Ni culture, ni histoire, mais des changements concrets — par Mark Treasure

Dans son incontournable billet de fin d’année – Un « top » des équipements cyclables — Orléans 2021 – le camarade JP a formulé la remarque pertinente suivante :

« se dire une bonne fois pour toutes « si cela n’existe pas aux Pays-Bas, il n’y a pas une seule bonne raison que cela existe ailleurs en Europe… » »

Ce à quoi opinerait probablement volontiers le Britannique Mark Treasure qui, dans ce billet publié il y a un peu plus de neuf ans, soulignait combien un environnement cyclable de qualité, notamment urbain, ne doit rien à l’évolution naturelle des cités, mais tout à une mobilisation importante et durable des acteurs concernés. Il prenait justement en exemple les Pays-Bas qui n’en ont eux-mêmes pas fini avec la transformation de leur espace public1.
Voici la traduction de « Not culture, not history – physical change » publié le 13 décembre 2013 sur As Easy As Riding A Bike.

J’ai été frappé par deux détails du billet de Mark Wagenbuur sur les premières mobilisations pour obtenir un environnement urbain adapté aux enfants à Amsterdam dans les années 1970 – des détails qui soulignent l’importance de la qualité de l’environnement immédiat pour permettre le déplacement à vélo, au-delà de l’existence d’une culture ou attitude nationale.

Le premier exemple était le caractère litigieux des changements proposés dans le billet de Mark. Un Néerlandais, entouré d’enfants, affirmait qu’il était « impossible » de créer une rue sans circulation automobile. Vous pouvez le voir dans la vidéo, à environ 2min30sec.

Il s’agissait de rues résidentielles, dans lesquelles la circulation automobile est désormais filtrée, comme Mark le décrit dans son billet. C’est un traitement presque universel dans les zones résidentielles des Pays-Bas aujourd’hui, mais à l’époque, l’idée de faire cela était évidemment complètement étrangère à ce monsieur. Ces rues étaient faites pour conduire. (Ces attitudes se reflètent ailleurs dans la vidéo, lorsqu’un homme tentant de descendre la rue en voiture devient violent alors que la rue est barrée par des manifestants).

La deuxième chose qui m’a frappé dans le billet de Mark, c’est que si les rues secondaires ont maintenant été calmées, les routes principales de ce quartier n’ont pas vraiment changé, et sont toujours hostiles et désagréables aujourd’hui, avec une fillette de sept ans tuée alors qu’elle faisait du vélo sur Cornelis Troostplein il y a seulement quelques jours.

Ces détails montrent bien que les Néerlandais ont connu des batailles que nous devons engager. Leur merveilleux environnement pour le vélo n’est pas apparu par magie – ce n’est pas une condition innée du fait d’être « néerlandais ». Dans les années 1970, les rues résidentielles et les routes principales néerlandaises étaient tout aussi désagréables que leurs équivalents britanniques, et leur état empirait. L’environnement physique des villes néerlandaises a dû être modifié. Et tout cela est arrivé relativement récemment.

Lorsque j’ai fait le tour d’Utrecht et d’Amsterdam à vélo au début de l’année [2013] avec Mark et Marc van Woudenberg, ils ont pris soin de me signaler les mauvais côtés de leurs villes, les zones qui n’ont pas encore été modifiées. Ces quartiers ont un aspect assez « britannique »2, sans aménagement cyclable, ou qui disparaît quand on en a besoin, ou avec des voitures garées qu’il faut contourner, et une circulation automobile relativement rapide à proximité. Il s’agissait principalement de routes principales.

Zeilstraat, Amsterdam. Une bande cyclable se termine juste à l’approche de voitures en stationnement, dans une rue très fréquentée.
Heemstedestraat, Amsterdam. Un autre axe important très fréquenté, sans aucun aménagement cyclable.

Les carrefours d’Amsterdam peuvent parfois laisser à désirer également :

Mais ce ne sont pas des endroits qui ont été oubliés ou qui sont considérés comme acceptables. Il s’agit d’endroits que la ville n’a pas encore eu le temps de requalifier, ou pour lesquels des batailles politiques sont encore en cours.

À Utrecht, Mark nous a montré un exemple frappant, sur Adraien van Ostadelaan. L’extrémité sud de cette rue est équipée de pistes cyclables, protégées par des bordures :

Mais à l’extrémité nord – à quelques centaines de mètres de là – cette même rue a un aspect plutôt britannique :

Il n’y a pas de piste cyclable ici – vous devez rouler sur la chaussée, en longeant des voitures garées3. La raison en est simple : la ville attend que cette partie de la rue soit rénovée avant de mettre en place l’infrastructure cyclable, dans le cadre d’un cycle de renouvellement et d’entretien de vingt ans. La partie sud de la rue a été rénovée ; la partie nord attend toujours et ressemble beaucoup à ce qu’elle était il y a quarante ans.

Il y a aussi un autre bel exemple à Amsterdam, que j’ai trouvé sur Streetview. En 2008, Amstelveenseweg ressemblait à ceci :

Mais juste un an plus tard (et un clic plus loin dans la rue) :

Les routes pourries des villes néerlandaises sont lentement éliminées, une par une.

Le point important dans tout cela est que les routes et les rues néerlandaises seraient sans aucun doute aussi hostiles à la pratique du vélo que les rues britanniques si ces changements n’avaient pas été effectués. Leurs rues sont attrayantes pour les cyclistes en raison des modifications physiques effectuées pour créer un espace sûr.

La longue histoire de la pratique massive du vélo aux Pays-Bas n’aurait pas compté pour grand-chose sans ces changements. Les routes et rues urbaines auraient continué à se remplir de voitures et les gens auraient continué à abandonner le vélo comme mode de déplacement, à mesure que leurs rues devenaient de plus en plus désagréables. Les enfants seraient de plus en plus souvent restés à l’intérieur et auraient été trimbalés en voiture, au lieu de faire du vélo de manière autonome. Ce n’est absolument pas la « culture » ou l’histoire qui explique pourquoi les Pays-Bas ont une part modale du vélo très élevée aujourd’hui, mais plutôt ces mesures concrètes prises au cours des quarante dernières années. Sans elles, les Néerlandais auraient une culture de la voiture assez semblable à la nôtre.

Bien sûr, il se peut que les Néerlandais aient eu beaucoup plus de facilité à entreprendre ce qu’ils ont fait que nous n’en aurons. Le vélo était encore un mode de déplacement familier pour un plus grand pourcentage de la population et, en ce sens, les Néerlandais ont bénéficié de leur histoire. Mais il n’en reste pas moins que ces changements concrets devaient se produire si l’on ne voulait pas que le vélo soit érodé aux Pays-Bas, à des niveaux proches de ceux des pays anglophones. On pourrait même dire que nous avons un avantage très spécifique sur les Néerlandais, car nous pouvons voir comment leurs solutions ont fonctionné. Dans les années 1970, la fermeture des rues à la circulation automobile était manifestement particulièrement radicale et controversée, même pour les Néerlandais, et ils n’avaient personne à invoquer pour montrer comment cela pouvait être fait et comment cela fonctionnerait. Ils étaient pionniers, alors que nous pouvons copier.

Des conditions sûres et attrayantes pour se déplacer à vélo ne tombent pas du ciel. Elles ne sont pas le résultat inévitable de l’histoire ou de la culture. Il faut se battre et argumenter pour les obtenir.


Crédit photo de couverture : montage réalisé à partir d’un avant/après (1979/2020) proposé par Mark Wagenbuur dans ce tweet montrant la transformation d’une partie de Verwersstraat à Bois-le-Duc.

Notes

  1. Ce texte est à mettre en relation avec le billet de 2021 le plus consulté de 2021 chez Mark Wagenbuur : Comment les Néerlandais ont-ils obtenu leurs pistes cyclables ?
  2. Ou français, vous aurez traduit de vous même ! NdT
  3. Depuis 2016, cette partie de la rue semble être passée au chaucidou d’après StreetView. NdT

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2 réponses

  1. janpeire dit :

    « Dans les années 1970, la fermeture des rues à la circulation automobile était manifestement particulièrement radicale et controversée, même pour les Néerlandais, et ils n’avaient personne à invoquer pour montrer comment cela pouvait être fait et comment cela fonctionnerait. Ils étaient pionniers, alors que nous pouvons copier. »

    Très originale façon de souhaiter une bonne année pleine de cyclamicalitée 🙂 surtout la dernière phrase.

    JPB

  2. Benoit Perrussel dit :

    alors maintenant cultivons l’idée en France que le vélo aux Pays-Bas n’est absolument pas culturel ! merci infiniment pour ce billet qui délivre un message terriblement efficace.

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