Des enfants d’Amsterdam combattent les voitures en 1972 — par Bicycle Dutch

À l’heure où on parle de plus en plus en France des rues scolaires, il est instructif de regarder ce qui s’est passé dans les années 1970 aux Pays-Bas. Les mobilisations populaires d’alors rappellent que la question de la place des enfants dans la ville dépasse le cas des seuls environs immédiats des écoles. Les rues des villes devraient être dans leur grande majorité des espaces de vie et de jeu.
Voici la traduction de « Amsterdam children fighting cars in 1972 » publié le 12 décembre 2013 sur Bicycle Dutch1.

« Ce serait un quartier idéal pour l’expérimentation d’une zone 30 » explique un expert de la circulation de la ville d’Amsterdam à un enfant dans un documentaire diffusé à la télévision nationale néerlandaise il y a 47 ans.

Ce documentaire a été réalisé pour une chaîne progressiste et montre le quartier d’Amsterdam « De Pijp » qui avait environ 100 ans à l’époque. Les logements étaient petits et délabrés. Les rues du quartier n’ont jamais été conçues ni adaptées aux nombreuses voitures charriées par les 40 000 habitants et ses nombreux visiteurs. Ce quartier devenu surpeuplé, très sale et crasseux, n’avait rien pour que les enfants s’y sentent bien. Le documentaire fait partie d’une série et cet épisode particulier examine la situation à hauteur d’enfant.

Image tirée du documentaire de 1972. Les rues sont dominées par les voitures et il n’y a pas un arbre en vue.
La même rue que via Google Streetview est très différente. La chaussée a été rétrécie. Les bâtiments ont été rénovés et les arbres et les vélos rendent le quartier beaucoup plus accueillant.

Le film original a été publié sur YouTube et il a été repéré par Cycling professor d’Amsterdam. Il dure 40 minutes et est bien sûr en néerlandais. J’en ai fait une version plus courte, en supprimant ce qui concerne les logements proprement dits et la question de la propreté des rues, pour me concentrer principalement sur l’espace public et l’état de la circulation. Le montage dure presque 10 minutes et est sous-titré2.

Extrait d’un documentaire télévisé de 1972 sur le problème que pose la circulation pour les enfants dans un vieux quartier d’Amsterdam.

Le documentaire a été diffusé le 16 mars 1972, un peu tard en soirée (20h55). Le lendemain, des éditorialistes aux quatre coins du pays ont écrit à quel point ils étaient touchés par le quotidien difficile de ces enfants.

« Ce film m’a profondément ému. La situation des enfants qui vivent dans ce quartier qui se dégrade lentement a été dépeinte de façon magnifique à travers leurs propres yeux. Le conseiller municipal d’Amsterdam, Han Lammers, a eu du mal avec eux, bien qu’ils veuillent juste jouer comme leurs parents. Il ne sera pas facile de fermer les rues à la circulation comme le révèle la scène avec le conducteur enragé devenu violent envers les adultes qui ont aidé les enfants à fermer la rue ». (Extrait du Leeuwarder Courant du 17 mars 1972).

Même si la réponse de l’échevin aux questions des enfants sur le moment où leur rue pour jouer serait prête semblait évasive, plusieurs de ces rues ont effectivement été construites en cette même année 1972. Le système de rue à sens unique destiné à rendre le trafic de transit plus difficile a également été mis en place. Aujourd’hui, toutes les rues résidentielles sont en zone 30, bien que je ne sache pas combien de temps après 1972 cela a été mis en place.

Hemonystraat à Amsterdam. L’une des rues pour lesquelles les enfants se sont battus a été aménagée en 1972 et existe encore aujourd’hui. (Google Streetview)

La colère du conducteur de la camionnette blanche et la manière définitive dont d’autres rejettent l’idée de rues fermées à la circulation automobile sont incompréhensibles aujourd’hui d’un point de vue néerlandais. Et cela explique pourquoi les actions collectives sont devenues ensuite plus violentes, lorsque des rues ont été bloquées avec des épaves de voitures.

Une manifestation des années 1970 avec des épaves de voitures renversées dans le quartier De Pijp à Amsterdam pour un meilleur environnement avec moins de voitures. Sur les carrosseries est écrit « sans voiture ».

Au début, j’ai eu l’impression que ce film dépeignait la naissance de l’organisation « Stop de Kindermoord » (« arrêtez le meurtre d’enfants »). Mais celle-ci n’a vu le jour qu’en septembre 1972 et dans une autre région du pays. Néanmoins, des coupures de presse révèlent que les manifestations de décembre 1972 dans ce quartier ont été organisées par « Stop de Kindermoord« . Le fait que cette organisation se soit développée si rapidement montre qu’elle répondait aux préoccupations de beaucoup de gens concernant les morts (d’enfants) dues à la circulation routière à cette époque aux Pays-Bas3.

Article de journal sur une nouvelle manifestation pour un meilleur quartier avec moins de voitures à De Pijp. En décembre 1972 sous l’égide de l’organisation « Stop de Kindermoord« .

Aujourd’hui, ce quartier « De Pijp » est un endroit prisé. Il est proche du centre ville et les logements ont été rénovés ou reconstruits. En 2009, 13 666 personnes vivaient dans « Oude Pijp« , contre 40 000 en 1972. Les rues ont vraiment un aspect très différent aujourd’hui. Même si leur largeur n’a pas changé, la chaussée elle-même a été considérablement réduite, et il y a beaucoup moins de places de parking pour les voitures qui ont dégagé de l’espace pour des arbres, des trottoirs plus larges et des espaces de stationnement pour de nombreux vélos. Avec la fermeture de plusieurs rues et le système à sens unique, le trafic de raccourci est devenu impossible. Mais une chose reste très mauvaise : la situation dans les rues principales qui n’a pas du tout changé au cours des 40 dernières années. La nécessité de moderniser ces rues a encore été brutalement soulignée, lorsqu’une fillette de 7 ans à bicyclette a été horriblement tuée sous les roues d’un camion de ramassage des poubelles. Elle roulait sur une bande cyclable accompagnée de son père marchant à ses côtés sur le trottoir. Cela a provoqué des troubles dans le quartier et des habitants exigent des changements, en particulier sur les axes de transit.

Le pourcentage d’enfants qui jouent dehors quotidiennement est également révélateur. Pour l’ensemble des Pays-Bas, ce pourcentage est de 60 %, mais pour Amsterdam et Rotterdam, seuls 16 % des enfants jouent dehors tous les jours. (Chiffres fournis par Angela’s Bike Blog)

Aujourd’hui, les rues résidentielles dans de Pijp sont très différentes. Les bâtiments ont été rénovés. La chaussée a été rétrécie, il y a moins de places de parking, plus d’arbres et beaucoup plus de vélos. Tout cela crée un bien meilleur environnement de vie. (Google Streetview)

Même si beaucoup de choses ont changé pour le mieux ici et dans le reste des Pays-Bas au cours des quarante dernières années ; on peut toujours faire mieux, le travail n’est jamais terminé !

Notes

  1. Mark Wagenbuur a un lien personnel avec le quartier « De Pijp » d’Amsterdam dont il est question dans ce billet, car son grand-père est né dans Albert Cuypstraat en 1906. C’est en plein cœur de De Pijp et là où se tient le célèbre Albert Cuypmarkt.
  2. Mark Wagenbuur l’a sous-titré en anglais et je l’ai à mon tour traduit en français. NdT
  3. Sur ce puissant mouvement d’opinion né au début des années 1970 aux Pays-Bas, lire ce texte traduit par Les Vélos des étangs. NdT

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7 réponses

  1. janpeire dit :

    Sans avoir la possibilité matérielle de visionner le film, je me contente des photographies pour admirer le remarquable changement des rues en plus de 30ans.

    Rien n’est figé donc la situation n’est pas désespérée pour nous, il nous faut attendre encore 20 ans.

    JPB

  2. Isaduvelo dit :

    Dommage pour Janpeire, le film est extrêmement instructif. Un très grand merci, je le tweet illico !

  3. mat b dit :

    Et bien c’est marrant, j’ai regardé L’Argent de poche (1976) hier et le constat est complètement inversé. Même s’il s’agit d’une ville de 15 000 habitants à l’époque et 12 000 aujourd’hui.

  4. marmotte27 dit :

    Face à l’évidence dans 196 pays sur 197, je continue à penser que les Pays-Bas sont et resteront un accident dans l’Histoire du vélo, un moment où les « astres », i.e. une multitude de facteurs, se sont alignés parfaitement pendant un moment décisif pour donner le résultat qu’on connaît. Ça ne s’est plus jamais produit de la sorte ailleurs, et ne se produira plus.

    En même temps, même ce modèle néerlandais montre de plus en plus ses limites car s’il protège efficacement les cyclistes et rend possible le vélo comme un véritable moyen de transport pour tous, il ne réduit pas le nombre de voitures dans le pays et, crucialement, ne réduit pas le nombre de kilomètres parcourues en transports motorisés. Or, c’est cela qu’il faut désormais d’urgence face à la catastrophe climatique.

  5. Isaduvelo dit :

    Impeccables les deux dernières phrases du commentaire de marmotte de l’Eure !

  1. 18 février 2023

    […] comme celles du libertaire américain Colin Ward (Les enfants dans la ville), celles tracées par l‘expérience des enfants du quartier Pjip qui en 1972 mène une lutte pour piétonniser les rues de leur quartier , ou encore plus récemment […]

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