La requalification de Sint Jacobsstraat à Utrecht — par Bicycle Dutch
Après « D’un urbanisme pensé pour la voiture à un urbanisme au service des populations », place à la mise en pratique concrète avec Sint Jacobsstraat à Utrecht, ville dans laquelle travaille Mark Wagenbuur. Voici la traduction de « The redesign of the Utrecht Sint Jacobsstraat » publié le 25 août 2015 sur Bicycle Dutch.
Les rues de nos villes ont longtemps été conçues en faveur de l’automobile, mais ça a changé (du moins aux Pays-Bas). Dans beaucoup de villes néerlandaises, la voiture n’est plus le mode de déplacement dominant dans les centres-villes et les rues ont pu redevenir des lieux de vie. Des endroits qui se doivent d’être accueillants et sûrs, en particulier pour les publics les plus vulnérables que sont les enfants, les personnes âgées et les porteurs de handicaps. Un centre ville n’est réussi que si ces différentes populations peuvent y évoluer librement. En allant filmer un après-midi une rue récemment requalifiée d’Utrecht j’ai croisé ces différents usagers de l’espace public. Un signe que la rue a été correctement conçue et ré-aménagée.
Sint Jacobsstraat est dans le centre d’Utrecht une rue particulière puisqu’elle n’existait pas avant les années 1930. Cette rue (de seulement 300 m de long) devait passer en plein milieu d’un quartier ouvrier mal famé et prendre le nom de l’église qu’elle devait longer : Jacobikerk . Créée officiellement pour des raisons de circulation, on soupçonne néanmoins que la classe dirigeante de l’époque voulait briser la solidarité ouvrière du lieu en éparpillant ses habitants dans toute la ville pour soi-disant réduire les problèmes sociaux du quartier.
Une large rue bordée de profonds bâtiments demande beaucoup d’espace. Beaucoup de vieilles maisons dans d’étroites ruelles, une place et un parc furent sacrifiés pour créer cette rue. De grands immeubles devaient venir masquer à la vue ce qu’il resterait des « taudis » ouvriers. Et ce fut réalisé. En 1940 la plupart des démolitions avaient eu lieu. C’est alors que la Seconde Guerre mondiale atteignit les Pays-Bas et mit un coup d’arrêt aux opérations. Les nouveaux immeubles ne furent achevés que dans les années 1950. Une banque et un immeuble collectif à l’extrêmité nord de la rue. Mais la reconstruction n’allait pas vite. De grands espaces laissés vacants furent utilisés comme parkings pendant des décennies jusque tard dans les années 1970. Je m’en souviens bien. Quand les derniers immeubles furent érigés dans les années 1980 le bâtiment bancaire des années 1950 était déjà bon pour être reconstruit. C’est au tournant du siècle que la rue fut achevée. Elle était conçue pour permettre un écoulement de trafic conséquent. De nombreuses voies de circulation ne laissaient place qu’à des bandes cyclables étroites aux endroits les plus larges. Elles existaient encore en décembre 2014 quand la requalification de cet axe a commencé.
La rue n’était plus un axe de transit depuis les années 1990 quand Potterstraat et Lange Viestraat ont fermé (je l’ai expliqué dans un autre billet). Sans ces deux connections, il n’y avait quasiment pas de circulation dans la rue. De nos jours seul le parking d’un centre commercial attire encore des automobilistes. Depuis Vredenburg en direction du nord, la première partie de la rue est fermée aux voitures. Seuls des bus (très nombreux), des vélos et des piétons la fréquentent. La dernière partie de la rue au nord est faiblement circulée et a été transformée pour devenir une zone 30. Il n’y a plus qu’une voie dans chaque direction, aucune voie de tourne-à-gauche ou tourne-à-droite, donc les bus arrêtés au dernier arrêt de la rue ne peuvent pas être dépassés. Sur toute la longueur de la rue est aménagée de chaque côté une piste cyclable globalement unidirectionnelle et d’au moins 2,5 m de large. Au niveau du parvis devant l’église consacrée à Jacques le Majeur des voies cyclables bidirectionnelles ont été aménagées des deux côtés de la rue afin de faciliter la traversée du carrefour. De tels aménagements en zone 30 sont peu courants ; avec des vitesses réduites la chaussée partagée est la règle. Mais dans cette rue circulent tellement de bus que la piste cyclable a été considérée comme un aménagement indispensable. Toutes les rues adjacentes débouchent sur des plateaux surélevés qui indiquent clairement que la piste cyclable est prioritaire. La largeur de la rue varie de 19 à 35 m. L’intersection la plus large avec Waterstraat était dotée de feux. Les gestionnaires de voirie tendent à réduire le nombre de carrefours régulés par feu dans tout le pays et celui-ci n’en est plus pourvu.
L’une des raisons qui ont conduit à la requalification de cet axe concerne les cyclistes : ils manquaient d’espace. C’était donc ironique – pour le moins – qu’au moment du chantier la circulation des vélos ait été interdite près de six mois. La ville a mis en avant la circulation des bus impossible à dévier. Dévier les cyclistes était bien plus facile, mais l’affaire fut quand même débattue au conseil municipal. En vain : la ville ne changea pas son fusil d’épaule. La rue devait aussi devenir plus agréable, si bien que les riverains furent fâchés d’apprendre que l’abattage de douze arbres était programmé. Ils le furent d’autant plus quand ils apprirent que c’était pour « des raisons de symétrie ». Mais là non plus le projet ne fut pas amendé. De nouveaux arbres vont remplacer les spécimens de 27 ans abattus, mais les 19 plantations n’auront lieu qu’à l’automne. Des arbustes ici et là vont également être plantés à l’automne. De magnifiques parterres d’asters ont déjà été aménagés. Leur floraison est très sympathique. Ces éclats de couleur rendent la rue très plaisante. Et pas seulement pour les humains, j’ai vu de nombreuses abeilles s’en régaler. C’est super étant donné combien les temps sont durs pour elles.
D’autres mobiliers urbains doivent être installés : des conteneurs enterrés pour les déchets. Leur futur emplacement est recouvert de plaques de béton. Les 270 places de stationnement vélo ont été ramenées à 212. Le conseil municipal estime que l’usage de la rue sera différent après sa requalification et que ce nombre est adapté. Ils s’engagent à surveiller de près ce point.
Ce qui a profondément changé la rue c’est la suppression et la réduction des voies de circulation, donnant à l’endroit une atmosphère très différente. Elle est bien plus accueillante maintenant, bien que sa requalification ne soit pas complète. Dans les années 1980 une passerelle fut aménagé pour faire la liaison entre le centre commercial « La Vie » et un magasin de vêtements de l’autre côté de la rue. Cette passerelle n’était pas très utilisée et elle a été très vite interdite d’accès. Le centre commercial est en pleine restructuration et près de 30 ans après, cette affreuse passerelle va enfin être supprimée. La rue va pouvoir bénéficier davantage de la lumière du jour, mais pas avant que la restructuration du centre commercial soit achevée, c’est-à-dire pas avant le second semestre 2016.
Comme je l’ai déjà montré par le passé, l’infrastructure cyclable ne bénéficie pas qu’aux personnes qui font du vélo. D’autres groupes sociaux bénéficient des rues requalifiées. Avec des voies cyclables de 2,5 m de large dans chaque direction, des trottoirs d’au moins 2,4 m de large et des traversées pas plus longues qu’une largeur de voie de 3,1 ou 3,25 m, cette rue du centre ville est devenue très sûre pour les usagers les plus vulnérables de l’espace public et il est bon de constater (comme dans la vidéo) que ces usagers se déplacent en effet dans la rue en nombre. La rue a de plus été embellie avec de séduisants parterres de fleurs.
Bonjour,
très bon article, superbement illustré (bravo pour la recherche iconographique effectuée) ! Il reste encore du « boulot » pour avoir cette espèce infrastructure dans notre pays et même en Espagne.
Bonne continuation !
Bonjour,
Merci, je transmettrai à l’auteur de l’article !
(je n’en suis que le traducteur)
Peut-être un effet du corona-virus, mais suite à un précédent message laissé sur ton blog, j’ai reçu un courriel du maire d’Utrecht qui souhaitait inviter le comité de pilotage de la politique vélo en sa ville pour une semaine d’étude, ce, dès que les mesures de confinement seront levées.
Ce mail serait-il daté du 1er avril ? 🤔
La distribution des courriels en ces temps obscurs n’est plus ce qu’elle était 😀
Ceci dit lors de la réunion de présentation du plan vélo en juillet 2019, une personne du public a réellement proposé aux élus d’aller faire un stage aux Pays-Bas. Je veux bien les accompagner…
Nous serions un nombre impressionnant à vouloir y aller faire une étude de cas in situ. Cela coûterait moins cher, même sur 5 ans, à la mégalopole de payer un⋅e européen⋅ne du plat pays à venir faire les études en cyclabilité en lieu et place des personnes actuelles.