Cinq ans plus tard, un blogiversaire

Il y a cinq ans j’ouvrais ce blog sans savoir où celui-ci me conduirait. 390 entrées plus tard, je ne le sais toujours pas. Il m’a cependant permis quelques belles rencontres et j’ai envie de dire que c’est ça le plus important. Parmi les rencontres virtuelles, celle de Kent Peterson. C’est avec une sélection de ses textes que j’avais inauguré l’année 2021 ici. Au printemps 2021, il a quitté son poste chez Bike Friday à Eugene dans l’Oregon pour emménager à Superior dans le Wisconsin afin de profiter de sa retraite. Dans sa nouvelle maison, il continue de tapoter sur ses différentes machine à écrire un texte par jour qu’on retrouve publié avec d’autres sur One Typed Page. J’avais bien envie de proposer un nouveau florilège en ce début d’année 2022. J’ai repéré quelques textes cyclamicaux qui feront l’objet d’une traduction un peu plus tard. Pour le moment, et pour marquer le coup de cette date anniversaire sans renoncer totalement à mon tempérament procrastinateur, je vous propose un de ces textes, plus fin qu’il n’y paraît, et qui forme une réponse possible à la question « pourquoi le vélo ? ». Si le bénéfice d’une pratique quotidienne utilitaire du vélo est aussi collectif, pédaler régulièrement – et tenir un blog – permet à titre individuel, de manière métaphorique, de cultiver son jardin.

Parabole de la tondeuse à main

Dimanche 18 juillet 2021

Il est un peu moins de 8h00 un dimanche et je suis déjà sorti tondre la pelouse donc j’ai le sentiment d’avoir gagné le droit de taper quelques mots au sujet de la paresse1. Mais avant d’en parler plus avant, je tiens à signaler que je ne suis pas un de ces abrutis qui démarrent une tondeuse infernale aux petites heures du matin de ce qui devrait être un jour de repos, ma tondeuse est un engin manuel qui fait à peu près autant de bruit qu’un mouton pâturant avec application.

La semaine passée, Elon Musk a anonncé que les propriétaires de Tesla peuvent obtenir les fonctionnalités de conduite totalement autonome pour 200 $ par mois. Bon, je ne possède pas de Tesla et n’envisage pas d’en acheter une mais j’ai immédiatement pensé « les gens peuvent-ils être à ce point paresseux ? » Evidemment la réponse est « oh que oui, très paresseux ». Je suis certain qu’il y aura un paquet de monde prêt à payer 200 $ par mois pour s’épargner la peine de décider quand tourner le volant, changer de voie, appuyer sur le frein, etc.

Cela dit, si on peut accuser Elon Musk de beaucoup de choses, on ne peut pas sérieusement soutenir que c’est quelqu’un de paresseux. Mais je m’inquiète des gros bosseurs qui travaillent dur pour favoriser nos inclinaisons à la paresse. Je ne suis pas certain qu’ils rendent le monde meilleur.

Vivons-nous mieux dans un monde où aimer quelqu’un consiste à balayer sa photo vers la droite ou à cliquer sur l’icône en forme de cœur sous sa vidéo ? Sommes-nous des gens plus fûtés parce que nous avons accès à de nombreuses chaînes d’info en continu 24h/24 du lundi au dimanche ?

Je pense que j’apprécie de glander autant que n’importe qui, et peut-être même davantage. Et je n’ai jamais adhéré à l’idée qu’il faille travailler dur. J’ai tendance à donner raison à Bill Gates qui conseillait de donner les tâches difficiles aux personnes les plus paresseuses, car elles trouveront la manière la plus économe d’en venir à bout.

Mais si tout devient facile, on va vite se retrouver à n’être plus capable de ne rien faire.

J’essaie de faire quelque chose, au moins une chose, chaque jour, qui s’avère un peu plus difficile que nécessaire. Pas besoin que ce soit grand chose, juste quelque chose.

Photo : Harris & Ewing, photographer, Public domain, via Wikimedia Commons

Bonus maths par Dr. Tom RZ

Puisque Kent Peterson évoque Elon Musk, voyons comment un twittos matheux a commenté le dernier ratage du pseudo-disruptif milliardaire, ratage qui a rencontré un écho international. La presse française n’a donc pas été en reste avec, pour ne prendre qu’un seul exemple, cet article de Capital : « Les tunnels anti-bouchons d’Elon Musk saturent déjà à Las Vegas » (8 janvier 2022)

On apprend dans ce fil déployé ici que c’était inévitable. L’occasion de rappeler aussi que c’est mathématique : conduire pour gagner du temps ne fait que ralentir tout le monde. 🤓

Originally tweeted by Tom RZ (@tomrzah) on 6 January 2022.

Je vois beaucoup passer ce tweet sur les tunnels pourris de Elon Tusk, et des embouteillages contre lesquels ces tunnels devaient lutter. Un peu de mathématiques auraient pourtant du convaincre Mr. DickheadInChief que c’est normal et attendu…

Allez un petit thread math :

Commençons par une petite expérience grandeur nature, car les maths sont aussi une science expérimentale : il y a une quinzaine d’année, des chercheurs de l’université de Fukuoaka au Japon ont construit un circuit parfaitement circulaire à une voie, et y ont fait rouler des voitures.

La consigne était simplement de tous rouler à la même vitesse (30km/h), sans rien faire d’autre. Et magiquement… des bouchons apparaissaient :

Si vous êtes allergique à la vidéo, voilà la densité des voitures dans un diagramme espace-temps : les voitures sont initialement uniformément distribuées (en bas), et on voit progressivement le bouchon se propager dans le domaine (périodique), et des inhomogénéités apparaitre…

Mais que se passe-t-il ? En fait, le problème est double : tout d’abord, les voitures ne sont pas exactement uniformément distribuées, et surtout, les vitesses ne sont pas exactement les mêmes, et ça, ça change tout.

Roadrunner Speeding GIF

Pour modéliser cela mathématiquement, il est possible de représenter notre problème de route circulaire par une Équation aux Dérivées Partielles (EDP) nonlinéaire (en fait une loi de conservation scalaire pour les puristes), le modèle de Lighthill-Whitham-Richards2 :

Cette équation décrit l’évolution temporelle de la densité ρ (nombre de voitures par kilomètre) en fonction du temps t et de la position spatiale sur la route circulaire (modélisée par un tore) x. On y observe une dérivée partielle en fonction du temps et de l’espace.

Or, il est « assez´´ facile (disons niveau M2) de montrer que cette équation génère des discontinuités de la solution en temps fini, pour peu que la donnée initiale soit non-monotone (c’est à dire pas juste croissante ou décroissante)… ce qui est le cas de notre route circulaire.

Et une discontinuité, ça veut dire que la densité tend localement vers l’infini… et donc que les voitures deviennent collées pare-chocs contre pare-chocs : la définition même du bouchon !

Parallel Parking Fail GIF

Du coup, à part si les voitures dans le tunnel de Elon Muskàmerde circulent toutes exactement à la même distance, font la même taille, et vont exactement à la même vitesse, à l’atome près ben… des bouchons vont apparaitre <3

Traffic Jam GIF

Mais pour ça, il aurait fallu faire des études, ce que M. Filsàpapa n’a pas fait vu que c’est un enfoiré d’héritier de vendeurs de diamants.


2021 en une photo

En farfouillant dans la carte mémoire de mon appareil photo, je suis retombé sur cette photo prise une fin d’après-midi en février 2021 place du Martroi. Je ne me souviens pas de ce que je faisais là. Mais il y avait ce groupe de jeunes qui s’amusaient à réaliser des figures sur leurs vélos.

Une façon de dire que la pandémie continue de nous laisser en équilibre précaire ?

Bonne année 2022 quand même !


Crédit photo de couverture : Erik1980, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Notes

  1. Je ne peux m’empêcher de rapprocher ce texte du billet d’un autre blogueur que j’ai eu le plaisir de traduire : Le vélo en ville c’est pour les paresseux — par James D. Schwartz. NdT
  2. Il a été proposé en 1955/56. En quelques clics sur le Web on tombe sur un mémoire d’initiation à la recherche en français consacré à ce modèle (2016).

Vous aimerez aussi...

14 réponses

  1. Isaduvélo dit :

    Bon, ben, j’ai rien compris à la démonstration. J’ai compris que comme tout le monde ne roule pas pareil, en résumé, quoi qu’il arrive il y aura toujours des bouchons. Mais pourquoi, vraiment, je ne sais pas. Tu peux nous le dire en français ?

    • Moi non plus je ne comprends rien à la démonstration mathématique (mais j’ai une attirance esthétique pour la chose 😊).
      On peut juste retenir que même dans une situation idéale (axe sans intersection et sans rétrecissement, comme dans la vidéo ci-dessus), l’écoulement d’un flux de véhicules en mouvement ne reste pas constant et qu’effectivement des agglutinements se forment inévitablement. Un peu comme le phénomène de l’accordéon sur les autoroutes au moment des pics de fréquentation qui provoquent ces fameux ralentissements aboutissant parfois à d’authentiques bouchons. Les chercheurs ont simplement cherché à modéliser précisément le phénomène avec des outils mathématiques.

  2. Pressicaud dit :

    Merci, Jeanne, pour ce nouvel article intéressant. Longue vie au blog et meilleurs voeux pour 2022.

  3. janpeire dit :

    Bon anniversaire, il reste encore beaucoup de billet à écrire sur la cyclabilité de l’agglomération johannique, donc rendez-vous est pris pour les 10ans.
    Et bonne année 2022.

    JPB

  4. velomaxou dit :

    Beaucoup de bouchons à vélo! Bon blog!

  5. carl dit :

    Bon anniversaire donc. Il faudrait un jour se rencontrer dans le val de Loire.

  6. Isabelle R. dit :

    Bon anniversaire, et merci pour tes textes et traductions toujours plaisants.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.