Municipales 2020 à Orléans : speed dating électoral dans le tram

C’est une jolie prouesse technique et éditoriale qu’a réalisée France Bleu Orléans jeudi 30 janvier 2020 avec son programme « en direct du tramway ». Trois heures d’émission de 6h à 9h dans le contexte des élections municipales orléanaises et sur un sujet qui concerne tout un chacun : les transports1. Sept candidats déclarés à la mairie d’Orléans avaient chacun trois minutes pour répondre en direct aux questions d’Anne Oger qui avait bien bossé son sujet. Autant dire que ce n’était pas un exercice facile pour celles et ceux qui s’asseyaient en face d’elle, d’autant plus que l’angle d’attaque de ces interviews express était différent pour chacun des candidats. Ils et elles n’ont certainement pas pu tout dire mais les propos tenus n’en méritent pas moins d’être mis en perspective.

Pour une poignée de millions… et quelques millions de plus

Comme Olivier Razemon l’avait bien pressenti, cinq des sept candidats orléanais ont repris dans leurs propositions le marqueur de la gratuité des transports en commun2. Seuls Serge Grouard et Olivier Carré ne reprennent pas à leur compte cette mesure, quoique ce dernier suggère d’offrir aux nouveaux Orléanais trois mois de gratuité sur le réseau TAO en guise de pass découverte de bienvenue – ce qui n’est pas idiot. Dans l’ordre d’apparition à l’antenne de France Bleu Orléans, Tahar Ben Chaabane, Dominique Tripet, Jean-Philippe Grand, Nathalie Kerrien et Valentin Pelé ont chacun repris à leur compte – avec des nuances – cette thématique dans l’air du temps politique.

Jean-Philippe Grand a de la suite dans les idées puisqu’en septembre 2018 il avait été à l’initiative d’un débat public sur le sujet dont j’avais rendu compte. Il est aussi prudent puisque il ne souhaite proposer cette gratuité, dans un premier temps, qu’aux moins de 26 ans. Tahar Ben Chaabane de son côté se prononce pour une gratuité « ciblée » incluant plusieurs catégories de population (dont les scolaires et étudiants). Dominique Tripet3 la souhaite totale mais progressive et Valentin Pelé l’imagine totale dès le début du mandat. Nathalie Kerrien de son côté prône essentiellement la gratuité pour les étudiants noctambules éméchés4.

C’est sur un autre marqueur qu’Olivier Carré a été interrogé : le remplacement de toute la flotte de bus TAO par des bus électriques, un projet à 110 M€5 qui lui tient à coeur. Avant même d’avoir pu prouver sur route qu’ils sont moins inflammables que les bus actuels6, ces véhicules ont enflammé le conseil métropolitain7. Aux yeux du maire actuel c’est affaire de « transition écologique » en matière d’émission de gaz à effet de serre et de modernisation du réseau. J’ai écrit que la voiture électrique est une voiture comme une autre. C’est aussi valable pour le bus.

Sur ce sujet, Serge Grouard a pu prendre le contrepied de son successeur en affirmant que les bus diesel polluent très peu rapportés à l’ensemble du trafic motorisé. Ce qui n’est pas faux. En revanche il a voulu se muer en interviewer et s’est piégé lui-même en demandant à Anne Oger si elle savait combien représentait la part modale de l’automobile dans la métropole. Elle a répondu du tac au tac « 55 % ». « Et la part du transport en commun c’est 15 % » a-t-il continué. Non, c’est beaucoup moins – je reviens sur le sujet plus loin. Concernant les transports en commun il s’agit à ses yeux de proposer « quelque chose qui soit moins cher que l’utilisation de la voiture ». C’est déjà le cas. Posséder et utiliser une voiture au quotidien coûte bien plus cher que recourir au bus ou au tram8.

Évidemment, tous veulent augmenter l’offre, développer l’offre, une fréquence augmentée, de nouvelles lignes de bus et même étendre et prolonger les lignes de tramway (au nord, à l’ouest et à l’est) ! À 4 ou 5 millions d’euros pièce la rame de tram, il va y avoir des arbitrages budgétaires douloureux… Titillé sur le développement du transport à la demande par Anne Oger, Jean-Philippe Grand a eu la prudence de déclarer « on ne va pas faire exploser le budget des transports ». Ce qui n’est pas le cas de Valentin Pelé qui a déclaré « nous finançons à 80 % le transport en commun, les 20 % qui restent nous pensons être en capacité de le faire ». Ce « nous » fait facilement fi du versement transport qui représente 47 % du financement comme l’a exposé Charles-Eric Lemaignen, qui sait de quoi il parle, dans un post Facebook :

Allô monsieur Héran ?

Anne Oger en interrogeant Dominique Tripet (du PCF) a évoqué un rapport sénatorial qui a été consacré à la question de la gratuité des réseaux de transport en commun. Le voici (en PDF). Pour établir ce riche rapport d’information rendu public en septembre dernier, les sénateurs ont notamment auditionné l’économiste et urbaniste Frédéric Héran (voir Ressources locales). Son audition, en compagnie de Jean-Louis Sagot-Duvauroux et Maxime Huré, a eu lieu le 7 mai 2019 et l’intégralité des échanges est à lire sur cette page. Je vous propose de prendre connaissance de ses propos liminaires qui posent admirablement bien le problème9 :

« La gratuité des transports publics est un outil qui doit être au service d’une politique. Laquelle ? La problématique est celle des déplacements urbains. Quel est le bon cocktail de transports à déterminer pour inciter les gens à se déplacer de la façon la plus agréable et efficace possible avec un faible impact environnemental et un coût maîtrisé pour les finances publiques ? Pour résoudre cette équation, il faut d’abord se demander quel mode de déplacement privilégier. La réponse paraît évidente : le moins cher, le moins producteur de nuisances, le plus inclusif et le plus démocratique, c’est la marche. L’idéal serait donc de tout faire à pied. Quel autre mode de déplacement privilégier ? Le vélo, qui est un exosquelette rendant le piéton trois à quatre fois plus efficace.[…] Ensuite, ce sont les transports publics. Enfin, il y a la voiture partagée puis la voiture individuelle. Avec cette hiérarchisation en tête, tout le débat sur la gratuité des transports publics change. […] »

« Quel est l’impact de la gratuité des transports publics ? Il est très faible sur les automobilistes. Le report modal de la voiture vers les transports publics n’est que de 1 à 2 %. En revanche, il est de 2 à 4 % des piétons et de 5 à 7 % des cyclistes. On en est estomaqué : les deux modes les plus inclusifs, les moins coûteux pour la collectivité comme pour les particuliers, les plus respectueux de l’environnement, les plus actifs, voient leur part réduite par la gratuité des transports publics. C’est un effet pervers, dramatique pour certains publics. Ainsi, les adolescents ont besoin de bouger ; or, en France, c’est de moins en moins le cas. La distance qu’ils étaient capables de parcourir il y a trente ans en courant trois minutes se fait aujourd’hui en quatre minutes. Nous préparons une société de personnes insuffisamment mobiles. Aussi, inciter des adolescents, qui constituent la moitié du public des transports en commun, à ne pas bouger, à un prix faramineux pour la collectivité, pose un vrai problème. »

« Si l’objectif consiste à réduire le trafic automobile – ce qui est toujours mis en avant pour défendre la gratuité des transports publics et qui est indispensable pour l’environnement – il existe des mesures plus efficaces. Les municipalités qui se lancent dans la gratuité, quelle que soit leur couleur politique, n’ont pas envie de viser directement la baisse du trafic automobile. Aucun élu ne souhaite froisser les automobilistes qui constituent la majeure partie de son électorat. […] Les politiques de modération de la circulation automobile sont moins chères et plus efficaces que la gratuité des transports en commun. […] »

« Si l’on veut à tout prix aborder les aspects sociaux de cette politique de gratuité, là encore, il y a mieux à faire. La gratuité incite fortement à prendre les transports en commun et non à se déplacer autrement. On pourrait créer un complément de revenus que chacun utiliserait dans la mobilité comme il le souhaite, pour que les usagers explorent divers moyens tels que le vélo ou le covoiturage, par exemple. »

Sa majesté le tramway

Tous les candidats présents se font – volontairement ou non – des illusions sur la portée des transports en commun en matière de report modal depuis l’automobile, illusions entretenues par le succès des deux lignes de tramway qui ont investi la ville entre 2000 et 201210. Elles ont en effet accru significativement la part des transports en commun à Orléans et dans sa périphérie mais on partait de loin. Que nous disent Les chiffres clés de la mobilité dans la métropole orléanaise pour 2018 ? La part modale des transports en commun est de 10,5 % et alors que le tram ne parcourt que 20 % des kilomètres réalisés annuellement par l’ensemble des véhicules du réseau TAO, il représente 63 % du trafic voyageur.

Petit calcul de coin de table :
63 % de 10,5 % donne ~ 6,6 % soit à peine un gros point de plus que la part modale du vélo (5,5 %) en croissance continue malgré l’absence d’un réseau cyclable continu et sûr (+ 7 % entre 2017 et 2018)11.

D’ailleurs, seuls Serge Grouard et Jean-Philippe Grand ont spontanément mentionné le vélo12. Notons aussi qu’aucun des candidats n’a évoqué la marche à pied. On ne pense pas spontanément à nos deux jambes quand est évoqué le thème transport. Pourtant, ce mode de déplacement concerne déjà plus d’un trajet sur quatre (la part modale piéton est aussi en augmentation).

Et pour finir, une interrogation : les candidats ont-ils validé un titre de transport en montant de bon matin dans la rame aux couleurs de France Bleu Orléans ?

Sur la ligne B, à l’intérieur d’une rame.

Crédit photos : Smiley.toerist [CC BY-SA]

Notes

  1. Élections municipales : que proposent les candidats pour les transports à Orléans ?, France Bleu Orléans, 30 janvier 2020. L’article contient la captation sonore des échanges sur lesquels je me suis basé.
  2. « « Un marqueur », c’est une proposition phare, une mesure que tous les électeurs retiendront » explique Olivier Razemon dans son billet « Les transports gratuits, le beurre et l’argent du beurre » (11 janvier 2020).
  3. Dominique Tripet est la seule à avoir fait un retour d’usager du bus en jugeant que « les personnes sont mal véhiculées ».
  4. Emportée par son enthousiasme, elle a même parlé de transport en commun toute la nuit. Seules les plus grandes villes françaises ont mis en place un tel service. Par exemple le Noctilien en Île de France ou Pleine Lune à Lyon.
  5. « Les bus électriques de la métropole d’Orléans ne seront pas chinois, mais espagnols », La République du Centre, 19 décembre 2019.
  6. « Keolis met à l’arrêt 40 véhicules après le double incendie de bus à La Chapelle-Saint-Mesmin », La République du Centre, 2 novembre 2018.
  7. « Les bus électrisent toujours autant les débats à la Métropole d’Orléans », La République du Centre, 29 novembre 2019. Et un an plus tôt : « Les bus électriques suscitent la polémique à Orléans Métropole », La République du Centre, 16 novembre 2018.
  8. À moins que Serge Grouard ait eu en tête la notion de « coût généralisé » expliquée par Frédéric Héran lors de son audition par la mission d’information sénatoriale dont il va être question ci-dessous : « Les économistes parlent de coût généralisé, soit le coût complet du transport plus le temps passé à se déplacer. Or, de ce point de vue, si la voiture coûte cher à l’usager, elle s’avère souvent moins coûteuse que le transport public en termes de coût complet, car le temps passé pour effectuer un trajet en voiture est beaucoup moins élevé qu’en transports publics notamment dans les villes moyennes, même si ce n’est pas vrai dans les grandes villes, là où la gratuité est difficile à envisager. » (source)
  9. J’ai fait quelques coupes pour alléger, sans altérer le sens général du propos.
  10. Il y en a un qui, dès 2001, ne se faisait pas d’illusion sur le retour du tramway à Orléans : « Grâce au caractère prêt-à-penser de ce type d’infrastructure, les élus pensent passer pour écologistes. Pour compenser, ils donnent aussi des gages aux automobilistes: à Orléans, le maire a inauguré en même temps le tramway et un nouveau pont routier sur la Loire… » (Guy Flesselles, « Le tramway, une mode qui coûte cher », Libération, 23 mai 2001)
  11. On pourrait aussi signaler en passant, car sinon ça nous emmènerait trop loin (ah ah !), que la question des distance parcourues au moyen des transports en commun est un sujet très intéressant comme l’a montré Isabelle Lesens : « Transports publics urbains : le nombre caché qui fait exploser tous les autres » (14 décembre 2019).
  12. Serge Grouard qui juge que les bouchons sont mauvais pour le réchauffement climatique (!) a eu une formule révélatrice de son tropisme automobile en disant vouloir « développer les transports en commun, voire le vélo » (c’est moi qui souligne). Jean-Philippe Grand a quant à lui sobrement déclaré vouloir un « maillage de pistes cyclables ».

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2 réponses

  1. janpeire dit :

    L’initiative de France-bleue était une bonne chose, tout comme les déplacements « en campagne » de la République du centre ; c’est même à regretter que ce type d’opération ne soient pas réalisées régulièrement, en dehors d’une période de crise.

    Par ailleurs, ce compte-rendu (commentaire) écrit ajoute de-ci delà quelques précisions e/o nuances bien agréables.
    J’ai entraperçu sur le réseau à l’oiseau bleu que Tahar Ben Chaabane avait payé son trajet de tramway, les autres peut-être aussi, mais lui, il l’a montré.
    JPB

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