On ne règle pas des problèmes de conception à coup de sonnette — par Mark Treasure
Une traduction tirée du blog de référence britannique As Easy As Riding A Bike de Mark Treasure1 : « You don’t solve design problems with bells », article publié le 25 juillet 2018. Avec l’aimable autorisation de son auteur.
En cette période de vaches maigres journalistiques on a eu droit récemment à un peu d’agitation autour de l’idée de rendre l’usage de la sonnette obligatoire dans les colonnes de notre quotidien de référence le Times.
Ce papier semble n’avoir comme source que cinq questions écrites du député Julian Lewis.
La réponse informelle du ministre des transports a été montée en épingle comme il l’a lui-même indiqué.
Mais imaginons un instant, par charité, que la proposition soit sérieuse. Que signifie concrètement « usage obligatoire de la sonnette » ? Dois-je faire ding-ding à chaque fois qu’un piéton est en vue ? Dans n’importe quelle ville ou village ma sonnette n’arrêterait pas de retentir. Gardons également à l’esprit que beaucoup de personnes manifesteront leur mécontentement, souvent avec agressivité, au ding-ding d’une sonnette, l’interprétant comme un coup de klaxon. Un principe de base – avant que ces inepties se retrouvent quelque part dans les tuyaux réglementaires – impliquerait de tomber d’accord de manière consensuelle sur ce que les gens souhaitent et veulent quand on leur parle d’avertissement audible (et même s’ils souhaitent qu’un tel signal sonore existe). Si l’opinion publique n’est pas convaincue, ce qui me semble hautement probable, il n’y a aucune raison de chercher à légiférer sur le sujet.
Dans tous les cas, la question des sonnettes, avertissements et autres « cyclistes-voyous qui foncent en silence », est symptomatique d’un échec en matière d’aménagement urbain. J’ai sans doute fait plus de 800 km à vélo aux Pays-Bas ces cinq ou six dernières années. Ce n’est pas une grande distance, mais suffisant pour avoir une bonne idée du pays. Dans tous ces trajets – dans les villes, grandes ou petites, à la campagne – je ne me souviens pas avoir jamais eu besoin d’actionner ma sonnette pour avertir quelqu’un de mon approche. Pas une seule fois.
Cela s’explique sans doute largement par le fait que les piétons aux Pays-Bas sont pleinement conscients – comme l’on peut s’en douter – qu’ils rencontreront souvent des cyclistes. Ça paraît curieux parce que de manière générale vous n’entendez rien approcher – et c’est particulièrement vrai aux Pays-Bas. Faire attention aux cyclistes est simplement un réflexe basique de tous les jours, d’une part parce que tout le monde a l’expérience du déplacement à vélo, et d’autre part parce qu’il s’en rencontre très fréquemment.
Néanmoins je soupçonne mon non-usage de la sonnette d’être dû au fait que j’entre que rarement en conflit avec les piétons en raison de la manière dans le réseau cyclable est conçu. À l’inverse de la Grande Bretagne, où les espaces piétons et vélos sont trop souvent bricolés ensemble sur des espaces inappropriés, le vélo est traité comme un mode de transport à part entière, avec un espace dédié distinct de celui de la marche.
Je n’ai pas besoin d’actionner ma sonnette pour avertir un piéton que j’arrive car nous ne partageons pas le même espace (inapproprié). Il y a bien sûr plein de situations aux Pays-Bas où piétons et vélos sont mélangés – un exemple typique ci-dessous.
Cela survient cependant dans les cas où le nombre de personnes à vélo, et le nombre de piétons en particulier, est relativement faible. En pratique, ces chemins fonctionnent comme des routes miniatures avec un marquage central, et sont empruntés par un faible flux de trafic à faible impact. Les piétons les empruntent dans cet esprit en marchant sur les côtés, et chacun comprend de manière évidente comment se positionner. Si ce type de voie devait être davantage pratiqué, et que cyclistes et piétons en viennent à se gêner, la séparation des deux modes deviendrait nécessaire. Tout cela est merveilleusement rationnel.
Cela contraste avec la Grande-Bretagne où les « voies cyclables » sont souvent rien de plus qu’un panneau bleu autorisant les cyclistes à rouler sur les trottoirs existants – eux-mêmes déjà souvent très fréquentés.
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi des gens en train de marcher sur ce genre de trottoir ne s’attendent pas à voir surgir un vélo. On dirait un trottoir, ça ressemble à un trottoir, c’est un trottoir. C’est pourquoi ceux qui pédalent ici doivent décider ce qu’il convient de faire à l’approche d’un piéton qui leur tourne le dos.
- Actionner la sonnette ?
- Faire du bruit avec le vélo ?
- Se signaler oralement ? Mais dans ce cas, que dire ?
- Essayer de se faufiler sans faire de bruit ?
Gardez à l’esprit qu’il n’existe aucun consensus sur la méthode à appliquer de préférence vis-à-vis des piétons. Certains détestent les sonnettes, parce qu’ils ont le sentiment qu’on leur dit de dégager du chemin. D’autres n’aiment pas qu’on fasse du bruit, ou qu’on les interpelle, et préfèrent le son clair d’une sonnette, qui délivre le bon message. D’autres encore pourraient bien être sourds.
Quand vous arrivez à vélo dans le dos de quelqu’un il n’y a évidemment aucune possibilité de savoir comment cette personne va réagir, et ce qui a sa préférence. On en est réduit aux conjectures.
Ma technique consiste en général à approcher, ralentir un peu, et espérer que la personne prenne progressivement conscience que j’arrive. Si ce n’est pas le cas, je dis habituellement « pardon ». Je réserve le coup de sonnette aux situations dans lesquelles quelqu’un se met à traverser sans regarder ou dans lesquelles je perçois un risque de collision.
Un court extrait ci-dessous, sur un itinéraire que j’emprunte quotidiennement.
Je constate que les deux filles ont conscience que j’approche, mais je ralentis au cas où, jusqu’à ce que j’en sois certain. Le femme ne se rend compte de rien, donc je ralentis à nouveau, et je dois prononcer à haute voix « pardon » pour lui faire savoir que je suis derrière elle.
Ce n’est certainement pas parfait. Il y a peut-être une meilleure façon de procéder. Mais vraiment je ne pense pas qu’il y ait une manière « parfaite » de gérer ce genre de petit conflit d’usage. C’est toujours mal engagé. Vous allez faire sursauter quelqu’un ; vous allez choisir la mauvaise option sans même vous en rendre compte ; vous allez enquiquiner quelqu’un. C’est inévitable.
Mais à la solution à ce problème n’est pas PLUS DE SONNETTES ou USAGE OBLIGATOIRE DE PLUS DE SONNETTES. Le problème fondamental ici c’est un environnement piéton/vélo merdique. Chaque endroit où on attend des gens qu’ils fassent ding-ding (ou tout autre forme d’avertissement audible) est un endroit où on ne s’attend pas à rencontrer des cyclistes ; un endroit où celui qui pédale doit partager l’espace avec celui qui marche ; un endroit où la largeur disponible n’est pas assez importante pour une co-existence pacifique des deux modes. L’usage des sonnettes n’est pas une solution à ce problème. Une meilleure conception de l’espace public oui.
Le chemin dans la vidéo a seulement deux mètres de largeur, et mêle dans un même espace piétons et cyclistes. La recette parfaite du conflit d’usage. Si vous estimez que la réponse à ce type de conflit est de réglementer l’usage de la sonnette alors vous ne vous souciez pas des cyclistes, et franchement vous ne vous souciez pas des piétons non plus. Je ne veux pas pédaler à peine plus vite que la vitesse du pas, devoir actionner ma sonnette tous les quelques mètres. J’imagine que les piétons n’ont pas envie de cela non plus. C’est mon cas quand je suis à pied.
Arrêtons de bavasser sur les sonnettes et assurons-nous de proposer des espaces piétonniers et cyclables qui fonctionnent pour ces deux modes, qui indiquent avec clarté où se positionner et comment se comporter, et avec suffisamment d’espace pour chacun.
Crédit photo : https://www.flickr.com/people/elizaio/ [CC BY-SA 2.0], via Wikimedia Commons
Notes
- Mark Treasure est le président de la Cycling Embassy of Great Britain. Vous pouvez le retrouver sur Twitter.
You can ring my beeeeeell, ring my bell
C’est certain : à deux c’est mieux ! 😀
bel article et basé sur une réflexion forte intelligente.
Quand je vois que sur la métropole, créer une voie cycliste consiste dans une majorité des cas à transformer 1 des 2 trottoirs en voie cyclable, le contraste me fait sourire.
Oui, le passage sur l' »environnement merdique » est familier : it feels like home.
Merci pour l’article ! Une coquille : sans douter-> s’en douter
Merci ! C’est corrigé.
Rajouter un bruit de scooter serait bien plus efficace que la sonnette …
Oh oui, un bruit de pot non homologué !