilisés. Un chiffre important pouvant suciter des interrogations. « Notre système est fiable, assure Martine Grivot, présidente de la SPL Orléans Val de Loire Tourisme. Nous avons un contrat avec un opérateur mobile permettant de relever et de connaître l’origine des touristes à Orléans grâce à leurs portables. » »
https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/combien-etiez-vous-cet-ete-a-orleans_13642530/
Comme le dit V-Lo, c’est digne de la société du Comptage Généralement Trafiqué.
JPB