Le plus vieux giratoire à double-niveau des Pays-Bas — par Bicycle Dutch

Mark Treasure a évoqué en passant une « fosse aux ours » dans son texte sur Le pouvoir des vélos à assistance électrique. Cela a piqué ma curiosité et comme il renvoyait à un reportage de Mark Wagenbuur, je me suis lancé dans sa traduction. Billet originel publié le 12 juin 2018 sous le titre « The oldest grade-separated roundabout in the Netherlands » sur Bicycle Dutch.

Une infrastructure cyclable dédiée en site propre est la norme aux Pays-Bas depuis un bon bout de temps. Le Berekuil d’Utrecht (la « fosse aux ours ») a été le premier carrefour du pays comportant deux niveaux, l’un pour les vélos et l’autre pour les voitures. Il a été ouvert à la circulation en 1944 et reste en usage 74 ans plus tard !

Dans la « fosse aux ours » en face du tunnel dans la direction de De Bilt (à l’est). Toutes les pistes cyclables sont bidirectionnelles, et – d’après de vieilles photos – ça a toujours été le cas.
Le Berekuil d’Utrecht (vu depuis l’est) au début des années 1950. On distingue bien les quatre tunnels cyclables. Il n’était pas prévu d’itinéraire cyclable au niveau du projet de voie rapide sud-nord (de gauche à droite sur cette photo). À l’époque cette voie s’arrêtait au niveau du giratoire. Elle fut prolongée plus tard. Crédit : Archives d’Utrecht.

J’ai été récemment rejoindre à vélo un endroit que je souhaitais filmer pour un prochain billet. Je suis parti d’Utrecht à l’heure de pointe du soir. Je devais emprunter le “Berekuil”, un giratoire vieux de 74 ans possédant un niveau inférieur réservé aux vélos. Il y avait tellement de monde que je fus captivé par la manière dont chacun interagissait avec les autres. Je me suis donc arrêté et j’ai filmé. Ce que j’avais déjà fait en 2009 mais sans commenter plus avant. Je savais à l’époque que l’histoire de ce lieu était intéressante et justifierait que j’y consacre un nouveau billet. C’est donc chose faite avec trois vidéos à la clé !

Une vue de la situation actuelle avec Google Maps. On aperçoit un tunnel réservé aux bus en haut de l’image. Cette voie tourne à gauche (sur l’image). On l’aperçoit à peine entre la voie rapide et les arbres.
Extrait du plan pour l’extension d’Utrecht d’octobre 1920 réalisé par l’architecte Berlage. Le giratoire du Berekuil n’en faisait pas partie mais a été construit plus tard à gauche du site du “Fort De Bildt”. En blanc, à une certaine distance, figure le projet de boulevard périphérique devant ceinturer la ville. En bas à droite la construction d’un aéroport était prévue (il n’a jamais été réalisé). Le boulevard périphérique extérieur était projeté à l’endroit, à peu de choses près, où fut construit dans les années 1970 l’autoroute A27. Un exemplaire de cette carte est conservé par la bibliothèque de l’Université d’Utrecht qui l’a numérisé.

Quand on se plonge dans l’histoire du développement routier des Pays-Bas on se rend compte que des décisions prises il y a longtemps ont eu un grand retentissement en matière d’urbanisme. La ville d’Utrecht avait missionné l’architecte néerlandais mondialement connu Berlage pour établir le plan d’extension de la ville en 1917. La superbe carte qui illustrait ce plan fut publiée en 1920. Elle projette des boulevards périphériques circulaires tout autour de la ville ; une innovation à l’époque. Quand le gouvernement annonça en 1927 son nouveau plan routier il décida aussi de contourner les villes. Il considérait que les étroites rues médiévales dans la plupart des centres villes néerlandais ne pouvaient accueillir la circulation moderne. Ce fut une décision controversée. Des gens soutenaient que les villes n’allaient pas bénéficier d’éventuelles retombées commerciales si les voitures étaient écartées des centres des villes. Cependant un contournement nord-sud à l’est d’Utrecht faisait partie de la version révisée du plan de développement autoroutier de 1936. Ce plan fut conçu à une époque où ne circulaient que peu de voitures particulières ; le cap des 100000 automobiles ne fut atteint qu’en 1940. Les routes n’étaient pas prévues que pour les (futurs) déplacements des habitants mais aussi pour le transport de marchandises. Là où la nouvelle route nord-sud devait croiser l’important axe est-ouest d’Utrecht à De Bilt (et plus loin Arnhem) Rijkswaterstaat (l’équivalent de l’ancienne direction de l’équipement en France) conçut un nouveau type de carrefour révolutionnaire : un giratoire surélevé pour le trafic motorisé comportant à un niveau inférieur des voies cyclables juste au-dessous du niveau du sol. C’était une première aux Pays-Bas. Et cela signifiait que les personnes se déplaçant à vélo bénéficiaient d’un programme de développement routier. Ce ne fut pas la dernière fois. L’un des exemples les plus récents de cette synergie est sans doute l’Hovenring d’Eindhoven.

Les badges que portent de nombreuses personnes indiquent qu’elles travaillent dans la grande zone d’activités à laquelle ce giratoire conduit depuis le centre ville.
Cette dame s’arrête pour respecter la priorité à droite. Scène rare. La plupart du temps les gens réussissent à se faufiler en ralentissant.

La construction de ce giratoire surélevé commença en 1939 et le chantier fut ralenti, quoique non totalement arrêté, lorsque les Pays-Bas furent occupés par l’Allemagne nazie en 1940. Il fallut attendre 1944 pour que le giratoire soit ouvert à la circulation. Il fut vite baptisé « Berekuil » ce qui signifie « fosse aux ours ». L’explication la plus plausible est que la forme du lieu rappelle celle des fosses aux ours dans un zoo. D’autres soutiennent que ce nom fait référence à l’unité de reconnaissance anglo-canadienne “Polar Bears” (de la 49e division d’infanterie) qui libéra la ville. Le 7 mai 1945 ils entraient dans la ville en passant par ce giratoire. Le Berekuil d’Utrecht servit d’exemple à d’autres réalisations du même type dans le pays, comme à Arnhem et Eindhoven. J’ai déjà écrit ici sur ces deux aménagements. La route nord-sud fut déclassée lorsqu’une autoroute fut construite autour de la ville – bien plus à l’est – dans les années 1970. La gestion de la route et du giratoire fut rétrocédée à la ville.

Un bus s’engage sur la voie inférieure du Berekuil. Cette voie dédiée a été construite entre 1998 et 2001 dans le cadre d’un plan visant à augmenter la vitesse commerciale des bus.
Des couvre-chefs atypiques aux Pays-Bas. Il s’agit d’un groupe de touristes allemands qui effectuent une visite guidée d’Utrecht. « N’y allez pas tous en même temps » lance le guide en allemand (après tout, il y a une priorité à droite). L’un des touristes rétorque alors avec humour (?) « Allez, tous ensemble ! » (cette scène apparaît dans la longue vidéo aux environs de 15min24s).

Depuis 1944 le vélo dispose d’un espace protégé compètement séparé du trafic motorisé. Mais de temps en temps des accidents se produisent. Les archives d’Utrecht gardent la trace d’automobilistes se trompant de direction et se retrouvant au niveau inférieur. Une autre fois ce niveau inférieur se retrouva inondé consécutivement à la rupture d’une importante canalisation. En 1970 un camion chargé de meules de fromage bascula en contrebas. Il se retrouva les roues en l’air sur sa cargaison éparpillée (des cheese wheels). Peut-on trouver plus néerlandais comme accident de la circulation ?

Le 28 juillet 1970 un camion transportant des fromages s’est retrouvé les roues en l’air et sa cargaison répandue sur la chaussée. Certainement l’accident le plus néerlandais qu’on puisse imaginer. Crédit photo : L.H. Hofland, via les archives d’Utrecht.

Une importante requalification du giratoire a commencé en 1998. C’était au moment où Utrecht créait un réseau de bus à haut niveau de service dans lequel les bus circulent sur des voies qui leur sont réservées. Pour augmenter la fiabilité d’une des lignes qui mène à l’université il était prévu de la faire passer au milieu de ce giratoire vieux à l’époque de 54 ans. À cet endroit, la ligne opère un virage à 90 degrés, ce qui a impliqué de fermer aux vélos un des quatre tunnels, mais un nouveau (en direction de l’université) fut percé afin de maintenanir les quatre accès cyclables. Cette voie de bus a été creusée pour dégager plus d’espace. Les deux tunnels d’accès des bus sous le giratoire ont été achevés en 2001. Tout le carrefour fut rénové à l’occasion de ce chantier. L’intérieur des tunnels fut à la même occasion agrémenté d’une oeuvre créant « une atmosphère à la fois plaisante, surprenante et rassurante ». Sur les 650 m² de mur et sous le nom de « défilé des ours » elle est formée de carreaux de faïence figurant un ours de profil (il y en a quelques uns de plus grande taille). Dans une interview de 2003, Eline Janssens, l’une des deux artistes, a expliqué qu’elle créé toujours ses oeuvres en prenant en compte le contexte local. En l’occurrence, avec Margot Berkman, elle s’est appuyée sur l’origine du surnom de « fosse aux ours ». Combinant les deux explications possibles elles ont décidé de multiplier des petits ours polaires. La multitude d’ours en train de marcher représente les milliers de personnes qui entrent et sortent de la ville par cet endroit quotidiennement. La couleur bleue a été choisie pour son caractère apaisant.

« Le défilé des ours », une oeuvre de Berkman & Janssens de 2001 qui recouvre les murs des quatre tunnels.
Les personnes au premier plan ont la priorité mais on constate qu’ils ralentissent pour que les personnes qui continuent tout droit n’aient pas à s’arrêter. C’est la manière néerlandaise de négocier les priorités, ici dans une situation limite.

Le Berekuil d’Utrecht a été classé monument municipal en 2016.

Le fonctionnement du Berekuil d’Utrecht expliqué en trois minutes.
(sous-titres en français disponibles)
20 minutes à l’heure de pointe du soir au niveau du Berekuil d’Utrecht.
Une traversée du Berekuil d’Utrecht.
(filmée à une heure plus tardive et un autre jour que les deux autres vidéos)

Vous aimerez aussi...

6 réponses

  1. A Veldhoven, il y avait ce type de rond point également. C’est tellement sécurisant et confort. En revanche, je pense que c’est impossible de faire ces travaux lors d’une requalification. Il faut penser réseau vélo lors de la phase amont du projet. C’est ce type d’infras qu’il faudrait au Pôle 45.

    • janpeire dit :

      Effectivement c’est dès le début d’un projet qu’il faut prévoir. Cependant, lors d’une requalification, par exemple RN20 sud, il aurait pu être pensé aux piétons et cyclistes sur le pont Joffre pour intégrer le flux nord-sud et sous le même pont pour la Loire à vélo « off ». Il n’est pas encore trop tard pour la liaison RN20 entrée d’agglomération à Saran jusqu’au centre ville en passant par la gare de l’agglomération à Fleury, ce qui manque, c’est la volonté, rien de plus, l’espace est disponible en prenant sur les bagnoles.

      Par ailleurs, surpris de dénombrer pour le moins huit 2RM dans le film de 20mn, ils sont une source de bruit incroyable dans ce qui semble un havre de paix (et seulement 1 seul vélo couché, très peu de piétons/joggeurs).

      Jpb

  2. lacaille jean marie dit :

    Là je peux visionner sans aucuns problème. Merci des réponses qui me laissent sur ma faim pour les images d’ORLEANS !

  3. Gilles Rouland dit :

    Cela fait rêver une telle densité de cyclistes. Bien sûr cela est lié à l’absence d’automobile. Est-ce que les scooters sont autorisés ? verbalisés ?
    Mes déplacements professionnels à vélo ici : https://voyageforum.com/v.f?post=6005558;a=6005558
    avec beaucoup moins de cyclistes !

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.