Rues apaisées & contrôle par caméra — par The Ranty Highwayman

J’ai déjà traduit un billet du blogueur britannique The Ranty Highwayman (voir « La circulation des vélos en centre-ville est une question de réseau » en septembre 2020). Dans le texte qui suit, il fait un focus sur la manière dont il est possible de créer des quartiers apaisés – dans lesquels le trafic de transit motorisé est largement éliminé – et de s’assurer qu’ils le restent (voir également « Comment empêcher le trafic de raccourci » de Mark Wagenbuur). Il s’agit évidemment du contexte britannique mais la réflexion est tout à fait transposable au contexte français (d’où ma traduction de traffic orders par « arrêtés municipaux »).
Voici la traduction de « Better Streets & Camera Enforcement » publié le 6 février 2021 sur The Ranty Highwayman.

La répression des infractions routières a évolué au fil des ans. Autrefois l’apanage de la police de la circulation, elle est progressivement passée aux mains des autorités locales, bien qu’elle ne soit pas encore universellement applicable en raison de l’inertie des gouvernements à faire en sorte que la répression des infractions soit généralisée.

Comme je l’ai mentionné dans d’autres articles, l’approche fondamentale du Royaume-Uni en matière de règles de circulation est que vous pouvez faire ce que vous voulez, à moins qu’il n’y ait une restriction légale située soit au niveau national (ou au niveau des nations décentralisées), comme la définition des limites de vitesse nationales, soit au niveau local avec les ordres de circulation.

Pendant de nombreuses années, la répression des infractions au code de la route était du ressort de la police. Les questions relatives au stationnement étaient traitées par les agents de la circulation et les infractions au code de la route par la police (généralement la division de la circulation). Au fil des ans, cette activité a été progressivement dépénalisée car, dans de nombreux cas, les infractions ne sont pas considérées comme des délits.

Dans l’ensemble, je pense que la dépénalisation est une bonne chose, même si j’aurais souhaité que la législation réserve à la police le pouvoir d’émettre des sanctions fixes sur une base civile. Je ne vous ferai pas un historique sur l’évolution de la situation, mais le passage à une approche civile de l’application des lois a pris plus de 30 ans et elle continuera probablement à se développer (de fait, il le faut).

L’un des outils clés de l’exécution civile est la vidéosurveillance avec reconnaissance automatique des plaques d’immatriculation (LAPI). À cause d’une campagne populiste et idiote menée par l’ancien secrétaire d’Etat aux Communautés, Eric Pickles, les conseils municipaux ont perdu le pouvoir d’utiliser la vidéosurveillance pour réprimer la plupart des infractions en matière de stationnement, mais la possibilité de l’utiliser pour les infractions en matière de circulation a été maintenue, bien qu’en théorie seulement, car leur utilisation n’est pas autorisée dans tout le Royaume-Uni (Londres étant une exception notable).

L’utilisation des caméras a refait surface ces derniers mois avec le déploiement de ce que l’on appelle les « Low Traffic Neighbourhoods » (LTN) à Londres. Ce qui n’est pas une authentique nouveauté, l’utilisation de mesures techniques pour filtrer le trafic automobile dans les rues secondaires a toute une histoire, mais il faut toujours un raccourci pour décrire une chose, donc va pour LTN !

J’ai pris la photo ci-dessus au milieu d’un carrefour dans le quartier de De Beauvoir Town, dans le borough londonien de Hackney. Ce carrefour a des potelets sur chaque branche, ce qui en fait un territoire pour la marche et le vélo et il fait partie d’un LTN plus vaste. Ce carrefour filtré a été mis en place il y a plus de 40 ans et après une controverse qui n’a pas pris une ride.

Le filtre du carrefour de De Beauvoir Town était bon marché à installer, il est bon marché à entretenir. Il est simple et efficace et n’a pratiquement aucun impact sur l’esthétique des rues. Personnellement, je pense qu’il serait bon de débitumer une partie de l’espace qui a été récupéré, mais c’est une toute autre question. La législation et la technologie ont évolué depuis les années 1970, mais les collectivités font à nouveau pression pour récupérer les rues secondaires suite à l’explosion du trafic automobile que nous avons connue ces dernières années et l’art de filtrer les rues est donc de retour.

À mon avis, les systèmes les plus efficaces sont ceux qui utilisent des mesures physiques pour rendre impossible la circulation d’un véhicule à moteur dans un endroit où elle est interdite. Qu’il s’agisse d’une série de potelets ou de quelques jardinières comme celles qui ont été utilisées à Enfield (ci-dessous). Il est tout à fait évident pour les automobilistes qu’ils ne peuvent pas passer.

Personnellement, je ne suis pas particulièrement inquiet de voir les gens passer avec des motos et des cyclomoteurs à ces endroits. Bien qu’ils soient généralement interdits, chaque fois que j’ai vu des gens se faufiler à travers, c’était généralement lentement et prudemment parce que les motocyclistes ne veulent pas heurter qui ou quoi que ce soit car ils en subiraient aussi les conséquences. Je préférerais que les livraisons locales se fassent à vélo, mais les pizzas livrées en scooter sont préférables à celles livrées en voiture.

Il y a des situations où le filtrage du trafic pose un véritable problème aux services d’urgence, aux opérateurs de bus ou en raison d’un problème particulier et très localisé. Dans certains cas, l’utilisation d’une borne escamotable ou d’un portail (en bas) peut suffire.

Dans la plupart des cas, ce sera un souci pour les pompiers car si un incident se produit, ils devront peut-être apporter des ressources supplémentaires. Imaginez qu’il y ait un incendie dans une maison et que des pompiers soient présents dans la rue avec des équipes qui combattent le feu. Il pourrait être plus facile d’apporter du matériel par un autre endroit. La façon dont les réponses aux incendies fonctionnent est qu’il y a d’abord un déploiement de moyen minimal à la suite d’un appel et que si plusieurs appels se succèdent, les ressources mobilisées sont renforcées.

Lorsque les pompiers arrivent, un officier est chargé de faire une évaluation et une assistance supplémentaire peut être demandée plus tard dans le temps. Les services de police et d’ambulance n’ont généralement pas les clés des bornes/portails et ne feraient pas passer leurs véhicules par-dessus des bornes flexibles (photo ci-dessus) en raison de la garde au sol nécessaire. Ils suivront l’itinéraire « ouvert » pour entrer dans le LTN.

Si on se retrouve dans des situations qui ne sont pas gérables autrement, alors on dispose de caméras. Elles ont permis un filtrage qui n’avait peut-être pas été envisagé jusque là. Par exemple, un passage réservé aux bus (ci-dessus) peut donner aux transports publics un avantage (trajet direct), les automobilistes devant faire un détour. On peut utiliser des bornes escamotables, mais elles présentent leurs propres problèmes de maintenance et de fonctionnement. Une liste d’exemption peut comprendre une liste d’immatriculations autorisées et, comme les bus et les véhicules des services d’urgence ne sont pas changés trop souvent, ce n’est pas si difficile à gérer. Quant à ceux qui se faufilent sans y être autorisés, il est assez facile pour les agents de contrôle de distinguer un bus ou une ambulance !

L’utilisation d’une caméra dépend de la façon dont la rue est conçue, qui fait qu’il est évident pour les automobilistes qu’ils n’ont pas le droit de passer. L’exemple ci-dessus est vraiment évident, mais il ne s’intègre pas bien dans la rue. Je pense que c’est pas toujours évident de bien faire. La photo ci-dessous est prise à Hackney. Le panneau rouge « route fermée » est temporaire et le filtre dépendra donc à terme du respect par les gens des panneaux « interdit aux véhicules à moteur ».

Les jardinières aident à montrer qu’il se passe quelque chose de différent, mais je pense qu’il y a une meilleure façon d’installer un filtre comme celui-ci. S’il y a de la place, le fait d’avoir des jardinières en quinconce signifie que le conducteur aura un obstacle juste devant lui et devra faire un effort réel et conscient pour le contourner (vous pouvez laisser un espace de côté pour la circulation des vélos, mais ce n’est pas entièrement nécessaire).

L’image ci-dessus montre le dispositif de décalage (vue du dessus) qui est assez facile à utiliser pour un camion de pompiers, mais qui rend plus évident pour un automobiliste qu’il ne doit pas passer par là (vue de face). Cela peut aider à gérer les plaintes des personnes qui disent ne pas savoir.

Les caméras LAPI ne sont pas bon marché, même s’il est toujours difficile de déterminer les coûts car chaque autorité locale aborde les choses différemment. J’ai fait une demande d’accès à l’information auprès de ma collectivité locale pour un projet de rues scolaires. Le coût d’investissement (achat) des caméras est d’un peu moins de 10 000 £ pièce. Si l’on y ajoute les coûts de connexion aux données des téléphones portables, les logiciels de back-office pour le traitement des images LAPI, les panneaux de signalisation, les arrêtés municipaux, les frais de personnel pour la conception et la mise en place du projet, etc. le coût par site est de l’ordre de 40 k£. Une fois le projet mis en place, il existe des coûts annuels de maintenance et de personnel (traitement des amendes, gestion du personnel, etc.).

Les gens diront que les coûts sont récupérés par les amendes, mais le problème est que nous ne voulons pas que les gens passent en voiture parce que cela va à l’encontre de l’objectif du filtre, même s’il faut relativement peu d’amendes pour équilibrer les coûts de fonctionnement d’un site pendant un an. Cela signifie également que la gestion du système de vidéosurveillance est très sensible à d’autres facteurs tels que les coûts/réductions de personnel ainsi que les coûts de téléphone et de logiciels.

Dans quelques cas, les riverains font campagne pour obtenir des exemptions. D’un point de vue technique, cela signifie qu’il faudrait obtenir l’immatriculation des véhicules des résidents et les ajouter à une liste d’exemptions appliquée automatiquement. Du point de vue de l’arrêté municipal, il faudrait que ce soit un système de permis (avec une signalisation qui le reflète) et des permis peuvent être facturés afin d’en couvrir les coûts.

Le problème pour moi est que ces riverains ne veulent pas que d’autres personnes traversent leur quartier, mais veulent pouvoir quitter leur LTN local en toute commodité, comme ils le souhaitent. Même si le nombre de mouvements de véhicules par jour est limité, cela n’incite pas les habitants à faire des choix de mobilité plus durables et cela maintient un certain niveau de danger routier pour les personnes qui ne conduisent pas au sein du LTN. Diminuer le trafic implique que chacun fasse un effort.

Cela peut être difficile pour les détenteurs du macaron PMR (qui peuvent être conducteurs ou passagers) qui dépendent absolument de la voiture pour leurs besoins quotidiens et qui peuvent être réellement affectés par ce type de projet. La seule solution ici est d’étudier sérieusement la question et il se peut que passer d’un filtre physique à un un filtre LAPI bien conçu soit un ajustement raisonnable, bien que dans le cas des détenteurs d’un macaron PMR qui ne conduisent pas, la surveillance des véhicules dans lesquels ils sont passagers demandera un effort particulier. Bien sûr, comme tout le monde, il arrive que les détenteurs du macaron PMR déménagent et il est donc nécessaire de mettre en place un processus de révision périodique des autorisations.

La seule façon de le faire de manière équitable est de traiter correctement les problèmes. Il se peut qu’à mesure que nous nous dirigeons vers un avenir où la circulation motorisée sera moins intense, les inconvénients pour certaines personnes disparaissent. Par exemple, une baisse générale du trafic sur les routes principales (par le biais d’autres changements politiques et techniques) pourrait signifier que les craintes des services d’urgence ne se réalisent pas ou s’atténuent au point qu’un filtrage LAPI peut être remplacé par un dispositif physique.

Les villes ne sont pas figées et les choses changent, mais il faut faire preuve d’audace pour briser le cycle de domination de la voiture et je reste pleinement convaincu que les LTN sont un catalyseur essentiel à cet égard, mais si nous envisageons d’utiliser des caméras, il faut que cela soit correctement et solidement évalué, et non pas en premier recours, afin de s’épargner des difficultés.

Un point important à retenir est que la mise en place de caméras est une option très intéressante pour Londres, car 16 ans après son entrée en vigueur, la partie 6 de la loi de 2004 sur la gestion du trafic n’a pas été promulguée malgré le souhait des exécutifs (Angleterre et Pays de Galles). Pour l’Écosse, j’ai fait des recherches et bien que les caméras puissent être utilisées pour faire respecter les zones de stationnement et les zones à faibles émissions, il semble que les questions de circulation restent du ressort de la police – si quelqu’un en sait plus, qu’il se manifeste. Pour l’Irlande du Nord, il est encore plus difficile de comprendre ce qui se passe, mais il semble que la police soit chargée de faire respecter la loi. Là encore, toute connaissance locale serait la bienvenue.

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1 réponse

  1. guiguilyon dit :

    Merci pour cette traduction! Article intéressant.

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