À vélo en Floride avec Russell Banks
Le dernier livre de l’écrivain américain Russell Banks (né en 1940) Voyager. Travel Writings (2016) a été traduit en français en mai 2017 aux éditions Actes Sud sous le titre Voyager. Acquis par la médiathèque d’Orléans en septembre dernier, il a fini par atterrir sur ma table de chevet. Il s’agit d’un recueil de plusieurs textes dont certains ont déjà été publiés dans des périodiques nord-américains. Cette lecture permet de découvrir un auteur qui aime à l’occasion enfourcher un vélo… mais aussi conduire des véhicules plus imposants. Extraits.
Un long pont en Floride
Le plus long texte – celui qui ouvre le recueil et lui donne son titre – nous emmène dans un grand périple dans la Caraïbe que Banks a effectué à la fin des années 1980 en compagnie de celle qui allait devenir sa quatrième épouse – oui, ce grand monsieur des lettres nord-américaines a eu une jeunesse et une vie mouvementées. Ce texte est l’occasion d’un aller et retour constant entre la vie passée et future du narrateur et ce voyage caribéen d’île en île. Et c’est au détour d’un de ces moments où son présent le renvoie à son passé que Banks raconte (p. 57-58) :
Au mois d’avril dernier, en compagnie de Tom Healy, un ami poète de Miami, je faisais à vélo l’aller-retour entre Key Largo et Key West sur la route Overseas – deux jours et demi à pédaler, soit à peu près trois cent vingt kilomètres […]. Le trajet n’était pas facile. Le plus dur a été le passage du pont de Seven Mile, entre Knight’s Key et Little Duck Key, où nos vélos étaient coincés à droite par un garde-fou très bas tandis qu’à cinquante centimètres de notre épaule gauche des semi-remorques, des campings-cars et des voitures bourrées de touristes nous frôlaient à toute allure.
Trouver sous la plume d’un grand écrivain contemporain la description d’une situation que tout cycliste un peu opiniâtre a vécu au moins une fois est réjouissant. Et à l’ère du web, il est d’une facilité enivrante de se faire une idée précise de l’environnement décrit. En quelques clics on obtient photos, détails historiques, commentaires et parfois vidéos. En l’occurrence – et pour vous épargner une digression sur l’histoire de la construction du pont et de celle d’un pont plus ancien toujours en place – une vidéo de 2015 nous permet de nous faire une idée très précise du trajet évoqué par notre auteur. Celui qui l’a posté sur YouTube tient à préciser : « The biking lane looks about 4 ft., but it is actually about 6 ft ». La bande cyclable ferait donc dans les 1,80 m de large. Un autre blogueur qui s’y est également rendu en 2015 évoque quant à lui « the 2-foot wide space between the speeding cars and the concrete wall ». Allez savoir…
Malgré ce désagrément – en sus de la chaleur moite de 32°C et du vent de face de 24 km/h – notre auteur ajoute :
Une fois par an au moins […] je prends cette route Overseas en voiture […]. D’où ma surprise de me sentir profondément et bizarrement ému de faire le même chemin à vélo, au ras du sol.
Un avant-goût de Gobee.bike dans les Everglades
Dans le texte intitulé « Rêve des temps premiers », Banks raconte une excursion en solitaire dans le parc des Everglades, un endroit qu’il affectionne tout particulièrement car, dit-il (p. 175) :
Plus que tout autre parc national, celui des Everglades supporte des visites répétées, ce qui justifie les retours du voyageur et, d’ailleurs, les exige peut-être.
Du côté de Shark Valley, raconte Banks (p. 178) :
Il y a une boutique de location de vélos et une piste cyclable de vingt-quatre kilomètres qui mène à une tour d’observation et à de nombreux sentiers où l’on peut marcher en silence. Au bout d’une demi-heure, sous le chaud soleil du mois de mai, je viens de parcourir plusieurs kilomètres du circuit en pédalant sur le vieux vélo branlant sans changement de vitesse que j’ai loué près du centre.
Clin d’œil aux Parisiens et Parisiennes qui découvrent les Gobee.bikes. Ils ne vont pas tarder à être branlants eux aussi :
Drôle d’Hummer
Changement de décor et de météo dans le texte « Frénésie boulimique des derniers jours » où l’on retrouve notre auteur dans un voyage en Alaska, du côté de la péninsule Kenai, au volant d’un imposant Hummer H2 – pléonasme – de couleur rouge vif. Au revoir vélo, bonjour (p. 240) :
Une chambre forte sur roues, épaisse partout et taillée au carré. Bien découpé. Pas un gramme de graisse.
Banks s’amuse et s’étonne de l’effet (de fascination et d’admiration) que produit sur les gens et les autres conducteurs ce véhicule hors norme et s’interroge avec mélancolie sur les motivations de ceux qui achètent ce type de véhicule si dispendieux en carburant – le sien, on lui avait prêté pour réaliser un test « pour un magazine masculin de New York ».
Lucide sur la question, il en propose la définition suivante (p. 242) :
C’était un gigantesque suspensoir testiculaire en acier.
Crédits photos :
- Photo du Seven Mile Bridge par Lightenoughtotravel at en.wikipedia [Public domain], via Wikimedia Commons
- Photo du Gobee.bike par LN9267 (Own work) [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons
- Photo du Hummer H2 par Alexandre Prévot from Nancy, France (Hummer H2) [CC BY-SA 2.0], via Wikimedia Commons