Pourquoi je n’ai pas de VAE (ou pourquoi je ne veux pas d’un vélo-comme-une-voiture) — par Madi Carlson
Un nouveau témoignage venu du nord-ouest des États-Unis. On le doit à Madi Carlson qui réside à Portland et tient depuis 2008 le blog Family Ride. Figure connue du militantisme vélo made in USA, elle a tenu pendant près de deux ans la rubrique Family Biking de BikePortland et a publié en 2015 un livre : Urban Cycling. How to Get to Work, Save Money, and Use Your Bike for City Living. Voici la traduction de son billet publié le 21 juin 2017 sous le titre « Why I Don’t Have an E-Assist (or Why I Don’t Want a Car-Replacement Bike) », avec son aimable autorisation.
Remarque préliminaire : je pense que les vélos à assistance électrique (VAE) sont fantastiques. Je pense sincèrement que le vélo peut sauver le monde, et pour beaucoup de gens cela signifie utiliser un VAE. Ce billet – comme tout sur ce blog – ne reflète que ma propre expérience. Si vous voulez un VAE, alors n’attendez pas pour vous en procurer un1 !
Pendant des années, je m’en sortais au sujet de l’assistance électrique en blaguant :
« Je malmène trop mes vélos, ça me ferait un truc de plus à casser. »
« Je suis trop entêtée pour en acheter un maintenant alors que je ne me posais pas la question il y a six ans quand j’ai acheté mon vélocargo… et les enfants pesaient alors 45 kg de moins ! »
Mais au fond, je n’y ai jamais vraiment réfléchi. Oui, je suis entêtée, et ça n’était pas au programme il y a six ans (être au courant, avoir le budget, en avoir besoin), mais il y a autre chose.
Je n’ai pas un vélo pour remplacer une voiture parce que je n’ai pas un mode de vie basé sur la voiture ; mon mode de vie est basé sur le vélo.
Je ne veux pas d’une vie où les distances impliquent de prendre la voiture ou d’un rythme de vie qui impose de rouler vite au volant d’une voiture.
Je ne veux pas que mon plan B soit une voiture. Si d’aventure mon vélo était cassé, ou que moi ou les enfants soyons dans l’incapacité de pédaler, je ne veux pas que notre seule alternative soit la voiture. Je veux qu’on puisse marcher ou prendre le bus, et nos vélos rendent simplement nos déplacements plus rapides, plus faciles et bien plus amusants.
Actuellement « à distance de vélo » signifie une distance que je peux parcourir lentement sur un vélo lourdement chargé ou que les enfants peuvent parcourir sur leurs petits vélos. Et si ma destination est plus lointaine, je veux pouvoir prendre le bus, le train, ou le ferry, idéalement en emportant les vélos. Et s’il arrive qu’une fois nous ne puissions ou ne voulions pas pédaler, je veux que mon mode de vie me permette de prendre le temps de marcher, pour les courtes distances, ou de prendre le bus, pour les plus lointaines.
Attention : ça fonctionne pour moi parce que je vis dans une grande ville (et plutôt cyclamicale) et que je tiens à en profiter2. Tout est rapproché ici. L’école est à trois rues de la maison, et tout le reste est quasiment aussi proche : quelques parcs, quelques bibliothèques, quelques magasins de vélo, quelques supérettes, des marchés alimentaires, un magasin de matériel artistique, hum… de quoi d’autre pourrait-on avoir besoin ? … un bar à chats, un magasin de farces et attrapes, un kaitenzushi à dix minutes de vélo dans l’une ou l’autre direction par un chemin qui se trouve à deux rues de chez nous.
Une chose très importante qui fait que ça fonctionne est que j’ai commencé à me déplacer à vélo avec mes enfants alors qu’ils étaient tout petits et facilement trimbalables. J’ai pu développer mes muscles, ma confiance et ma ténacité. Ils ont grandi en apprenant qu’aller partout à vélo est tout à fait normal. Les bébés et les tout-petits sont si légers et transportables, et beaucoup vont grandir et devenir de manière fort pratique des enfants qui monteront seuls en selle à peu près à l’âge où ils deviennent trop costauds pour être convoyés facilement. Quand les enfants sont jeunes, ils tiennent sur des vélos standards, comme mon old mamabike, si bien qu’il n’est pas nécessaire de consentir un gros investissement pour adopter ce mode de vie.
Mon vélo principal est un Surly Big Dummy, un modèle parmi les nombreux longtails du marché. Il permet de transporter facilement deux enfants et des affaires. Ce qui est génial avec les longtails, c’est qu’ils permettent de transporter les enfants et leurs vélos, je peux ainsi emporter tout ce bazar pour passer les endroits dans lesquels je ne veux pas qu’ils pédalent eux-mêmes ou leur offrir une pause quand ils sont fatigués3. Ce vélo qui pèse environ 34 kg est conçu et équipé pour emporter de lourdes charges. Les enfants pèsent environ 30 et 25 kg, mais heureusement je dois rarement les transporter ensemble aujourd’hui. Transporter un garçon et son vélo ça va, mais les deux forment désormais un poids total que je m’abstiens volontiers de déplacer.
Les voitures et moi
Alors oui, nous utilisons une voiture à l’occasion. Il y a un an et demi, j’ai loué une Zipcar pour emmener les enfants faire du snowboard (voir Snowboarding for the car-free family). Je ne suis pas certaine de pouvoir nous lever assez tôt pour prendre le bus, alors nous pourrions bien refaire la même chose l’hiver prochain, mais quand les enfants auront grandi et que j’aurai, je l’espère, dépassé ma phobie à l’égard du réveil trop matinal des bébés, ce sera le bus !
Cette année nous avons loué une voiture pendant le Spring Break pour rejoindre ma famille près de Venice Beach et nous avons pu facilement faire un saut jusqu’à Santa Barbara, ma ville de naissance. Je rêve de trouver le moyen de séjourner à Los Angeles sans voiture tout en rejoignant aussi fréquemment ma famille qu’en étant motorisés.
Donc la voiture c’est pour les occasions spéciales, pas le quotidien. Oh et puis nous avons covoituré avec des amis trois fois sur les douze derniers mois mais c’est tout en matière de voiture.
J’ai le sentiment que je ne peux pas écrire à propos du fait d’avoir ou pas de voiture sans dire un mot d’une sale bestiole : Uber.
Je déteste Uber.
Je déteste Uber parce que chaque conducteur de Prius stationné sur la bande cyclable, brûlant un feu rouge, tournant à droite sans contrôler si un vélo est sur la bande cyclable, regardant son téléphone tout en fonçant, est probablement un chauffeur Uber.
Je déteste Uber parce qu’il malmène tranquillement les femmes et les Noirs.
Je déteste Uber parce que ses projets de développement rendraient les villes insupportables.
J’ai commencé à écrire ce billet il y a de nombreux mois donc ces histoires d’Uber datent un peu et je suis certaine que d’autres affaires encore plus horribles ont fait surface depuis4. Je n’ai jamais fait appel à Uber et ne le ferai pas et il me semble qu’il y a plein de meilleures options (n’hésitez surtout pas à me rectifier ou me signifier votre désaccord en commentaire parce que je ne comprends pas pourquoi Uber a autant de succès).
Un des aspects positifs (?) d’avoir mis si longtemps à achever ce billet est que je peux joindre la parole aux actes : je me suis cassé le pied il y a quatre semaines et ma vie basée sur le vélo a réussi le test puisque j’ai réussi à pédaler avec un pied dans le plâtre.
Les VAE et moi
Un autre aspect positif de ce long temps de rédaction est que j’ai réussi à publier le bilan d’une semaine estivale à Portland en VAE. C’était géant ! Cette semaine m’a ouvert les yeux et J’AI COMPLÈTEMENT COMPRIS L’INTÉRÊT DE L’ASSISTANCE ELECTRIQUE ! Nous avons vécu cette semaine comme si nous avions une voiture, mais à vélo. Ouais, c’était sympa, mais ce n’était pas non plus notre rythme de vie habituel. J’imagine que louer un vélocargo à assistance électrique à Portland est équivalent à louer une voiture en Californie du sud. Sauf que c’est bien mieux.
Viendra peut-être le jour où j’aurai besoin de l’assistance électrique pour continuer à mener ma vie de je-me-déplace-au-rythme-d’un-vélo-musculaire. Ça me convient, mais pour mon présent et mon futur proche, j’en reste à ma pratique actuelle.
Notes
- On peut aussi renvoyer au témoigne d’un autre résident de l’Oregon, Kent Peterson, dans « Je n’avais pas besoin ni voulais d’un VAE, mais je suis bien content d’en avoir un ! ». NdT
- Madi Carlson habitait à Seattle à l’époque où ce texte a été mis en ligne. Elle s’est installée à Portland en octobre 2017. NdT
- Retrouvez les arguments de Madi Carlson en faveur du longtail dans cette courte vidéo de 2016. NdT
- Et c’est bien le cas : « Accusations d’agressions sexuelles: Uber sommé de rendre des comptes », La Presse, 8 décembre 2019. NdT