Le woonerf — par The Ranty Highwayman

On connaît en France la zone de rencontre où en théorie le piéton est prioritaire et a le droit de se déplacer partout dans l’espace public. Comme dans l’immense majorité des cas l’espace public n’est pas rédéfini il s’agit de zones apaisées virtuelles. Dans la pratique, les Néerlandais font mieux comme le documente The Ranty Highwayman qui blogue depuis dix ans sur les questions d’urbanisme et que j’ai déjà eu le plaisir de traduire ici à déjà cinq reprises.

Voici la traduction de « I’ve seen things you people wouldn’t believe: Redux Part 2 – The Woonerf » publié le 26 novembre 2022 sur The Ranty Highwayman.

Dans mon dernier billet, j’ai examiné comment les Néerlandais utilisent le filtrage modal à l’échelle macro pour favoriser le vélo. Cette semaine, je fais un zoom sur un quartier en particulier où le filtrage est au fondement de rues conviviales.

Bien que mes billets de blog se fassent un plus rares ces temps-ci, celui-ci est très spécial car il y a dix ans, mon premier billet posait la question « Que voulons-nous vraiment ? » C’est une question qui taraude encore le Royaume-Uni, mais je sais ce que je veux et ce sont des endroits comme le woonerf de Westerstraat à Delft que j’ai pu parcourir lors de mon récent voyage. J’ai lu qu’il s’agissait de la première réalisation de ce concept dans le pays, mais je n’ai pas encore trouvé de source officielle ; c’est au moins l’un des tout premiers !

Westerstraat se trouve dans Westerkwartier, au sud-ouest de la ville, quartier construit à la fin du 19e siècle comme une extension de Delft, le reste du quartier ayant été construit au début du 20e siècle. Les rues sont très étroites et au fil des ans, elles ont dû faire face à la motorisation et à la modernisation.

L’un des problèmes de la zone était le manque d’espace ouvert, compte tenu de la densité du bâti et de la disposition des lieux, de sorte que l’espace communautaire pour de nombreux habitants était les rues elles-mêmes. Le problème était que dans les années 1980, les voitures privées dominaient l’espace et le trafic de transit supprimait cette importante fonction communautaire.

Il est un peu difficile de déterminer exactement quand les choses ont changé, mais il semble qu’à la fin des années 1970 et au début des années 1980, le trafic de transit ait été éliminé du quartier au moyen de filtres modaux constitués d’un mélange de boucles à sens unique pour le trafic général et de fermetures au trafic général. Comme vous pouvez vous y attendre, cela permet un accès à double sens pour les cyclistes et une perméabilité totale pour la marche et le vélo. J’entrerai dans les détails plus tard, mais il s’agit en fait de l’un des premiers woonerven (au pluriel) développés aux Pays-Bas. Un woonerf (au singulier) se traduit par « rue vivante » ou « cour vivante »1.

La photo ci-dessus montre l’extrémité nord-est de Westerstraat, à l’endroit où elle rejoint Coenderstraat, une voie de raccordement qui est elle-même moderne, car pendant de nombreuses années, c’était aussi une rue étroite bordée par la voie ferrée surélevée qui passait sur le côté ouest de Delft.
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La photo ci-dessus montre l’extrémité nord-est de Westerstraat, à l’endroit où elle rejoint Coenderstraat, une voie de raccordement qui est elle-même moderne, car pendant de nombreuses années, c’était aussi une rue étroite bordée par la voie ferrée surélevée qui passait sur le côté ouest de Delft.

Ce carrefour présente des caractéristiques très intéressantes. La route principale comporte une étroite voie de circulation dans chaque sens (juste hors champ) avec un accotement central qui limite la vitesse des conducteurs, mais comme elle assure une fonction de liaison, les cyclistes sont séparés sur une piste cyclable bidirectionnelle qui longe le côté résidentiel de la rue. Westerstraat est ici à sens unique pour le trafic général entrant dans le quartier (mais à double sens pour les cyclistes) et c’est le début d’une zone de stationnement contrôlé (nous y reviendrons plus tard). Vous pouvez également voir les inritbanden, les éléments de bordure en béton inclinées conçues pour aider à renforcer le changement d’utilisation de la rue pour les conducteurs.

Ci-dessu la vue que l’on a en entrant dans Westerstraat, où l’on peut voir le panneau de sens unique (avec double sens pour les cycles et les petits cyclomoteurs) et un panneau bleu.

La photo ci-dessus provient d’un point d’entrée différent, mais il marque le début d’un woonerf et est couvert par le code de la route néerlandais. Cela signifie que les piétons ont la priorité sur toute la largeur de la rue, les conducteurs doivent avancer au pas. La conception du panneau renforce le fait qu’il s’agit avant tout d’un endroit pour les gens et leurs maisons. Au Royaume-Uni, nous avons des « zones résidentielles » (Home Zones), sauf que nous n’en avons pas beaucoup car l’idée n’a pas décollé.

Les Home Zones britanniques peuvent être instituées en vertu de la section S268 du Transport Act 2000 et comprennent des « principes d’utilisation » qui peuvent être utilisés pour reproduire l’approche néerlandaise. Je pense qu’ils n’ont jamais été à la mode, principalement parce que les premiers projets ont été adaptés et étaient assez coûteux. Bien sûr, une application à la néerlandaise est également une entreprise coûteuse, mais j’ai l’impression qu’ils s’en soucient beaucoup plus qu’au Royaume-Uni et que le domaine public résidentiel est considéré comme important.

Ci-dessu la jonction avec Hovenierstraat, qui venait d’être refaite lors de ma visite, car on pouvait encore voir le sable fin utilisé entre les pavés pour « verrouiller » la pose. Quand on regarde Streetview, l’ancien pavage n’avait pas vraiment l’air minable, mais l’une des principales différences est que le stationnement des voitures a été supprimé.

La photo ci-dessus est une vue différente du carrefour et montre que, bien que la zone soit un woonerf comme indiqué par la signalisation verticale, c’est en fait la conception qui encourage les gens à marcher et à faire du vélo où ils le souhaitent et ce sont les conducteurs qui sont les invités. 

Cela signifie que la rue est partagée, mais il s’agit plutôt d’une zone commerciale piétonne avec un accès motorisé occasionnel et, sans supprimer le trafic de transit, cela ne pourrait tout simplement pas fonctionner. Ce que vous pouvez également voir, c’est l’espace qui a été donné au stationnement des vélos pour essayer de contrôler leur positionnement dans les blocs prévus et que l’occasion de planter un arbre dans la rue a été saisie. Vous pouvez également voir dans les pavés gris et blancs un ressaut menant au carrefour pour exiger une conduite plus lente.

La photo ci-dessus montre la jonction avec Tuinstraat et la disposition est un peu différente car il y a des trottoirs ici. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais juste après le bâtiment sur la droite, il y a une petite aire de jeux et une installation de collecte des déchets (avec des poubelles souterraines) où un petit espace de flânerie peut être souhaitable. J’ai filmé ce carrefour pour que vous puissiez vous faire une idée de ce que l’on ressent en se tenant au milieu.

La jonction avec Handboogstraat à gauche, qui est elle-même une route interdite au trafic de transit, mais parfaite pour la marche et le vélo.
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La jonction avec Handboogstraat à gauche, qui est elle-même une route interdite au trafic de transit, mais parfaite pour la marche et le vélo.

Ce qui est intéressant ici, c’est qu’une fois encore, il y a eu une requalification et que du stationnement voiture a été supprimé au profit de plantations et d’un ajustement de la géométrie horizontale. L’aménagement précédent comportait une voie piétonne très étroite et pratiquement inutilisable sur la droite, avec du stationnement tout du long. Du point de vue d’un conducteur, l’espace devant lui était une ligne droite. La nouvelle configuration exige maintenant que les conducteurs soient concentrés sur leur trajectoire.

En tournant vers le nord depuis Westerstraat, la photo ci-dessus montre Graswinckelstraat à sa jonction avec Plateelstraat qui a également été récemment requalifiée. Ici, la voie piétonne sur la gauche est nouvelle et remplace ce qui était un carrefour assez ouvert.

La photo ci-dessus représente Plateelstraat elle-même et peut-être que la nouvelle voie piétonne de Graswinckelstraat offre à la fois un autre élément de réduction de la vitesse et un peu plus d’espace dédié à la marche pour aborder la rue latérale.

À l’extrémité nord-ouest de Graswinckelstraat, nous rencontrons Buitenwatersloot et c’est d’ici que la photo ci-dessus donne sur Graswinckelstraat, mais nous sommes maintenant à l’extérieur du woonerf. Les bâtiments de chaque côté sont un magasin de tissus et un boucher et en fait, il y a un petit groupe de magasins locaux ici.

Buitenwatersloot est une rue intéressante en soi. Un canal traverse la rue en son milieu. Du côté sud-est, il y a un accès à la circulation automobile à sens unique et un accès cycliste à double sens. En fait, cette rue fait partie d’un itinéraire cyclable qui vous mènera à Hoek van Holland. La photo ci-dessus est prise depuis un pont sur le canal, en regardant en arrière, à la jonction avec Van Bleyswijckstraat qui rejoint Westerstraat. Le pont est en forme de S avec de longues rampes de chaque côté du canal et est donc accessible à tous.

Si l’on continue un peu plus loin vers le sud-est sur Buitenwatersloot, il n’y a pas de route pour la circulation générale (ci-dessus). Il s’avère que Westerkwartier est en fait un quartier à faible trafic à part entière avec plusieurs woonerven à l’intérieur. Dans le guide de conception néerlandais, le woonerf est une sous-cellule d’un quartier à faible trafic (plus ou moins).

Sur le côté nord-ouest du canal, la rue est piétonne et, à proprement parler, interdite aux cyclistes (mais les gens pédalent quand même). Le magasin à gauche sur la photo ci-dessus est une boulangerie qui dessert le quartier – cet endroit est déjà une ville du quart d’heure !

Il y a des conseils sur la conception des woonerven dans les « Recommandations pour les dispositions de trafic dans les zones bâties » qui est en quelque sorte le manuel général de conception des routes et des rues néerlandaises. Il existe depuis les années 1990 et, à certains égards, il semble un peu dépassé, mais c’est un guide de référence intéressant qui peut certainement nous aider à démêler les éléments de conception d’un woonerf. Ci-dessus, un exemple de parking utilisé pour créer une chicane (mais bien sûr, il pourrait s’agir d’autre chose que d’un parking) et ci-dessous, un exemple de déplacement de la ligne centrale à un carrefour. 

Les conseils portent également sur le flux de trafic motorisé qui doit être inférieur à 100 véhicules par heure, ce qui correspond à peu près au seuil en dessous duquel les gens commencent à prendre le contrôle de la rue à pied, et surtout, il y a des conseils sur la taille maximale d’un woonerf, ce qui renforce l’idée qu’il s’agit d’une sous-cellule d’un LTN2. Si vous voulez entrer davantage dans le détail, je vous recommande le petit cours (gratuit) de l’Urban Mobility Academy « Designing a Livable Neighbourhood : The Woonerf Concept » qui prend environ une demi-journée si vous faites les exercices. 

Au début de ce billet, j’ai mentionné que Coenderstraat était autrefois une rue étroite faisant face à un chemin de fer surélevé. C’était le cas jusqu’en 2015, mais le projet Spoorzone (zone ferroviaire) a enterré la voie ferrée dans sa traversée de Delft. Le projet a libéré des terrains en surface pour le réaménagement, y compris une nouvelle gare qui est facilement accessible depuis Westerkwartier et qui permet de reconnecter cette partie de la ville à l’ensemble de la cité.

L’autre point intéressant concerne le stationnement des voitures dans le quartier. La proposition de stationnement autorisé en 2001 a suscité une réaction brutale de la part des riverains, qui se sont réunis en association. Puis, dans le cadre du projet de zone ferroviaire, de nombreux parkings ont été supprimés, ce qui a incité les groupes de riverains à demander à l’Université technique de Delft de réaliser une étude. Ce problème a généralement été de courte durée, car de nouveaux parkings souterrains ont été construits.

Cela fait une dizaine d’années que je m’intéresse à la lutte contre la domination totale de la voiture et ma promenade dans Westerkwartier et en particulier dans Westerstraat a bel et bien confirmé cet intérêt. Si les rues ici sont étroites, intéressantes, belles, calmes et tournées vers la communauté, leur fonctionnement est sous-tendu par des techniques simples de gestion du trafic. Rien de tout cela n’est technique. Tout cela est politique.

Notes

  1. L’article de Wikipédia consacré au woonerf indique comme traduction « cour résidentielle ». NdT
  2. Pour un aperçu de ce qu’est un Low Traffic Neighbourhood, voir cet autre billet de l’auteur traduit par mes soins : Le remarquable Low Traffic Neighbourhood de Railton.NdT

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