Utrecht corrige une erreur urbanistique avec la remise en eau complète de son canal historique — par Bicycle Dutch

Voilà, c’est fait. L’inauguration officielle de la remise en eau complète des douves-canal d’Utrecht – le singel – a eu lieu. Finie l’autouroute urbaine qui avait asséché une partie de cet axe navigable historique. Mark Wagenbuur n’a pas raté l’événement et fournit encore quelques aperçus historiques de cette spectaculaire transformation.

Voici la traduction de « Utrecht corrects a historic urban design mistake » publié le 16 septembre 2020 sur Bicycle Dutch.

Samedi dernier, le canal circulaire d’Utrecht restauré a été officiellement inauguré. À l’improviste et tôt le matin, l’équipage de la réplique du navire romain « Per Mare ad Laurium » (certains avaient même revêtu des costumes d’époque) a tiré une corde pour faire basculer un gigantesque seau. L’eau qui s’écoulait du seau dans le nouveau canal représentait « un tonneau plein d’émotions » que beaucoup de gens à Utrecht (une ville fondée par les Romains il y a près de 2000 ans) ressentent en assistant au retour des anciennes douves de la ville, vieilles de près de 900 ans, qui avait été remplacé par une courte autoroute urbaine pendant environ 40 ans. En raison de la pandémie, seules les personnes vivant à proximité du canal et celles qui ont participé au projet avaient été invitées.

Le nouveau canal parcouru par de nombreux petits bateaux le jour de l’inauguration a dû être photographié des milliers de fois. Les gens ne s’en lassaient pas.
Des gens assis dans l’herbe sur la rive reconstituée du canal reconstruit. Cette herbe n’a poussé qu’au cours des deux dernières semaines. Il est bon de voir que les gens en profitent instantanément !

Le projet d’utiliser l’espace du canal pour réaliser un boulevard périphérique remonte à 1958. Le conseil exécutif d’Utrecht avait ordonné au professeur allemand Feuchtinger d’élaborer ce plan. On lui a plus tard commodément reproché cette idée alors qu’il n’y était pas favorable. Au départ, le conseil municipal n’était pas non plus favorable à cette idée. Cette phase de planification s’est également heurtée à une opposition farouche de la part des habitants. Cela a conduit le gouvernement national à intervenir. Comme je l’ai mentionné dans mon billet de la semaine dernière, la première femme ministre des Pays-Bas avait déclaré que la plupart des anciennes douves de la ville étaient un monument national, sauvant ainsi l’anneau historique du canal de la destruction totale. En 1968, le conseil d’Utrecht a finalement suivi le conseil exécutif et a voté en faveur de la fermeture du côté nord-ouest du canal. Il a fallu attendre la fin des années 1970 pour que la route soit terminée, mais seule la moitié nord de la partie ouest du périphérique a été construite. Le canal fermé au nord a été utilisé comme parking et les côtés est et sud de l’anneau du canal n’ont jamais été touchés. Sous la pression du gouvernement national et des habitants, le projet a été abandonné.

La version révisée du plan de la rocade de la ville par ir. J.A. Kuiper a laissé la partie sud et est de l’anneau du canal en bon état. Une grande partie de ce plan de 1965 n’a pas été exécutée. La route à l’est et au sud aurait nécessité la suppression de nombreux bâtiments. Seule la partie nord du périphérique ouest a été construite. À de nombreux endroits de la ville, des bâtiments plus récents révèlent où ce plan a créé des percées.
À gauche, une carte datant d’environ 2000 montrant l’anneau du canal brisé (en gris bleuâtre). La partie nord-ouest a été fermée de 1968 au milieu des années 1970. Elle est restée ainsi jusqu’à la réouverture qui a eu lieu par étapes de 2001 à 2020. À droite : Openstreetmap a été mis à jour rapidement et montre avec précision l’ensemble du canal circulaire.
Ce bronze, réalisé en 1966 par le sculpteur suisse André Ramseyer (1914-2007), est appelé « Grand Astre ». Il a été acheté par la ville d’Utrecht en 1974 et placé à l’extrémité des anciennes douves de la ville. L’anneau brisé était vu comme une représentation du canal brisé. Il a trouvé une nouvelle place, beaucoup plus importante, dans le parc reconstruit et peut maintenant servir à rappeler que le canal a été rompu pendant près d’un demi-siècle. Deux autres moulages de ce bronze se trouvent à Berne et à Naples.

Les gens ont continué à s’opposer à la présence de cet axe routier et les appels au retour de l’eau n’ont jamais cessé. En 1990, un nouveau groupe militant en ce sens a été formé. Ils ont finalement persuadé le conseil municipal de prendre la décision de remettre en eau le parking du nord en 1996. La transformation de cet espace dévolu à la voiture en espace aquatique a eu d’étranges conséquences : un nouveau pont a été construit dans le cercle central d’un rond-point. Cette première reconstruction a été ouverte en deux étapes en 2001 et 2002. Lorsque les habitants d’Utrecht ont vu ce qui pouvait être fait, ils ont voté en faveur de la reconstruction de tout le canal lors d’un référendum en 2002. Il a fallu attendre samedi dernier pour que cet énorme projet soit terminé, après qu’une grande partie ait été ouverte en 2015. Il est réconfortant de constater que certains des militants des premiers jours ont vécu assez longtemps pour voir aboutir cette restauration. Joan Vermeulen a 92 ans et elle a protesté dès le début des années 1960. Elle a déclaré à un journaliste : « Même si ce n’est pas aussi beau que cela, le retour me donne satisfaction. Finalement, ils se sont rendu compte que leur façon de faire n’était pas la meilleure ». Ben Nijssen (71 ans) a été l’un des initiateurs du groupe de protestation en 1990. Il a déclaré : « À l’époque, ils ont choisi l’asphalte pour faire entrer la voiture dans le centre ville. Aujourd’hui, c’est l’inverse. En tant qu’habitants, nous avons plaidé pour que cette erreur du passé soit corrigée. Le fait que ce jour soit arrivé m’émeut. La prochaine étape est de restaurer la végétation, cela embellira encore plus les lieux ».

Rijnkade (rive droite) vers 1960. (Photo Archives d’Utrecht)
Rijnkade (côté droit de la route) en 2010. Rien sur cette photo n’était présent sur la photo de 1960. (Photo tirée d’une vidéo que j’ai réalisée moi-même)
Rijnkade le 12 septembre 2020, jour de l’inauguration. Une rangée d’arbres sera plantée sur le côté gauche. La route sera également réaménagée.

Après l’ouverture de la plus grande partie du canal restauré en 2015, les plans pour la partie restante ont été finalisés avec l’aide des riverains et d’autres parties prenantes au cours de l’année 2017. Les travaux de construction proprement dits ont commencé en 2018. La tranchée en béton armé de la route a dû être démolie par des machines gigantesques. 17 000 tonnes de gravats ont été évacuées par l’équivalent de 550 camions. L’entreprise mandatée est fière de la phase finale de creusement, qui n’a commencé que fin juin 2020. En 12 semaines seulement, l’excavateur a extrait 34 000 mètres cubes de sable. Il a été déplace par l’équivalent de 1 478 camions dans une autre partie d’Utrecht, où il sera réutilisé pour la construction de nouveaux logements. Une partie des berges a été reconstruite en parc urbain, dans le prolongement du parc existant, conçu en 1830. La partie proche du centre commercial d’Utrecht a toujours été plus industrielle. Le port de la ville était installé ici jusque dans les années 1930. Le retour de l’eau entre les bâtiments brutalistes des années 1960, les immeubles de bureaux des années 1980 et le centre commercial rénové du début du 21e siècle donnent à cette zone un profil urbain étrangement attrayant.

La fermeture du canal a commencé en 1968. On aperçoit la cathédrale Sainte Gertrude sur Willemsplantsoen, comme sur toutes les photos de cette série. (Photo via Gerwin Bijsterbosch)
La route en contrebas et les rues qui l’entourent avec la cathédrale en 2009. Le pont a été remplacé par deux viaducs en béton. C’était un an avant la fermeture de la route au printemps 2010. (Photo Google Streetview)
La route et la cathédrale en 2015, peu avant que ce trou ne soit temporairement rempli de sable provenant de la partie du canal précédemment rouverte. (Photo Hackney Cycliste)
Lorsque la terre a été retirée, le viaduc en béton ainsi que les parois latérales en béton ont été enlevés à partir de 2018.
Début 2020, les rives ont été créées et l’aménagement paysager était presque terminé. Pas encore d’eau. Le futur canal était encore rempli de terre.
Le processus de creusement final n’a duré que 12 semaines, de juin à septembre 2020 ; le sable a été enlevé et les eaux souterraines ont rempli le canal.
Le jour de l’inauguration officielle, le 12 septembre 2020, le nouveau pont se trouve à l’emplacement exact du pont sur la photo de 1968.
Panneaux annonçant des travaux routiers à partir du 25 septembre. La requalification des rues est sur le point de commencer.
J’ai décrit les plans de requalification de la rue à côté du canal reconstruit dans un billet de 2018.

La route a disparu (elle n’a pas été recréée ailleurs) ; l’eau est revenue et Utrecht a fêté l’événement dans le cadre des contraintes dues à la pandémie. Beaucoup de gens ont fait du bateau sur les 6 kilomètres du canal circulaire. J’ai fait du vélo, comme je vous l’ai montré la semaine dernière. Beaucoup ont marché et quelques casse-cou ont parcouru le canal à la nage ! Les festivités ont même fait la une de la presse étrangère. Comme vous avez pu le voir dans la vidéo de la semaine dernière, les rues autour du canal ont grand besoin d’être modernisées. Des panneaux indiquent que cette phase de requalification va commencer très bientôt. La piste cyclable sur une partie du Catharijnesingel sera fermée à partir du 25 septembre ! Les arbres restants seront plantés en automne et les graines pour l’herbe et les fleurs ont déjà été semées. La ville promet une grande fête l’été prochain pour compenser le manque d’événements publics cette année (bien qu’il y en ait1), mais si vous regardez les nombreux bateaux qui ont navigué sur le canal samedi dernier, il est clair que la plupart des habitants d’Utrecht sont très, très heureux que cette énorme erreur d’urbanisme ait été corrigée !

Certains habitants me corrigent lorsque j’appelle l’ancienne route une autoroute. Ils prétendent qu’elle n’a jamais été une véritable autoroute, mais ils se trompent. Vous pouvez voir clairement le panneau d’entrée d’autoroute dans le coin inférieur droit de cette photo. La limite de vitesse était de 100 km/h ici à la fin des années 1970 : c’est celle qu’on retrouve sur autoroute. Lorsque sa suppression a été décidée, cette route pour automobile avait vu la limite de vitesse abaissée à 50km/h, mais elle a vraiment été planifiée et construite comme une autoroute. Alors que la chaussée centrale elle-même ne disposait que de 4 voies, on compte à cet endroit 12 voies de circulation avec les voies d’accès et les 3 voies de chaque côté au niveau du sol. Photo Archives d’Utrecht.
La vidéo de la semaine : Utrecht célèbre la restauration de son canal périphérique !

Notes

  1. Le musée central d’Utrechts consacre une exposition à la ville fortifiée. Les archives de la ville d’Utrecht présentent une exposition sur ce que signifie la restauration du canal pour les habitants d’Utrecht.

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8 réponses

  1. Vivement le reportage sur l’enfouissement de l’A2 à Maastricht.

    C’est quand même dingue. Lille est à deux heures de Eindhoven et nous avons un fossé urbanistique gigantesque.

  2. janpeire dit :

    Vivement le reportage sur l’enfouissement du bras mort de Loire dans l’agglomération d’Orléans pour y construire un parc de stationnement géant avec 150000m² de surface marchande, un stade, une piscine à vague, une piste de ski, un boulodrome et un vélodrome pour les ami-e-s de la pédale.

    Hein, quoi ! Pompidou est mort ! Faut vite le dire aux édiles locales.

    JPB

  3. V-LO dit :

    S’émerveiller d’Utrecht, et puis vivre et pédaler à Orléans et voir que notre ville-jardin a réélu Serge Grouard et sa team so XXème siècle…

  4. Eric dit :

    Bien traduire un texte, ce n’est pas si simple. Traduire ces mots « As I mentioned in last week’s post, the first female cabinet minister in the Netherlands (…) » avec  » Comme je l’ai mentionné dans mon billet de la semaine dernière, la première femme premier ministre des Pays-Bas (…), c’est donc vite faite, mais c’est un erreur, car les Pays-Bas n’ont jamais eu un premier ministre feminine.

    Il y a eu des femmes qui sont devenues ministres, aussi dans les années 1960, mais en 2022, on attend toujours en vain que notre premier ministre actuel Mark Rutte va finalement ficher le camp pour ceder sa place à des grandes femmes comme Sigrid Kaag ou Sophie Hermans. Les Néerlandais sont connues pour leur vélos, mais ceux entre nous qui vont en voiture, détestent la politique anti-voiture à Utrecht.

  5. Eric dit :

    Avec plaisir, Jeanne! 🙂

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