Ne pas mentionner le casque — par Jon

Le texte que vous allez lire est la traduction du billet d’humeur « Don’t mention the helmets » paru le 8 avril 20181 sur le blog de Jon, vélotafeur britannique du côté de Warrington. Avec l’aimable autorisation de son auteur2.

Depuis maintenant plusieurs années, quelques cyclistes enthousiastes (dont moi) à l’endroit où je travaille ont constitué un groupe cycliste. À l’origine il s’agissait de proposer un lieu où tous les cyclistes de l’entreprise pourraient se retrouver et s’occuper de vélo. Petit à petit, le groupe a modifié son activité et passe désormais plus de temps à encourager d’autres personnes à se rendre au travail à vélo, à encourager l’entreprise à investir dans des équipements cyclables et à travailler de concert avec la municipalité pour qu’elle mette en place de meilleurs infrastructures. Nous discutons avec les gens pour essayer de les aider à surmonter les obstacles qu’ils mettent à la pratique du vélotaf, nous proposons un service de petites réparations qui a beaucoup de succès et une aide pour trouver le meilleur itinéraire, de l’équipement, des conseils d’achat… bref beaucoup de choses. J’aimerais pouvoir dire qu’on a fait progresser la cause mais c’est difficile à dire.

Les sondages que nous menons au cours des événements que nous organisons nous ont appris que la principale et première raison qui fait que « les gens ne vont pas au travail à vélo » est la sécurité, en particulier chez les femmes avec qui nous échangeons. Elles ont peur des routes, c’est aussi simple que cela et pas difficile à comprendre. Les routes du Royaume-Uni forment un environnement incroyablement néfaste, ce qui est en grande partie un problème culturel. Non seulement les routes sont parcourues par une proportion d’automobilistes égoïstes et agressifs qui ne supportent pas la présence de cyclistes sur la chaussée, mais il existe aussi chez les personnes qui n’ont pas de rapport problématique avec les cyclistes une forme de sous-culture qui leur fait considérer le déplacement à vélo bien plus dangereux qu’il ne l’est en réalité. Et ces personnes se font entendre.

Au boulot, comme dans de nombreuses grandes structures, nous avons un intranet (il y a plus de 2500 employés sur notre site principal) avec des forums de discussion ouverts. Un de ceux-ci concerne les travaux de voirie dans les environs. C’est un forum très actif dans la mesure où de nombreux travaux ont lieu dans le coin. Il est fréquent que des personnes se plaignent des retards subis comme ce message de haute volée qu’une dame a récemment posté.

« L’autre jour j’ai mis 50 minutes en voiture pour faire 4 km »

Alors n’importe quel cycliste, ou mieux, n’importe quelle personne dont les jambes fonctionnent correctement pourrait indiquer une manière beaucoup plus rapide de parcourir cette distance mais nous sommes dans un environnement professionnel, on ne peut pas se contenter de souligner le caractère ridicule d’une telle position si bien qu’après réflexion j’ai rédigé une réponse sur ce forum.

J’ai l’impression que les travaux de voirie qui n’en finissent pas autour du site causent de nombreux problèmes aux personnes qui parcourent de courtes distances. Permettez-moi d’aider. 😉

*********** est très bien desservi par un réseau de pistes cyclables en site propre et sécurisées. Il est possible de traverser tout Warrington sans même avoir à circuler sur la route si ce n’est quelques mètres. Faire du vélo permet d’éviter les bouchons, d’être toujours à l’heure. Vous savez à coup sûr combien de temps durera votre trajet, peu importe le nombre de routes en travaux, peu import le nombre de voitures en circulation.

Si vous êtes agacés par toutes ces voitures qui vous retardent, il existe des alternatives. Vous n’avez besoin que d’un vélo, vous n’avez pas besoin de casque ou d’équipement spécifique, si vous pédalez tranquillement vous pouvez avancer sans effort particulier de 12 à 16 km/h sans provoquer de suée. Si vous souhaitez pédaler plus énergiquement, le site permet de se changer, de prendre une douche et d’utiliser un casier. Vous ferez rapidement des économies et retrouverez la forme avant même de vous en rendre compte.

Le groupe cycliste de ********* est installé à ******* et peut vous conseiller les meilleurs itinéraires, où stationner votre vélo, où trouver un vestiaire. Nous pouvons même réparer une crevaison, régler vos freins ou réparer une chaîne si vous nous y rejoignez et rencontrez une difficulté. Si vous ne possédez pas de vélo nous pouvons vous conseiller le modèle qui vous conviendrait le mieux. La météo s’améliore, il est temps d’essayer autre chose.

Ça paraît pas trop polémique, hein ? Bien sûr, ceux qui ont l’habitude de promouvoir la pratique du vélo ont déjà repéré mon erreur à la fois naïve et stupide.

J’ai mentionné le casque. En fait, pire, j’ai parlé de ne pas mettre de casque !

Ainsi, et comme prévu, j’ai eu des commentaires en retour. Un de la dame dont le long trajet a inspiré à un twittos le commentaire suivant « je pense que j’aurais pu aller plus vite », et dont le fils de ses amis a eu un accident à vélo et a subi une ablation partielle de l’intestin. Une autre dame, tout aussi préoccupée par mon imprudence, a souligné le fait que son mari, éjecté de son vélo, a eu le bras cassé. Les deux ont recommandé le port du casque.

87% des utilisateurs de Twitter qui ont répondu à mon sondage ont choisi la bonne réponse.

JonPoll

Combien de personnes qui pensaient se mettre à aller au travail à vélo vont finalement le faire, à la lecture de ces réactions ? Peu, et pas beaucoup plus.

C’est terriblement triste et même si je serais heureux d’entamer la discussion pour dégommer leurs anecdotes sur le forum, c’est délicat de le faire sur un forum d’entreprise. Et puis le mal est déjà fait, peu importe les statistiques que je pourrais citer, peu importe les arguments cohérents à faire valoir, n’importe quel cycliste potentiel conservera l’image de quelqu’un empalé sur un guidon un bout d’intestin à l’air.

C’est quasiment à sens unique, ces gens – même si leurs intentions sont bonnes (j’imagine) – réduisent systématiquement à rien le temps nécessaire aux gens pour se faire à l’idée d’abandonner leur voiture pour monter sur un vélo. Ce sont des complices bénévoles de l’industrie automobile – on m’a qualifié de parano pour l’avoir suggéré la semaine dernière. La cause et la solution à leurs soucis est là devant leurs yeux et pourtant, à chaque fois qu’une occasion de s’emparer de cette solution se présente, ils la flinguent. Même s’ils ne montent pas à vélo pour résoudre leur problème, moins de personnes se déplaçant en voiture arrangerait leur situation, mais même cela ne les intéresse pas.

Je me suis senti si démoralisé après avoir lu ces deux commentaires que l’espace d’un instant je me suis dit à quoi bon ? Ils emportent toujours le morceau, ils arriveront toujours à brandir des anecdotes sorties de nulle part dès lors que quelqu’un aura parlé de « casque » ou de « faire du vélo », ils ont des idées arrêtées et sont tout à fait disposés à les faire adopter par d’autres.

Après un weekend à vélo je ne me sens plus aussi déçu, je continuerai à m’occuper du groupe cycliste et à essayer de convaincre d’autres personnes de se mettre en selle. Je sais qu’il y a des gens que je n’arriverai jamais à convaincre mais j’ai au moins appris qu’il y a certains sujets qui attirent immanquablement les rabat-joie et qu’il faudrait donc éviter d’aborder à tout prix.

Profitez bien de vos 50 minutes de bouchon.


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Crédit photos :

Notes

  1. Le billet n’est plus en ligne (novembre 2019).
  2. En dehors de son blog, vous pouvez suivre Jon sur Twitter. Il y est très prolifique. Pour ne s’en tenir qu’au mois de juin, je recommande ce tweet. Et au mois de mai de l’humour anglais.

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5 réponses

  1. Le plus fou de tout ça c’est qu’on pourrait appliquer cette « logique » en faveur des vélos: Apparemment, il y a même des gens qui prennent la voiture pendant 50 minutes pour faire 4 km et ne portent pas de casque. Quelle irresponsabilité! Le fils du cousin de mon voisin a fait un accident en voiture et a eu un traumatisme crânien. C’est super dangereux ce truc. Roulons à vélo.

  2. laurentb dit :

    La voiture a cet aspect sécurisant que les 2 roues qu’ils soient à moteur ou pas n’auront jamais. C’est vrai qu’un accident de voiture c’est du plastique (j’ose plus dire de la tôle) et de la mécanique. Les 2 roues, c’est le corps.
    Le problème principale de l’automobiliste invétéré c’est qu’il sait, consciemment ou non, qu’il a des moments d’inattention lors de sa conduite. De fait il le transpose à une pratique éventuelle du vélo. Il se rend compte qu’à vélo, l’attention doit être de tous les instants mais pas que la sienne, celle aussi des automobilistes dont il peut partager la route à des moments. Et c’est bien à ce moment là qu’il se rend compte du danger potentiel.

    L’auteur a de la chance quand même car, il semble résider dans une ville qui a vraiment fait des voies pour que les cyclistes puissent se déplacer. Son entreprise a l’air d’avoir une conscience du vélo (local, asso…), cette démarche est loin d’être développé dans nombre d’entreprise et c’est bien dommage. En France, finalement il va falloir se contenter d’une « indemnisation kilométrique vélo », bref comme si donner de l’argent aux pratiquant allait arranger les voies de circulation pour les cyclistes.

  3. Isabelle dit :

    Je retiens cette phrase de ce long (et indigeste) article : « Ce sont des complices bénévoles de l’industrie automobile « . Il s’agit des promoteurs du casque.

    • Jeanne à vélo dit :

      Oui, c’est bien trouvé !

      • CAZEILS Francis dit :

        Je suis d’accord avec Jeanne et Isabelle (mais, je n’ai pas trouvé l’article indigeste … j’ai senti beaucoup d’humour anglais, que je vais tenter d’exprimer de la façon suivante : « c’est désespérant : on propose du beau, mais les gens rechignent encore et font tout pour rester dans leur merde où ils se complaisent … ».

        Aussi, je propose des citations de Didier Tronchet (auteur du savoureux « Petit traité de vélosophie », Plon, 2000) :
        – « Un des bonheurs du cycliste est de contourner le camion-poubelle qui obstrue la rue et de continuer son chemin avec la certitude que, dans la vie, il est inarrêtable. Les hommes du futur s’étonneront, un jour, de ce que, pour se déplacer en ville, leurs lointains ancêtres s’enfermaient chacun dans une caisse d’acier qui n’avançait pas, dégageait de la fumée toxique, les isolait les uns des autres et les mettait dans un état d’exaspération. Ils s’amuseront d’apprendre qu’au surplus, leurs ancêtres, du fond de leurs boîtes, s’opposaient avec la dernière énergie à ce que ça change. Euh … ne riez pas : les ancêtres, c’est nous ! » (article « Les nouveaux vélosophes » paru dans la revue 1 de juillet 2018 )

        Soyons certains, nous les cyclistes, que nous sommes inarrêtables, na !

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