Pourquoi je n’achète pas de vélos onéreux — par Kent Peterson

J’ai déjà traduit plusieurs textes de Kent Peterson, amateur de longue distance et mécanicien ingénieux. Pour réussir en 2005 la Great Divide Mountain Bike Race en mono pignon – une grande première à l’époque – il avait choisi de pédaler sur un Redline Monocog – rien de très tape-à-l’œil donc. Il livre ici son sentiment sur ce que signifie pour lui acquérir un vélo.
Billet originel publié le 6 janvier 2012 sous le titre « Why I Don’t Buy Expensive Bicycles ».

Sur son blog, mon ami Jan Heine a publié un billet dans lequel il pose une question et y répond : pourquoi utiliser un vélo onéreux ? Jan présente effectivement plusieurs facteurs qui font qu’un vélo haut de gamme vaut bien son prix élevé et le fait que les fabricants de haut niveau ont de longues listes d’attente de personnes heureuses d’acheter de si belles machines atteste de la validité de ses affirmations. Et j’ai parcouru beaucoup, beaucoup de kilomètres avec des amis qui sont ravis de leurs machines savamment montées ou qui économisent pour leur prochaine bécane de rêve et, bien que tout cela soit bien beau, je dois avouer que je ne prévois pas de sitôt de rouler sur un Boxer sur mesure ni de me faire construire par Ira Ryan le vélo parfait. Cela n’a rien à voir avec les compétences des fabricants (qui sont excellentes) ou l’épaisseur de mon compte en banque (qui est loin d’être excellente), mais plutôt avec la façon dont mon cerveau fonctionne.

Les gens qui me connaissent vraiment n’en seront pas surpris. Il y a des années, Jan et moi pédalions ensemble et il m’a dit : « J’écris un article sur ce qui rend un vélo de randonnée optimal et je me demande si tu aimerais écrire un contrepoint ? » Certains pourraient s’offusquer d’une telle question, mais j’ai tout de suite su où Jan voulait en venir et j’ai fini par écrire un court article intitulé « More Enemies Than Time » dans lequel je faisais remarquer que quelqu’un comme Drew Buck pouvait choisir de faire PBP sur un Dursley Pedersen d’époque non pas parce qu’il est optimal, mais parce qu’il est intéressant. Au fait, Jan a une façon de parler qui prend certaines personnes à rebrousse-poil, mais que je trouve charmante, car rapporter ces conversations procure d’excellentes anecdotes. Par exemple, une fois, Jan et moi gravissons le col de Snoqualmie dans le cadre d’un brevet. Il regarde mon vélo et me dit : « Oh, je vois que tu roules avec ces pneus » (je roulais alors avec des Specialized Armadillos), « je les ai roulés une fois », poursuit Jan, « et je les ai trouvés d’une lenteur inacceptable. Mais je suis sûr qu’ils te conviennent parfaitement ». J’imagine sans peine que ce pourrait être pris pour une insulte, mais mon cuir est aussi résistant que la gomme d’un Specialized Armadillo.

Il y a des années, mon père avait un vieux pick-up, un Chevy des années 60, qu’il utilisait pour aller à la chasse et à la pêche et pour ramener du bois de la forêt. C’était un pick-up bien cabossé et capricieux mais la plupart du temps, il nous permettait d’aller et venir sans souci. Quand le système électrique est tombé en panne de manière irréversible, il s’est procuré un pick-up de remplacement qui, à mon avis, était un peu trop neuf et un peu trop beau et nous sommes restés à l’écart des petites routes étroites sur lesquelles les branches auraient éraflé les portières et j’imagine que ce genre de choses marque un enfant.

Et donc, quand Jan parle de l’esthétique d’un vélo et du fait qu’un beau vélo procure du plaisir rien qu’à le contempler et me donnera envie de rouler davantage, je sais que ce n’est pas vrai dans mon cas. Ma première pensée concerne l’accrochage du vélo sur un support à l’université et que ma stratégie consistant à « stationner à côté d’un vélo plus attirant » (alias « ce n’est pas l’ours que je fuis, c’est vous ! »1) ne fonctionnera plus. Et lorsque Grant Petersen s’exprime de manière poétique sur les raccords brasés et sur le fait qu’ils sont tellement plus jolis qu’un joint soudé, je me rends compte que je me soucie du l’art des beaux raccords de cadre tout autant que Stevie Wonder se soucie de la télévision haute définition.

Les arguments de Jan au sujet des performances et de la durabilité sont certainement valables, mais comme l’argument esthétique, c’est tout un monde de subtilités et je cesse de m’y intéresser une fois que j’ai passé le point que mon cerveau identifie comme « assez bon ». Je suis sûr que Jan et d’autres ont une sensibilité plus affinée, mais mon vélo n’a pas besoin d’un cadre en acier pour être « vrai ». Je n’ai pas besoin d’une fourche en carbone ou d’un moyeu à 14 vitesses. J’ai juste besoin d’un vélo que j’aime rouler et il s’avère que je ne suis pas un gars très exigeant.

Ce n’est pas l’expression d’un dépit de ma part, au fil des ans, j’ai donné beaucoup de « bons » vélos et refusé plusieurs offres personnalisées de « je vous construis ce que vous voulez ». J’aime les vélos. J’aime les monter moi-même et j’apprends quelque chose de chaque vélo sur lequel je roule. J’en change souvent des pièces parce que c’est quelque chose que j’aime bien faire.

Bien sûr, « onéreux » est une notion relative. Pour mes amis non cyclistes, l’idée de dépenser 500 dollars pour un Trek ou 400 dollars pour un Dahon est excessive, alors que d’autres amis « font avec » des composants Ultegra sur leurs « vélos de pluie » en titane. En ce qui me concerne, chaque vélo que j’ai possédé a toujours été le meilleur compromis entre le temps passé à l’acquérir et le plaisir de l’utiliser. Et si un vélo sur mesure réalisé par un fabricant compétent vous donne plus de plaisir que ce que vous utilisez actuellement, alors c’est certainement un sujet à creuser. Et si le vélo Trek que vous avez acheté à la boutique du coin ou le vélo d’occasion que vous avez chiné dans un marché aux puces vous fait sortir avec le sourire, c’est bien aussi.


Crédit photo de couverture : Tjeerd Veenhoven / CC BY-SA

Notes

  1. Mise en contexte de cette expression in English : Two guys are running away from a bear. One is running faster than the other. The slower guy says « It’s not worth it. We’ll never out run that bear ». The faster guy says « I’m not out running the bear. I’m out running you! » NdT

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