Une épée de DAMMO-clès bien affûtée
Trois jugements du tribunal administratif d’Orléans en date du 18 février 2025 viennent d’être rendus publics1. Le tribunal a pris tout son temps pour examiner trois recours déposés par l’association Association Droit Accessibilité Mobilité Métropole Orléans – DAMMO – concernant des travaux de voirie réalisés par Orléans Métropole. Tout a commencé début 2021 (vous en souvient-il ?) : riverains et élus font joujou rue Landreloup avec la réglementation et l’argent public. C’est peu après que l’association a été créée. Dans le prolongement direct de cette rue, il y a eu ensuite des travaux de requalification rue Porte-Dunoise et, non loin de là, rue Gambetta. Dans ces trois travaux de requalification, la métropole a appliqué la politique du pochoir (à hauteur de 20 % du coût des travaux, rappelons-le). Elle n’aurait pas dû dit la justice administrative, qui lui donne trois mois pour revoir sa copie.
Un peu de mythologie
On doit à Cicéron le fameux adage latin dura lex, sed lex. On lui doit aussi dans les Tusculanes l’anecdote qui a donné naissance à l’expression « épée de Damoclès ». Dans ce texte à portée philosophique2, il évoque la vie de Denys l’Ancien, tyran de Syracuse devenu totalement paranoïaque.
Voici comment Cicéron introduit le personnage3 :
Denys devint tyran de Syracuse à vingt-cinq ans ; et pendant un règne de trente-huit, il fit cruellement sentir le poids de la servitude à une ville si belle et si opulente. De bons auteurs nous apprennent qu’il avait de grandes qualités car il était sobre, actif, capable de gouverner ; mais d’un naturel malfaisant et injuste ; et par conséquent, si l’on en juge avec équité, le plus malheureux des hommes. En effet, quoiqu’il fût parvenu à la souveraine puissance, qu’il avait si fort ambitionnée, il ne s’en croyait pourtant pas encore bien assuré.
Suit une description saisissante des effets concrets – sanglants – de sa paranoïa sur son entourage, puis arrive la description de la fameuse scène :
Un de ses flatteurs, nommé Damoclès, ayant voulu le féliciter sur sa puissance, sur ses troupes, sur l’éclat de sa cour, sur ses trésors immenses, et sur la magnificence de ses palais, ajoutant que jamais prince n’avait été si heureux que lui : Damoclès, lui dit-il, puisque mon sort te paraît si doux, serais-tu tenté d’en goûter un peu, et de te mettre en ma place ? Damoclès ayant témoigné qu’il en ferait volontiers l’épreuve, Denys le fit asseoir sur un lit d’or, couvert de riches carreaux, et d’un tapis dont l’ouvrage était magnifique. Il fit orner ses buffets d’une superbe vaisselle d’or et d’argent. Ensuite ayant fait approcher la table, il ordonna que Damoclès y fût servi par de jeunes esclaves, les plus beaux qu’il eût, et qui devaient exécuter ses ordres au moindre signal. Parfums, couronnes, cassolettes, mets exquis, rien n’y fut épargné. Ainsi Damoclès se croyait le plus fortuné des hommes, lorsque tout d’un coup, au milieu du festin, il aperçut au-dessus de sa tète une épée nue, que Denys y avait fait attacher, et qui ne tenait au plafond que par un simple crin de cheval. Aussitôt les yeux de notre bienheureux se troublèrent : ils ne virent plus, ni ces beaux garçons, qui le servaient, ni la magnifique vaisselle qui était devant lui : ses mains n’osèrent plus toucher aux plats : sa couronne tomba de sa tête. Que dis-je ? Il demanda en grâce au tyran la permission de s’en aller, ne voulant plus être heureux à ce prix.
Avoir une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête, c’est ne pas être en position de savourer sereinement les plaisirs de la vie, demeurer intranquille. Jusqu’à présent, élus et services de notre agglomération n’ont jamais été inquiets. Ces jugements les alarmeront-ils au moins un peu ?
Depuis longtemps, à vrai dire depuis le début de la longue instruction des procédures, j’avais ce jeu de mot dans un coin de ma tête : DAMMO-clès. Et vous imaginez bien qu’étant donné les circonstances – une triple victoire judiciaire – je n’ai pas résisté au plaisir de le traduire en image :

Crédit : http://www.ackland.org/tours/classes/westall-image.html (archive link), Domaine public, Lien
Mais si vous avez bien suivi jusqu’ici, vous aurez compris que ce mème est presque aussi bancal que le titre du billet puisque, dans le récit antique, non seulement ce n’est pas Damoclès qui tient l’épée mais, de plus, celle-ci ne frappe finalement personne. Et, qu’on se le dise, l’association DAMMO ne sera jamais du bon côté du manche !
Juger sur pièces
Pour les amateurs de littérature administrative, voici les trois jugements in extenso :
Retour à l’histoire récente
Le camarade Olivier a souhaité mettre en perspective ces décisions judiciaires dans un post publié sur Facebook dont je reproduis le texte ci-dessous :
Une victoire historique pour le vélo à Orléans !
Le tribunal administratif a condamné la métropole à mettre en conformité les rues Landreloup, Porte Dunoise et Gambetta avec la réglementation en y réalisant des aménagements cyclables, ce qui n’avait pas été fait lors des récents travaux.
C’est une victoire pour l’association DAMMO, mais aussi pour tous les citoyens et associations qui militent depuis des décennies pour une ville plus agréable à vivre, sécurisée pour les déplacements à vélo et à pied , une ville pour les individus et non pour les voitures individuelles.
Dès les années 1970, l’APEAO (Association pour la Protection de l’Environnement et de la Qualité de Vie dans l’Agglomération Orléanaise), qui comptait jusqu’à 700 membres, demandait déjà l’établissement d’itinéraires cyclables dans la métropole.
Vers 2005, le collectif « Les Cyclistes Orléanais en Colère » et l’association « Vélocité Orléans » réclamaient la création d’aménagements cyclables lors de la réalisation du TRAM B, sans succès. Certains se souviennent peut-être de la manifestation rue Jeanne d’Arc, où ces deux associations avaient installé une fausse piste cyclable un samedi après-midi.
Vélorution Orléans a pris le relais dans ce combat pour une ville cyclable au tournant des années 2010.
Puis, suite à l’affaire Landreloup, DAMMO a été créée pour contraindre juridiquement la métropole. Cette dernière n’applique toujours pas les différents plans vélo, qu’il s’agisse du schéma directeur des itinéraires cyclables de 1997, qui prévoyait 400 km d’itinéraires cyclables (Le Réseau Vert), ou du plan vélo de 2019, voté à l’unanimité en conseil métropolitain.
Cette victoire pour contraindre la métropole à enfin respecter la réglementation est donc historique.
J’espère que ce sera un tournant dans la politique cyclable actuelle. La métropole d’Orléans reste la 3ème parmi les plus dangereuses de France pour circuler à vélo. Il est urgent de sortir de ce classement.
Notes
- Philippe Cros, « Orléans Métropole enjoint par le tribunal administratif à mettre en conformité trois aménagements cyclables », La République du Centre, 11 mars 2025.
- La doctrine philosophique qui est défendue dans les Tusculanes est le stoïcisme.
- Le texte, bilingue latin-français, peut être trouvé à cette adresse.
Que fait-on désormais, quand on est riche ou au pouvoir, des décisions de justice ou celles des électeurs ?
Exact, on s’assoit dessus.