Le pouvoir des vélos à assistance électrique — par Mark Treasure
Vous avez déjà rencontré le britannique Mark Treasure dans « On ne règle pas des problèmes de conception à coup de sonnette » (mars 2019). Dans le texte qui suit, il montre que le vélo à assistance électrique donne sa pleine mesure lorsque a été développé un réseau cyclable cohérent et sûr. Évidemment, la démonstration a lieu aux Pays-Bas, dans une région chère au cœur de Mark Wagenbuur. Voici la traduction de « The power of e-bikes« publié le 29 février 2020 sur As Easy As Riding A Bike. Avec l’aimable autorisation de son auteur.
Un beau jour de septembre l’année dernière je suis parti du centre d’Utrecht pour aller jeter un coup d’œil à la ville de Bilthoven distante d’environ 8 km. Bien que cette ville soit plutôt petite (la population de Bilthoven est de l’ordre de 20000 personnes, quoiqu’elle soit proche de la plus grande ville de De Bilt) le quartier de la gare a été profondément remanié, la route a été déviée et un nouveau passage souterrain réservé aux piétons et vélos a été aménagé.
Je devais rejoindre ma partenaire à la mi-journée dans le centre d’Utrecht (pédaler 16 km pour aller examiner des pistes cyclables et de nouveaux aménagements ne l’emballait pas !), et j’étais un peu en retard, m’arrêtant ici et là pour filmer des giratoires et des aménagements cyclables.
Par chance, sur le chemin du retour, je me suis arrêté à un feu rouge à De Bilt derrière une dame en VAE équipé de sacoches vertes bien visibles. Je dis « par chance » car depuis des années que je pédale aux Pays-Bas, j’ai toujours trouvé que les gens qui roulent en VAE représentent une aide précieuse quand on est soi-même sur un vélo musculaire. On peut prendre leur aspiration et tenir le rythme des 25 km/h, une moyenne difficile à maintenir quand on roule seul sur un lourd vélo utilitaire. Le couple qui figure sur la photo ci-dessous, qui pédalait ensemble sans effort sur des VAE, a représenté un don du ciel quand sous un soleil de plomb je luttais pour rejoindre Delft via une interminable ligne droite.
Il n’y a aucune raison de se sentir coupable de prendre leur roue, parce qu’une personne pédalant sur un VAE dépense peu d’énergie tout en vous offrant un abri contre le vent.
Pour mon retour sur Utrecht j’ai donc fait en sorte de bénéficier d’un agréable remorquage jusqu’au centre ville. Nous voilà à la sortie de De Bilt, sur la route tranquille qui la traverse (la route principale est de l’autre côté de la haie à gauche).
Puis sur la voie de desserte qui longe la route principale. (Remarquez la boucle magnétique coulée dans le bitume qui vous permet en règle générale d’obtenir le feu vert quand vous atteignez cette petite intersection.)
Puis sous le célèbre carrefour dit de la « fosse aux ours » à la sortie du centre ville.
Maintenant sur Biltstraat, en direction du centre d’Utrecht, sur une voie cyclable protégée. La route ici est à sens unique pour les voitures et à double sens pour les bus en site propre (à gauche).
Peu de temps après la dame a pris du champ parce qu’elle… a grillé un feu rouge – pas de quoi fouetter un chat au vu de la circulation mais je n’ai pas voulu prendre ce risque. Elle n’a toutefois pas profité beaucoup de cette manœuvre puisque je l’ai rattrapée peu de temps après dans le centre ville, en même temps que l’axe cyclable le plus fréquenté des Pays-Bas (si ce n’est du monde).
Nous voilà maintenant devant le large passage souterrain qui passe juste sous les seize voies de la gare centrale.
Juste avant que nos chemins ne se séparent et qu’elle s’échappe pour rejoindre le parking à vélos de la gare – pour attraper un train j’imagine.
Nous avons parcouru ensemble 6 km, et selon mon GPS nous l’avons fait en un peu plus de 14 minutes, depuis la sortie est de De Bilt jusqu’à la gare centrale d’Utrecht.
Ce n’est sans doute pas une surprise mais nous avons pédalé à une vitesse moyenne très légèrement supérieure à 25 km/h, soit la vitesse maximale que permet d’atteindre l’assistance électrique d’un VAE. Nous n’avons fait que deux arrêts – au feu rouge qu’elle a grillé et pas moi, et puis pour traverser Vredenburg.
Étant donné notre point de rencontre, elle devait venir de plus loin, soit de Bilthoven, mon point de départ, ou bien de Zeist. Ces villes se trouvent toutes deux à environ 8 km, mais à la vitesse de croisière d’un VAE, cela les place à environ 20 minutes du centre d’Utrecht. En effet, 8 km peuvent être parcourues en exactement 20 minutes au guidon d’un VAE, ce qui signifie qu’une immense zone est située dans un périmètre aisément cyclable autour du centre ville et de sa gare – quasiment toute l’agglomération d’Utrecht (comprenant bien plus d’un demi-million d’habitants), tout comme quelques petites villes et villages périphériques.
C’est quand même remarquable quand on y pense – tous ces gens sont (potentiellement) à moins de 20 minutes du centre ville, et peuvent parcourir cette distance de manière confortable et sûre, avec peu de désagrément, tout simplement en pédalant, et sans avoir besoin d’une voiture. Quand on prend en considération le fait que ces trajets peuvent être combinés avec l’excellent réseau ferré néerlandais, de vastes zones du pays sont à la portée de gens qui résident à première vie dans des endroits « reculés ». Il se peut que la dame que j’ai suivie habite un village périurbain à des kilomètres d’Utrecht et ait pris le train pour Rotterdam, un trajet porte-à-porte de moins d’une heure.
Bien entendu, la situation bénéficie aussi aux gens qui pédalent sur des vélos « ordinaires » – des gens comme moi – quoique les 8 km représentent plutôt 30 minutes en selle, selon notre condition physique. C’est tout à fait faisable mais les VAE réduisent considérablement l’effort que ça représente. Ils ont le potentiel pour concurrencer la voiture sur des distances qui peuvent sembler dissuasives à vélo.
Au Royaume-Uni, ce genre de réseau cyclable à la fois complet et de haute qualité autour de villes comme Utrecht n’est qu’un rêve, et pourtant c’est lui qui permet le type de déplacement que j’ai décrit ici. Là où j’habite il n’existe absolument pas de réseau cyclable significatif, et le réseau ferré est négligeable. Même nos anciennes lignes de chemin de fer – qui pourraient constituer les maillons d’un excellent réseau pour relier villes et villages, que ce soit à vélo ou en VAE – ont été laissées à l’état de bourbier repoussant et déplaisant.
Pendant ce temps-là nos routes sont congestionnées par des véhicules à moteur polluants et désastreux pour l’environnement, effectuant la plupart du temps de courts trajets qui pourraient être convertis à d’autres modes de déplacement.
Il n’y a aucune raison que nous ne puissions pas faire comme aux Pays-Bas. Les VAE rendent caduque l’argument selon lequel faire du vélo serait trop ardu, qu’il y a trop de relief, et couplé à un réseau cyclable de grande qualité il est facile d’imaginer la population parcourir sans effort les distances décrites plus haut.
À la lecture de ce billet, un programme cycliste à lui tout seul, quelques réflexions personnelles en vrac :
1/ j’adore la façon dont l’auteur imagine la vie de la dame aux sacoches vertes, car souvent, sur le trajet, j’imagine à l’identique la vie des cyclistes quotidiennement croisé⋅e⋅s.
2/ ce samedi 28 mars, même sous le confinement, au marché, j’ai placoté avec un électrocycliste, nouvellement équipé. D’Orléans—St-Marc, il allait travailler au quotidien à Pithiviers en auto. L’entreprise a déménagé à la Source et après une semaine de bouchon, il me disait avoir acheté un VAE et n’avoir aucun regret.
Bien sur, il a conscience qu’il est le long du seul équipement de l’agglomération, et que cela aide, mais avec son épouse, ils en ont jeté une voiture et gagné en qualité de vie (elle s’y est mis pour les petites courses (comme lui ce samedi au marché)). Bref, cet électrocycliste, néo-converti, désire maintenant un réseau à l’échelle de l’agglo.
3/ la dernière phrase doit être imprimée et placardée sur toutes propagandes pour des automobiles.
Je confirme le confort que de sucer la roue d’un VAE. Quand madame vélotaffe avec moi (19km) au guidon de son Vélo Tao et que je n’ai pas envie de faire trop d’effort, je la laisse en tête et je me mets en roue libre tranquillement en regardant les champs de colza.
Il faut reconnaître qu’admirer des champs de colza n’a pas de prix.