La voiture électrique est une voiture comme une autre

Avant de devenir bientôt – peut-être – autonome, la bonne vieille voiture à moteur thermique se rêve électrique. Le lobby automobile aimerait bien se racheter une vertu, une sorte de green indulgence, en ces temps d’emballement européanno-judiciaire autour de la question de la pollution atmosphérique dans les villes1. Bon, Jeanne ne vous fera pas un exposé sur le sujet, tellement trendy, hype et branché – ah ah ! – que le Web regorge d’informations plus ou moins orientées et sérieuses sur ce véhicule du futur qui a déjà un passé (comme le détaille l’article que lui consacre Wikipédia).

Pour ne prendre que deux articles susbtantiels récents, vous trouverez des considérations énergétiques chez Jean-Marc Jancovici2 et des considérations économico-entrepreneuriales chez François Lévêque pour La Tribune3. À Orléans aussi le courant passe. Nos élus ont décidé d’équiper les rues de la ville de bornes de recharge pour véhicule électrique comme La Rép’ s’en était fait l’écho début février4. Le mensuel municipal Orléans.Mag titre dans son numéro de mai, page 20 : « L’électrique, ça vous branche ? ». Ça électrise en tout cas Olivier Carré qui confiait à la presse5 :

« Tout cela rentre dans une stratégie de déplacements de plus en plus décarbonés. Il faut dire que les technologies arrivent à maturité. Elles n’ont plus rien à voir avec ce qui existait il y a une dizaine d’années. »

Branchement local

Alors ces « bornes de recharge pour véhicules électriques ou hybrides » ? Il en existe actuellement six sur la voie publique. Du côté du boulevard Alexandre Martin, trois bornes (chaque borne alimente deux places) sont installées juste à l’est de la place Halmagrand  :

BornesBvdAlexandreMartin
Bornes au repos boulevard Alexandre Martin.

Rue Adolphe Crespin, juste à côté de la place du Martroi, la borne qui a été choisie pour l’inauguration du dispositif par le maire himself6 :

BorneRueAdolpheCrespin
Borne esseulée rue Adolphe Crespin.

Les deux heures de recharge et de stationnement gratuites7 n’attirent pas les foules en ce temps de pause méridienne. Cependant c’est rue Bannier – évidemment ! – que les choses se corsent pour la « stratégie de déplacements de plus en plus décarbonés ». Tout d’abord en bas de la rue :

BorneRueBannierBas
Au bas de la rue Bannier, deux voitures ni électriques ni hybrides profitent du soleil des places de stationnement.

Puis en haut de la rue :

BorneRueBannierHaut1
Un seul #gcum sur deux places devant la borne.

Mais deux minutes plus tard8 :

BorneRueBannierHaut2
Créneau en cours.

C’est là qu’on relit avec grand intérêt l’article d’Orléans.Mag déjà mentionné :

Tout véhicule thermique stationné sur ces places est considéré comme en stationnement gênant, tout comme les véhicules électriques non branchés à la borne.

Ne serait-il pas temps de reconsidérer la question de la vidéoverbalisation ? Car encourager à l’utilisation de véhicules électriques dans ces conditions ne va pas être simple.

Encombrement global

Que la voiture soit thermique, hybride ou électrique, son principal défaut est sa consommation d’espace-temps comme l’explique très clairement Frédéric Héran dans cet article de 2009 dont la lecture s’impose. Après sa démonstration il peut conclure :

[…] la consommation excessive d’espace par l’automobile représente bien une nuisance, dans la mesure où elle restreint de diverses façons l’usage des autres modes.

L’utilisation de la voiture individuelle, occupée en moyenne par 1,3 personnes, mène immanquablement à la congestion car c’est le mode de déplacement le moins efficace en ville quand bien même on n’a eu de cesse pendant des décennies de détruire d’adapter le tissu urbain à l’automobile. Pour rendre cet état de fait visuellement explicite, l’ingénieur autrichien Hermann Knoflacher a inventé en 1975 le Gehzeug9, un cadre en bois de la taille d’une voiture moyenne (4,30 m x 1,70 m) qu’une personne seule peut porter à l’aide de sangles. Il voulait ainsi mettre en évidence l’écart existant entre les besoins d’espace des automobilistes et des piétons et fustiger le manque de vision des décideurs en matière de planification urbaine.

Des militants se servent du Gehzeug pour des happenings ou des manifestations10. « Voilà l’espace que nécessiterait le déplacement de 30 piétons si on leur donnait autant d’espace qu’aux automobilistes » dit le tweet suivant11 :

Un autre twitos commente :

Traduction :

S’il vous apparaît absurde que 30 personnes seulement arrivent à occuper toute une rue, gardez à l’esprit que nous choisissons tous les jours la version la plus bruyante, sale et dangereuse de cette aberration.

Autre mode d’explication visuelle du problème de l’espace occupé par la voiture individuelle :

Pseudo-traduction : pour le même nombre de personnes transportées, les voitures occupent une superficie dix fois plus importante que les vélos.

Dans son numéro de novembre-décembre 2017, le magazine de la FUB, Vélocité, a publié un article de synthèse – tout à fait factuel – intitulé « La grande illusion de la voiture électrique ». On peut laisser le mot de la fin à Jérôme Fraisse qui y écrit :

Vous imaginez, des embouteillages silencieux de voitures électriques avec en moyenne 1,3 passager à leur bord. Le rêve ! Eh oui, la voiture électrique reste une voiture comme avant : trop grosse, trop lourde, trop puissante pour les usages qu’on en fait. Décevant comme révolution !

Dépasser les bornes ?

Pour celles et ceux qui n’ont pas le bonheur de posséder une voiture électrique, il est toujours possible de jouer à la borne de recharge à la gare. Et depuis plusieurs années. « Des vélos installés dans la gare pour recharger ses batteries » titrait La République du Centre le 3 décembre 2014.

BorneGare
À la gare, il n’est pas possible de régler la hauteur de la selle.

Recharger des smartphones d’accord, ça peut être rigolo deux minutes, mais y a quand même mieux à faire en matière de pédalage12. Pour les déplacements urbains, décarbonner les usagers passera immanquablement par le vélo. Et pour les élu(e)s et autres décideurs : il n’a même pas besoin d’être à assistance électrique. Penser low tech, c’est bien aussi.

Notes

  1. « Qualité de l’air: la Commission prend des mesures pour protéger les citoyens contre la pollution atmosphérique », communiqué de presse de la Commission européenne, 17 mai 2018.
  2. « La voiture électrique est-elle LA solution aux problèmes de pollution automobile ? », 1er octobre 2017.
  3. « Le temps est venu d’adopter le véhicule électrique », La Tribune, 2 avril 2018.
  4. « Onze points de recharge installés en 2018 dans la métropole », La République du Centre, 3 février 2018.
  5. « Ça va s’accélérer », La République du Centre, 6 février 2018.
  6. Voir ce tweet
  7. L’article d’Orléans.Mag nous apprend que sur des places de stationnement standard, les véhicules électriques bénéficient également d’une heure trente gratuite.
  8. Deux automobilistes avant celle-ci ont failli s’y garer mais se sont ravisés à la vue du panneau.
  9. Il s’agit d’un mot forgé à partir de fahrzeug, qui signifie véhicule. On pourrait le traduire par « Engin à marcher ».
  10. Sur Youtube, une vidéo d’une action conduite à Lienz, dans le Tyrol autrichien. Des échos d’une action conduite à Salzbourg sur Carfree.fr. Des échos du dispositif au Canada : « Wood Makes People Big as Cars ». Des cyclistes ont repris l’idée à Riga en 2014 : « cyclists craft car skeletons to critique vehicle size on roads ».
  11. La photo provient, sauf erreur, d’un action menée récemment par la section allemande de Greenpeace.
  12. D’autant plus qu’il existe différentes manières de recharger un smartphone en roulant.

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5 réponses

  1. Ladylys45 dit :

    Superbe article intelligent et documenté, merci JAV.
    Moi aujourd’hui j’ai eu une montée d’adrénaline en pédalant sur la piste cyclable des quais de Loire coté pont Thinat en direction Combleux.
    En effet la saison aidant, les platanes habillés de leurs feuilles bien vertes étaient jusqu’à peu auréolés au sol d’une plate bande verte avec les herbes folles qui donnent , à mon sens, un surcroit marginal mais agréable aux piétons et cyclistes d’un espace encore végétal au milieu d’un océan minéral.
    J’ai été peinée et vraiment surprise de voir remplacer ces petit espaces verts en vaste chantier avec enlèvement de la terre et des herbes par du sable rose qui « dégueule » sur la voie piéton et la piste cyclable.
    Ces petits espaces autour de l’arbre abritaient des insectes et les oiseaux picoraient les vers, les chiens tournaient autour … bref du bucolique modestement urbain pour la cycliste que je suis!
    Maintenant les arbres ont l’air morose de rose et les camions viennent se garer allègrement sur ces espaces délimités et on voit encore mieux les crottes de chien qui font taches sur le sable (‘avant c’était caché et recyclé naturellement, supposé-je).

    A quand un indice de (re)végétalisation à la ville d’Orléans qui permettrait de voir si à chaque chantier on densifie ou non l’espace vert ou au contraire l’espace bitumé.
    La déqualification de la rue de Gourville est un bon exemple de revégétalisation avec l’installation de petits espaces verts sur rue très agréables à l’oeil quand on passe en vélo.

    Bon vélo à tous

    PS: Je vous recommande de voir le reportage d’E Lucet hier jeudi 25 mai sur la 2 concernant la guerre entre vélos, scooter et autos

    • Jeanne à vélo dit :

      Quand la ville requalifie une rue, il paraît qu’elle propose aux riverains l’installation de jardinières (en dur) au droit de leur logement. J’en connais au moins deux exemples (rue Xaintrailles et rue de Coulmier).

  2. c dit :

    Quant à la question de la place de la bagnole en ville, il y aurait encore beaucoup à écrire:
    http://bougezautrementablois.over-blog.com/search/place/
    mais ce gaspillage d’espace à encore des jours devant lui
    http://bougezautrementablois.over-blog.com/search/place/2
    il y a de quoi faire pour de nombreuses générations
    http://bougezautrementablois.over-blog.com/search/place/3
    mais le val2Loire avance
    http://bougezautrementablois.over-blog.com/search/place/4
    il y a un peu du mieux par rapport à il y a dix ou 20 ans
    Merci pour ce bel article

  3. laurentb dit :

    Ladylys45, j’y suis passé il y a 10j, l’identification des travaux, la position des véhicules, rambardes, et même pas un panneau pour orienter les cycliste dès le départ à passer en contrebas de la piste cyclable. Perso après 3 décrochages pour éviter l’un ou l’autre des obstacles cités dessus, j’ai fini sur la zone piéton.

    JAV, je pense que l’utilisation de voiture pour se déplacer intra-ville et pour un très faible kilométrage est effectivement dommageable pour tous, maintenant il ne faut pas réduire toutes les conducteurs de voitures en ville à des personnes habitants cette ville et en faisant que 5-10 km/j. Pour moi le « mot de la fin » de Jérôme Fraisse sont pour moi discriminatoire.
    Alors oui la voiture électrique n’arrangera pas l’état du trafic et ne changera pas la problématique du déplacement en ville, cela améliorera pourtant l’air que l’on y respire.

    Il y a de gros travaux à faire que ce soit dans la mentalité de nos politiques et administrations pour mieux gérer les divers flux dans la circulation qu’elle soit urbaine ou pas d’ailleurs mais aussi du côté de la population. De ce côté là, c’est la prise en compte des diverses formules pouvant être utilisé pour gérer ces déplacements (plus de transport en commun, déplacement doux, location de véhicule pour les vacances, etc …).

    Je suis cycliste, pas autant que vous c’est certain, piéton, utilisateur des transports en commun et aussi conducteur d’un véhicule personnel. Et même si je préfère largement me rendre en centre-ville via le tram, Si je reviens du travail (St Denis de l’hôtel) et que j’ai le besoin d’aller en centre-ville, non je ne rentrerai pas forcément chez moi pour repartir à pied+tram.
    Il faut rester ouvert à tous les modes de transports et les respecter.

    • Jeanne à vélo dit :

      Merci pour ce commentaire. Autant je reste sceptique sur la transition électrique en matière de voiture, autant je trouve prometteur le fait que la métropole souhaite passer aux bus électriques sur l’ensemble du réseau TAO (qualité de l’air, moindre bruit).

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